Les découvertes faites à Arles, dans le lit du Rhône, ont eu un grand retentissement et le directeur du Musée d’art et d’histoire de Genève, Jean-Yves Marin voulait en faire profiter les Genevois, avec l’aval enthousiaste de Claude Sintes, directeur du Musée départemental.
Le titre de l’exposition genevoise fait référence à César et au Rhône. Le Rhône, parce que ce fleuve unit Arles à Genève ; César, parce que, outre le fait qu’Arles lui doit sa fondation en qualité de colonie (46 av. J.-C.), c’est le dictateur qui a fait entrer Genève dans l’Histoire, en racontant dans la Guerre des Gaules comment il s’était précipité dans cette cité douze ans auparavant afin de couper le pont sur le Rhône, interdisant ainsi aux Helvètes la migration en territoire romain.
En 1862 déjà, des trouvailles fortuites (patères en argent) ont montré l’importance du Rhône du point de vue archéologique. Mais c’est à partir de 1986, que se sont succédé à un rythme soutenu les découvertes spectaculaires, qui ont nécessité la création d’un nouveau musée, lequel va être agrandi encore. Ces découvertes sont le résultat d’une exploration systématique et la plus rigoureuse possible, malgré les mauvaises conditions de plongée: pollution de l’eau (on n’y voit pas à un mètre !), courants violents et accumulation de déchets modernes.
L’exposition est comme il se doit centrée sur le Rhône et la navigation. Dans l’Antiquité, on privilégiait le transport par voie d’eau, plus économique et plus sûr pour les marchandises lourdes ou fragiles. Le Rhône jouait un rôle majeur dans le flux commercial unissant le Nord et le Sud. À Arles, les installations portuaires se trouvaient sur la rive droite. Pas moins de quinze épaves ont été localisées dans cette zone. Il s’agit de chalands fluviaux, assez solides pour transporter de lourdes charges, même des blocs de pierre sortis des carrières. Dans l’exposition, le visiteur peut découvrir un relief qui montre comment les « dockers » emballaient les marchandises ; un autre, emprunté au Musée d’Avignon, de quelle façon on pratiquait le halage pour remonter le courant. Son attention sera aussi attirée par
une roue en bois, parfaitement conservée, provenant d’un char servant au transbordement des cargaisons. À quoi s’ajoutent les nombreux objets qui le renseigneront sur le matériel de bord et l’accastillage des bateaux, dont un quinçonneau servant au blocage des cordages du gréement et le disque d’une pompe de cale. Et, pour compléter cette partie consacrée à la navigation, les organisateurs ont eu la bonne idée d’exposer trois inscriptions sur pierre découvertes à Genève et conservées au Musée d’art et d’histoire. L’une est l’épitaphe d’un certain Aurelius Valens, responsable d’un bureau de taxation des marchandises, les deux autres émanent d’associations professionnelles : les transporteurs du Léman (nautae lacus lemanis) et les bateliers du cours supérieur du Rhône (ratiarii superiores).
Bien entendu, le commerce du vin tenait une place prépondérante. Le nombre des amphores vinaires retrouvées en témoigne. Très intéressante dans ce contexte est une petite cruche en céramique qui porte une inscription peinte, mentionnant le nom d’un grand cru italien, l’Albanum. Cette cruche servait d’échantillon pour les acheteurs potentiels.
On l’a compris : l’exposition genevoise est prioritairement archéologique, c’est-à-dire axée sur les vestiges en rapport avec la vie matérielle. Néanmoins les amateurs d’art ne se sentiront pas frustrés. En effet, une bonne part de l’exposition se trouve consacrée à Arles en tant que cité (Arelate), si imposante qu’on l’a qualifiée de Petite Rome.
C’est sur la rive gauche que se trouvait le centre de la cité : forum, théâtre, amphithéâtre, temples et monuments divers (encore à localiser), portiques, thermes et, à l’extérieur des murailles, le cirque dévolu aux couses de chars. Un pont de bateaux, relevable aux deux extrémités, permettait l’accès au faubourg de la rive droite (aujourd’hui Trinquetaille). Lors de sa plus grande extension, au IIIe siècle, l’ensemble de la cité couvrait une centaine d’hectares.
On sait encore peu de choses sur les cultes pratiqués à Arles, mais on peut admirer dans l’exposition des statues de divinités, à commencer par celle de Neptune, dédiée par une association de bateliers. Des domus qui s’alignaient le long des rues rectilignes proviennent des fragments de peinture murale et des pavements en mosaïque, sans compter toutes sortes d’objets en bronze, des statuettes, un support de lampe à huile (superbe !), de la vaisselle, deux éléments d’un lit de banquet et des ustensiles de toutes sortes. Quant aux témoignages des pratiques funéraires, ils ne manquent pas non plus. L’exposition présente notamment plusieurs sarcophages, certains monumentaux, dont on se demande comment les équipes du musée ont réussi à les introduire dans les salles. Le plus beau de ces sarcophages, exécuté à Rome vers 240, raconte sur son flanc le mythe de la création de l’homme par Prométhée. Il fut remployé pour recevoir la dépouille de saint Hilaire, archevêque d’Arles.
Mais le clou de l’exposition est peut-être, bien qu’elle n’ait aucun rapport avec les fouilles du Rhône, la statue connue sous le nom de Vénus d’Arles. Trouvée en quatre fragments dans les ruines du théâtre (1651) et restaurée par Girardon, elle fut offerte à Louis XIV, qui voyait en elle « la plus belle femme de son royaume ». D’abord installée dans le parc de Versailles, elle se trouve actuellement au Musée du Louvre, lequel a bien voulu la prêter à titre exceptionnel.
Reste le buste qui figure sur l’affiche de l’exposition et veut la symboliser. Sorti du Rhône en 2007, il fit sensation et on l’interpréta aussitôt comme le portrait de Jules César. Depuis lors cette identification a été mise en doute. Quoi qu’il en soit, le visiteur peut juger par lui-même, deux monnaies à l’effigie du dictateur étant présentées juste à côté pour comparaison. À noter qu’on ignore l’emplacement d’origine du buste, comme d’ailleurs celui du grand bronze représentant un captif. À l’évidence, celui-ci accompagnait un trophée monumental, dont on trouve un parfait exemple sur un denier d’argent frappé par Jules César en 46/45 av. J.-C. pour commémorer la soumission définitive des Gaules.