C’est une nuit d’apocalypse que les Parisiens ont vécue, ce 15 avril 2019, lorsque l’ensemble des chaînes françaises, relayées aussitôt par celles du monde entier, n’ont montré qu’une seule image : la cathédrale Notre-Dame en flammes. Au moment où la flèche de Viollet-le-Duc, haute de quatre-vingt-dix mètres s’est écrasée dans une nef déjà privée de sa charpente en bois du XIIIe siècle, un monde semblait s’écrouler.
Ce n’est pourtant pas la première fois que Notre-Dame subit de tels outrages. Avant la Révolution, trumeaux et tympans de la façade avaient été détruits, la flèche s’était écroulée en 1792, faute d’entretien. Quant aux vingt-huit rois de Juda surplombant la façade occidentale, ils furent arrachés et décapités…
Tous ces méfaits, et beaucoup d’autres, commis sur des bâtiments mal entretenus, ont poussé Victor Hugo, jeune poète romantique et légitimiste à pousser un cri d’alarme. En 1831, dans Notre-Dame de Paris, 1482, l’écrivain, répondant à une commande de son éditeur, ce qui montre que le sujet était porteur, avait fait de la cathédrale le sujet principal de son roman. Le chef-d’œuvre du roman historique. Le livre, illustré par des artistes célèbres connut immédiatement un succès planétaire. Il fut traduit dans des dizaines de langues et ses adaptations pour le théâtre, pour le cinéma et pour le music-hall ne se comptent plus.
Victor Hugo et ses amis romantiques, Nodier, le baron Taylor, Mérimée, Vitet, n’ont cessé d’attirer l’attention sur l’état de délabrement des monuments. C’était l’époque de l’invention du patrimoine. On commençait à en faire la liste.Impossible de faire abstraction de l’actualité en visitant l’exposition, Paris romantique, 1815-1848, dont les deux parties se tiennent parallèlement au Petit Palais et au musée de la Vie romantique, du 22 mai au 15 septembre, et dans laquelle la cathédrale et sa redécouverte au temps de Victor Hugo occupent une place importante. Jean-Marie Bruson et une équipe composée de nombreux spécialistes la préparent depuis plusieurs années, mais les événements récents lui confèrent une signification particulière et c’est sans doute avec émotion que l’on traversera les différentes salles, conçues comme une promenade à travers les lieux emblématiques d’un Paris qui, en grande partie, n’existe plus.
En effet, les Tuileries, après avoir été pillées pendant la Révolution de Février, ont définitivement brûlé sous la Commune ; le Palais-Royal ne ressemble plus à celui que décrit Balzac ; le Louvre abritait dans sa cour, entre l’actuelle pyramide et le Petit Carrousel, tout un quartier, le Doyenné, qui a disparu. Gautier y habitait, ainsi que Nerval, Arsène Houssaye, Camille Rogier. Le Paris romantique est celui d’avant Haussmann, c’est celui d’Eugène Sue, d’Alexandre Dumas, de Balzac, de Victor Hugo. Un Paris dont, depuis les Encyclopédistes, on déplorait l’insalubrité avec ses rues étroites et sales, peu sûres la nuit, mal éclairées où les épidémies sévissaient.
Ce Paris romantique est aussi celui des derniers salons littéraires, de Madame Récamier, de Nodier à l’Arsenal, du Cénacle de Victor Hugo, du Salon de Delphine de Girardin, de l’atelier des frères Scheffer (l’actuel musée de la Vie romantique). Des théâtres. Que ce soit l’Opéra, le Théâtre-Italien, l’Opéra comique, la Comédie-Française, sans parler des scènes de boulevard.
À travers cette exposition d’environ sept cents œuvres, objets et documents, le visiteur revit cette époque qui est restée familière. Beaucoup de vers de Victor Hugo ou de Musset, des pages de Balzac ou de Vigny, des mélodies de Berlioz ou de Chopin, des tableaux de Géricault ou de Delacroix nous sont connus. Mais du point de vue topographique, le Paris romantique s’est fondu dans le Paris moderne. Quant au mobilier, aux costumes, aux objets, ils sont devenus des curiosités historiques. Les mœurs et les mentalités sont à mille lieues des nôtres… C’est ce qui caractérise le Romantisme : il est à la fois proche et lointain. C’est sans doute ce qui fait son charme et nous fascine.