Les cinquante ans du premier pas surla lune au Kunsthaus de Zurich.
Le 20 juillet 1969 alunissait la mission Apollo 11. Pendant 2 heures et 31 minutes, les astronautes Neil Armstrong et Buzz Aldrin foulaient pour la première fois la surface de la lune. Ce « petit pas pour l’Homme » fut la pièce maîtresse d’un échiquier politique : la conquête de l’astre, loin des fantasmes qu’il nourrit, devient la vitrine d’une supériorité technologique. Face à face dans l’espace donc, avec l’offensive russe Spoutnik, redoublée de l’assaut Gagarine, et riposte injonctive de Kennedy dans l’élaboration d’un programme spatial. Entre 1957 et 1969, les missions ont touché du doigt les desseins des aventuriers les plus burlesques imaginés par Wells, Clarke, Dumas, Verne ou Hergé. Loin d’être arrivé là à califourchon sur un boulet de canon, façon Baron de Münchhausen, l’équipage américain gagnait la première place de la course à l’espace qui, sur fond de guerre froide, devait davantage refléter les ambitions géopolitiques de deux grandes puissances que l’euphorie devant la conquête d’un nouveau territoire et ce, même en apesanteur.
Alors que l’exposition du Grand Palais s’offre un lancement deux jours plus tôt, le Kunsthaus de Zurich se donne pour mission de questionner le regard des artistes sur notre satellite. Effleurant le romantisme pour aborder surtout l’art contemporain, héroïsme, propagande, et dérision sont l’objectif commun des deux cents œuvres réunies pour l’occasion. Car depuis 1969, la lune ne s’observe plus par le petit bout de la lunette : Galilée, en en découvrant le relief (Sidereus Nuncius, 1610), remettait en cause l’astre parfait imaginé par Aristote (Du Ciel, 350 av. J.-C.) qui voyait dans ses taches et ses irrégularités, le reflet des océans et des continents terrestres. C’est pourtant par un disque immaculé que la lune règne dans l’Architecture au clair de lune de Magritte. Ce phare naturel veillant sur le monde tapi dans l’obscurité est le séduisant prétexte des peintres romantiques Johann Heinrich Füssli ou Caspar David Friedrich pour faire savoir leurs talents de coloristes. Un héritage sensible qui apparaît dans le travail du photographe britannique estampillé Turner Prize Darren Almond qui, dans le sillage de Constable et Turner, fait scintiller les chutes d’Iguazú à la lueur de l’astre plein.
Laisser une trace, les artistes y réfléchissent depuis 1969. Si le satellite Orbital Reflector du Berlinois Trevor Paglen flotte depuis décembre 2018 sans utilité directe dans l’espace, l’initiative de Forrest Myers avait permis un demi-siècle plus tôt à Andy Warhol, Robert Rauschenberg, David Novros, Claes Oldenburg et John Chamberlain de laisser un minuscule dessin sur une pièce de céramique miniature. Ce Moon Museum aurait été déposé secrètement sur l’un des pieds du module d’atterrissage de la mission Apollo 12 pour laisser à la surface de la lune, la première œuvre d’art terrestre. Ces stars du Pop art n’auraient peut-être jamais
imaginé pouvoir être un jour les invités d’une excursion, telle que l’offrira en 2023 le milliardaire japonais et grand amateur d’art contemporain Yusaku Maezawa, premier touriste envoyé autour de la Lune par la compagnie spatiale privée américaine d’Elon Musk SpaceX. À ses côtés, six ou huit artistes qui auront pour tâche de créer un œuvre d’art à leur retour.
Ironiquement, c’est cet accès au « cosmos pour tous » qu’évoquait en 2014 Kader Attia avec Independence disillusion. Les timbres vintage du lauréat du Prix Marcel Duchamp 2016 dépeignent avec nostalgie une utopie inscrite dans l’espace, à laquelle auraient participé les jeunes nations africaines après leur indépendance.
Les combinaisons wax conçues pour les afronautes du Britannico-Nigérian Yinka Shonibare mettent aussi en orbite la vision hégémonique américaine de la conquête spatiale. Car cette année 2019 a déjà vu une autre grande puissance se tailler la part du lion.
Le rover que les taïkonautes ont déposé sur la face cachée de la lune a ainsi propulsé la Chine à la troisième place. Aux pieds du podium, figure depuis peu l’état d’Israël et son vaisseau Bereshit (« au commencement » en hébreu). Outre le cadre scientifique auquel la mission est dévolue, cette présence soulève l’épineux sujet de la militarisation spatiale et le plan de secours qu’entrevoit l’agence spatiale israélienne pour pallier l’appauvrissement des ressources naturelles terrestres. Car si le chemin vers la lune fut long, son attraction sur les artistes aura eu le bénéfice de nuancer notre regard sur la Terre : par une lune miroir de nos inquiétudes, la Terre n’est jamais apparue aussi fragile que depuis que l’on peut l’observer à 384’000 km, ainsi que le rappelleront au visiteur les photographies de William Anders.