Dans sa galerie sise à un vol d’oiseau de l’École des Beaux-Arts, à Paris, Anthony Meyer expose depuis plus de trente ans la fine fleur de l’art océanien. À cette première passion s’est ajouté l’amour pour l’art esquimau archaïque et ses ivoires d’une élégante sobriété.
La prunelle qui frise et la moustache conquérante, Anthony Meyer est un personnage flamboyant au sein de la petite tribu des marchands d’arts premiers. Né en 1956 aux États-Unis d’une mère américaine égyptologue (« la spécialiste incontestée des amulettes ») et d’un père français, séducteur et aventurier de haut vol reconverti en brillant galeriste, l’homme est « tombé dans la marmite » dès le plus jeune âge. « Mon parc à jouets était une cuve baptismale byzantine ! Plus tard, ma chambre était remplie d’objets d’Amérique du Nord et d’Océanie, de poupées kachinas. Dès que j’ai su lire, j’ai dévoré les récits d’explorateurs et les exploits de la Légion étrangère. Adolescent, mon rêve était de m’engager dans l’armée française et de mourir au champ d’honneur de façon héroïque », résume avec humour Anthony Meyer. Établis aux ÉtatsUnis dans les années cinquante, ses parents font son éducation en lui ouvrant les yeux sur toutes les formes d’art allant de la Préhistoire jusqu’à la peinture moderne des années soixante et soixantedix, en passant par l’archéologie, les arts amérindiens et l’art médiéval. Mieux ! Sise dans le quartier chic de Los Angeles, leur galerie attire comme un aimant tout le gratin de la Côte Ouest. « J’ai connu tous les grands acteurs d’Hollywood. Le pianiste de music-hall Liberace avait un studio de décoration à deux pas de chez nous. Un des musiciens des Doors achetait à mes parents des objets japonais pour sa collection. Mon père fréquentait le producteur de cinéma Abel Ganz, le peintre chilien Roberto Matta, était copain avec Giacometti et Prévert ! C’était aussi une époque de grandes découvertes. Je suis né en même temps que le Pop art, et j’ai assisté à la naissance des œuvres de Frank Stella, de Claes Oldenburg », se souvient avec une pointe de nostalgie Anthony Meyer.
Et pourtant, sur fond de tremblement de terre, de guerre du Vietnam et de violences raciales, la famille Meyer décide, à l’aube des années soixantedix, de quitter les États-Unis pour s’installer en France. Après une incursion dans l’armée française de 1974 à 1980, le jeune Anthony rejoint la galerie que sa mère Rita a ouverte en janvier 1980 au Louvre des Antiquaires. Une deuxième galerie est inaugurée rue de Lille, dans le prestigieux Carré Rive Gauche… Mais ce n’est qu’en 1985 qu’Anthony Meyer s’installe au 17, rue des BeauxArts, au cœur même du quartier historique des marchands d’arts primitifs. On connaît la suite… Une trentaine d’années plus tard, Anthony Meyer s’est imposé comme l’un des meilleurs experts de l’art océanien sur lequel il a publié un ouvrage de référence en 1995. « À chaque fois que je ressentais une attirance indescriptible devant une pièce d’art primitif, c’était presque toujours un objet de cette région du monde », confesse Anthony Meyer. S’il a d’abord découvert les massues, les hameçons ou les battoirs à tapas de Polynésie, le marchand est tombé ensuite sous le charme hypnotique et violent de l’art mélanésien.
Pour la prochaine édition de la Foire d’art européenne de Maastricht, il présentera ainsi une sélection pointue de pièces Asmat dont la force plastique le dispute à l’inventivité. « Sur les milliers d’œuvres d’art produites par ce peuple originaire de la province indonésienne de Papouasie, il n’en subsiste hélas que très peu en raison du milieu écologique dans lequel elles ont été produites.
En outre, la plupart des objets créés ne sont pas faits pour être conservés, ce qui renforce encore leur rareté. Ajoutez à cela le fait que Michael C. Rockefeller, le fils du milliardaire américain, a été tué lors d’une de ses expéditions en pays Asmat, et vous comprendrez combien cet art a longtemps été frappé d’un parfum d’aventure », explique ainsi Anthony Meyer devant cet extraordinaire tambour mesurant plus d’un mètre et dont le décor en relief se compose précisément de quatre corps décapités ! S’agit-il de l’illustration d’un mythe, ou de l’effrayante description d’un rituel ? Il est vrai que les Asmat s’adonnaient, il y a encore quelques décennies, à la pratique de la chasse aux têtes afin d’assurer l’équilibre cosmique au sein de la communauté…
Notre attention se reporte aussitôt sur ce spectaculaire crochet du Moyen-Sepik, en PapouasieNouvelle-Guinée, combinant le corps stylisé d’un crocodile et la tête grimaçante d’un ancêtre aux
yeux incrustés de coquillages. Là encore, le sculpteur océanien a fait preuve d’une stylisation et d’une audace qui forcent l’admiration ! Non moins saisissante apparaît cette petite effigie féminine en bois recouverte de pigments rouges. Probablement collectée par un officier colonial allemand avant 1914, elle dégage en dépit de sa taille (environ 50 cm) une extraordinaire impression de force et de monumentalité…
Aux collectionneurs vaguement effrayés par la violence quasi expressionniste de l’art mélanésien, l’on ne saurait trop conseiller de jeter leur dévolu sur ces ravissantes statuettes en ivoire esquimaudes d’une stylisation parfaite. La plus fascinante d’entre elles est, sans conteste, cette silhouette féminine aux mains jetées dans le dos, la tête basculée vers le ciel. Sculptée entre 600-1200 de notre ère, cette « idole » d’une pureté toute « brancusienne » est manifestement l’œuvre d’un immense sculpteur…