Plus de cinquante ans après sa première venue à Paris, en 1967, le plus célèbre pharaon de l’histoire égyptienne s’installe avec son somptueux bagage funéraire à la Grande Halle de la Villette. Fruit d’une collaboration entre le Ministère des Antiquités égyptiennes et le musée du Louvre, l’exposition se veut immersive et réunit quelque cent cinquante chefs-d’œuvre de toute beauté…
Qui n’a rêvé, enfant, devant ce beau visage juvénile aux lèvres sensuelles et aux yeux fardés… Joyau du Musée égyptien du Caire, le masque en or de Toutânkhamon a, depuis sa découverte en 1922, cristallisé tous les fantasmes, suscité même des vocations…
Aussi raffiné soit-il avec ses incrustations de turquoise et de lapis-lazuli, cet ornement funéraire n’était pourtant qu’une des innombrables pièces du trousseau censé accompagner le jeune pharaon dans son dernier voyage. Selon l’égyptologue Dominique Farout, conseiller scientifique de l’exposition, « la tombe contenait en effet autant d’objets que ce que le département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre présente dans l’ensemble de ses salles » !
On comprend dès lors l’émotion de l’archéologue britannique Howard Carter et de son mécène Lord Carnarvon lorsque, à la lumière des torches vacillantes, les trésors allaient petit à petit surgir de l’obscurité et s’offrir à leurs yeux dans leur splendeur intacte. « D’abord, juste en face de nous, se trouvaient trois grands lits funéraires dorés, dont les montants sculptés figuraient des animaux monstrueux, au corps curieusement étiré, mais dont les têtes étaient d’un réalisme étonnant. […]. Puis, sur la droite, deux statues du roi, en bois, grandeur nature, se faisant face telles des sentinelles, habillées d’un pagne et de sandales d’or, armées d’une massue et d’une longue canne, portant au front le cobra sacré », rapportera ainsi le découvreur de la tombe dans son récit fiévreux, aussi palpitant qu’un roman ! (La Tombe de Toutânkhamon, traduction française, Éditions Pygmalion, 1978). Surgiront bientôt des centaines de coffres peints, empilés les uns sur les autres, des vases et des coupes en albâtre contenant huiles parfumées et onguents, un trône et des chaises en or somptueusement travaillés, des cannes, des boîtes, ainsi que des éléments de char curieusement démontés. Mais l’émotion des deux hommes devait atteindre son comble lorsque ces derniers s’aperçurent que la plupart des objets portaient bel et bien le nom de Toutânkhamon, ce jeune pharaon de la XVIIIe dynastie mort dans la fleur de l’âge aux alentours de 1326 avant notre ère…
Trois longues années vont cependant s’écouler entre la découverte de l’entrée de la tombe, en novembre 1922, et le face-à-face de l’archéologue britannique avec la momie royale qui reposait, depuis des siècles, au fond du dernier sarcophage, dans l’obscurité protectrice de son hypogée. Le dégagement de l’entrée du tombeau démarrera en effet le 10 octobre 1925, à 6h30 précisément. L’antichambre est alors vidée de son mobilier, la chambre mortuaire débarrassée de ses chasses dorées. Immortalisée par les clichés d’Harry Burton, le photographe de la mission, la découverte de la dépouille royale, sous le troisième cercueil en or massif, a des allures de révélation. « Sous nos yeux, occupant tout l’intérieur du cercueil d’or, gisait une impressionnante momie nette et soignée, sur le corps de laquelle on avait répandu des onguents, noircis et durcis par le temps. Contrastant avec la couleur sombre du corps, un magnifique masque d’or brillant, représentant le visage du pharaon, couvrait la tête et les épaules », se souviendra avec émotion Howard Carter.
Il n’en faudra pas davantage pour que le monde entier (réalisateurs de cinéma, décorateurs, couturiers, joailliers…) s’entiche de ce monarque aux doux traits juvéniles ayant traversé les millénaires dans son linceul d’apparat. Près d’un siècle plus tard, archéologues, scientifiques et historiens de l’art ont, quant à eux, scruté à la loupe le moindre objet, la moindre inscription pour retracer les circonstances de la mort prématurée du jeune pharaon et ont analysé avec soin le contenu de sa tombe. Selon les dernières conclusions de leurs travaux, il apparaît ainsi que Toutânkhamon est vraisemblablement né vers 1340 avant notre ère dans la ville de Tell elAmarna, la capitale fondée par son père, le pharaon hérétique Akhénaton. Il monte sur le trône à l’âge de huit ou neuf ans et s’unit avec sa demisœur, la princesse Ânkhésenamon, dont il aura deux filles, mortes à la naissance et enterrées à ses côtés, dans la Vallée des Rois. Conduit par une équipe de chercheurs dirigée par l’archéologue égyptien Zahi Hawass, l’examen de sa momie a par ailleurs démontré que le pharaon n’avait pas succombé à un assassinat, mais bien plutôt à une septicémie consécutive à une fracture ouverte du fémur. En outre, de constitution fragile, Toutânkhamon avait un léger pied-bot et souffrait de la malaria…
Or c’est ce pharaon n’ayant régné qu’une dizaine d’années (et dont le nom et les statues furent consciencieusement martelés par ses successeurs !), qui devait accéder à une gloire éclatante quelque 3’200 ans après sa mort. Sans doute le caractère sensationnel de la découverte de sa tombe et la somptuosité de son mobilier funéraire ne sont pas étrangers à cette « Tut-mania », pour reprendre le terme employé par les Anglo-Saxons.
Ironie du sort, l’on sait désormais que certaines des pièces les plus fameuses du tombeau de Toutânkhamon n’étaient pas, à l’origine, destinées au pharaon, mais à une reine qui ne serait autre que la princesse Mérytaton, sa sœur aînée. Surpris par le décès brutal de leur souverain, les ouvriers de la nécropole royale furent en effet contraints de se rabattre sur une autre tombe pouvant être utilisée et décorée rapidement, une fois le mobilier funéraire installé. C’est tout du moins ce que suggèrent ces éclaboussures de peinture jaune laissées par mégarde par les peintres sur la chapelle extérieure en bois doré…