Prodige de l’épure matérialisée, le célèbre Japonais traque l’émotion à travers des objets du quotidien qui se refusent à l’ordinaire. Dernier-né, son mobilier Melt pour WonderGlass.
Se laisser emporter par la nature du verre coulé, puiser à l’extrême dans le potentiel créatif du matériau, l’exercice sied fatalement au regard décalé d’Oki Sato, toujours inspiré par l’observation de détails comme la fente d’un parquet ou les ombres dessinées dans un verre par les bulles d’eau gazeuse. Telles des sculptures de glace aux surfaces imparfaites, les douze pièces de la collection Melt ont été façonnées directement par le flux naturel du verre fondu, mettant au défi l’excellence du verrier vénitien WonderGlass.
« L’idée n’était pas de dessiner un objet, mais de laisser le matériau le dessiner », indique le Japonais, fondateur et directeur artistique de l’influent studio tokyoïte Nendo. C’est ainsi, à la frange exacte du liquide et du solide qu’il a choisi de soumettre la viscosité du verre aux effets de la gravité. Courbes et arcs nés du poids même de la matière expriment les arcanes d’une folle complexité technique, le processus n’étant possible que par la conjonction précise de la température, du temps et de la gestuelle des artisans. Les plaques de verre drapées sur des tiges et suspendues entre des barres d’acier ont pris leurs formes en coulant, avant de passer au four de refroidissement. Révélée au salon IMM de Cologne en janvier, la collection d’assises et de tables sera présentée en avril à la Design Week de Milan. Pour les fondateurs de la manufacture WonderGlass, Christian et Maurizio Mussati, « l’audacieuse exploration d’Oki Sato repousse les frontières de notre approche du sur-mesure en architecture et design contemporain ».
EN ÉTAT D’APESANTEUR
Dans quelle mesure le créateur est-il plus dessinateur que poète, plus concepteur qu’illusionniste ? La question ne cesse de s’évanouir face à cette capacité à figurer l’imperceptible qui sacre l’ascension fulgurante de Nendo. Alors qu’en 2017, il faisait l’objet d’une imposante rétrospective Invisible Outlines au Centre d’innovation et de design du Grand-Hornu, en Belgique, le studio mené par son charismatique leader était déjà auréolé de douze années de légende, mi-underground mi-corporate. Signature mondiale courtisée par les plus grands éditeurs internationaux, le prolifique Japonais multi-primé n’a pourtant rien changé à sa manière d’appréhender le métier. L’œuvre : une sorte d’abstraction grisante qui se joue des frontières au-delà des lignes et surfaces et balaie avec elle les idées reçues. Un univers vaporeux, fait de variations hypnotiques et de sensations en suspension, de vides et de pointillés à relier, où l’onirisme réenchante les rituels du quotidien.
Oki Sato voudrait transformer chaque instant en moment d’émotion partagée. Pour créer ce qu’il nomme « l’instant », ce petit temps d’effervescence qui détrompe l’habitude perceptive, il cultive le détail qui tue, celui qui crée la surprise et qui fait sourire. Ainsi la Cabbage Chair, une idée aussi simple qu’éblouissante qui consiste à effeuiller comme un chou un grand rouleau de papier plissé pour en faire un fauteuil sculptural. En 2009, on découvrait un petit traité de raffinement avec la chaise Fadeout qui semblait flotter au-dessus du sol grâce à ses pieds translucides comme perdus dans la brume.
Du mobilier Thin Black Lines (Phillips de Pury & Company, Saatchi Gallery, Londres, 2010), volumes tracés dans l’espace en légères lignes noires qui interrogent les lois de l’équilibre, à la collection Textured Transparencies explorant toutes les nuances de la transparence et de l’opaque (Galleria Jannone, Milan 2011), l’art de surprendre semble illimité. L’émotion, c’est aussi la sensation à fleur de peau. Avec « Air lids » (2018), série d’ustensiles conçus à partir de fluoroélastomère, « le toucher est encore plus doux que du caoutchouc de silicone, imitant la même impression que si l’on touchait quelque chose de matérialisé à partir de l’air ».
ENIVRANTE LIBERTÉ
Un peu « gaijin » (non japonais) en son pays, cet architecte né en 1977 à Toronto a très vite opté pour la liberté que donne le design. Sa première visite au Salon du Meuble de Milan, en 2002, sera décisive. Sans réfléchir ni avoir jamais exposé, il fonde Nendo la même année. Deux ans plus tard, sa rencontre avec le grand éditeur italien Cappellini lui ouvre ses portes et les commandes s’enchaînent.
Du mobilier et luminaires à l’accessoire high-tech, de la scénographie à son retour à l’architecture, Oki Sato impressionne par la cohérence et la force de son vocabulaire qui rayonnent dans les collections permanentes de nombreux musées, du MoMA de New York aux Arts Décoratifs de Paris, de la Triennale de Milan au Design Museum de Holon.