Rencontrer Philippe Sollers est toujours une joie. Personne n’est plus attentif ni plus généreux. Parler de sa passion pour les arts ? Il est d’accord ! Rendez-vous dans son bureau chez Gallimard. Aux murs, des reproductions de tableaux de Picasso, un poème chinois calligraphié, la peinture d’un cavalier par Giuseppe Castiglione, ce jésuite italien fou de Chine. Sur son bureau, une carte postale représentant le jeune fils de Manet en canotier ; des objets, un lingam indien, un petit éléphant en ivoire, un gros dé noir, et un DVD sur « le Nouveau », son dernier roman paru chez Gallimard. Près de la fenêtre ouverte, qui donne sur une terrasse et des fleurs, des portraits de Joyce et de Voltaire sur une étagère. Et puis des livres, des livres partout, toute une bibliothèque… « Pour savoir écrire, il faut savoir lire, et pour savoir lire, il faut savoir vivre ». Cette phrase de Guy Debord, que Philippe Sollers aime citer, a valeur de preuve. Encore faut-il comprendre ce dont il s’agit, de l’intérieur. Qu’il parle de peinture, de musique ou de littérature, c’est toujours en artiste que Sollers entre en conversation avec les aventuriers de la vie que sont les peintres, musiciens et écrivains avec lesquels il a choisi de voyager dans le nouvel espace-temps de l’Infini. Mais d’abord, une précision. Selon l’étymologie, Sollers, pseudonyme que le jeune Philippe Joyaux a trouvé dans le dictionnaire Gaffiot au moment où il publie, encore mineur, son premier roman, « Une curieuse solitude », vient de « solus » et « ars ». Autrement dit, « tout entier art ». Signé Sollers. Avec deux « l ». Est-ce assez clair ?
Trois ans après votre rencontre avec Dominique Rolin, s’ouvre à Paris en 1961 une exposition Poussin qui a priori ne vous intéresse pas… C’est en tout cas ce que Dominique m’a confié au cours d’un des entretiens que j’ai eus avec elle pour l’écriture de « Plaisirs suivi de Messages secrets » paru récemment dans la collection L’Infini chez Gallimard. Convaincu par elle, vous décidez finalement de vous y rendre… Et là, stupeur : c’est une révélation ! Est-ce Dominique Rolin qui vous a appris à voir ?
Philippe Sollers : Ce qu’il y avait d’immédiat chez Dominique Rolin, c’était sa manière de trouver les mots toujours justes et pensés sur n’importe quel tableau qui requérait son attention. Il lui arrivait souvent de m’envoyer des cartes postales représentant des tableaux, de Picasso par exemple, dont elle me faisait une description immédiatement vivante. Elle était douée en ce sens car elle était dessinatrice. Dessiner a même constitué une grande partie de son apprentissage… Or aller de l’œil à la main n’est pas donné à tout le monde… J’aurais été incapable de faire son portrait, alors qu’il existe des portraits de moi parfaitement réalisés par elle… Ce don pour le dessin, et c’est très important de le noter, est à rapprocher de son écriture, elle-même tout à fait étonnante, dans la mesure où le flux arrondi de sa graphie prend ce qu’il faut de la page au point de sacraliser cette page, exactement comme s’il s’agissait d’une peinture. Plus remarquable encore, la façon dont elle avait l’impression au réveil d’écrire sous la dictée de son rêve, avec une précision tout à fait claire, les histoires très détaillées et vues qu’elle avait vécues pendant la nuit. J’ai d’ailleurs publié « Train de rêves », un recueil de ses rêves, et je pourrais en publier un deuxième, voire un troisième tome, si j’ouvrais les cahiers qu’elle m’a confiés. De ce point de vue, on peut dire de Dominique Rolin qu’elle était médium. Cette capacité médiumnique, elle l’utilisait aussi dans son observation de la société avec une grande pénétration et jusque dans ses jugements sans appel : traversée des grimaces lorsqu’elle se trouve à Juan-les-Pins chez Florence Gould par exemple, où il y a des portraits terribles de certains invités dans les lettres qu’elle m’envoie chaque jour… Il existe enfin de très beaux textes de Dominique sur la peinture,en particulier sur « L’Agneau mystique » de Van Eyck et tout un livre sur Breughel. Ma revanche sur ce terrain est de lui avoir fait connaître la peinture italienne qui n’existait pas vraiment dans son champ de vision à l’époque. Et si j’ai souvent dit que Dominique voyait mieux que moi, j’entendais mieux qu’elle. Au moment de notre rencontre, elle n’était pas tout à fait au courant du fait musical. La musique lui a été révélée par moi, alors que sa façon de revoir la peinture m’était très sensible. Il y a eu complémentarité. L’exposition Poussin a en effet tout déclenché. Je me souviens d’ailleurs que la publication de mon texte écrit après avoir vu l’exposition, « Lecture de Poussin », m’avait valu une certaine somme d’argent… Je lui ai tout de suite offert une petite montre en or, qu’elle a gardée jusqu’à la fin de sa vie, pour son regard.
Très vite, vous décidez de partir pour Venise deux fois par an, trois semaines au printemps et en automne, avec Dominique Rolin, pendant près de quarante ans. Et là, vous êtes happé par la splendeur de Venise liée à la Renaissance italienne, à la Contre-Réforme, au triomphe du catholicisme, à l’effervescence des femmes, Vierges et Vénus de Titien, de Tintoret, ciels étourdissants de Tiepolo, etc. Quel impact a eu cette ville dans votre connaissance des arts ?
Lieu de convergence sans équivalent au monde de peintures et de musiques, Venise est bien sûr le fond de la culture occidentale majeure. Venise se dissimule sous Venise, mais dès que l’on entre vraiment dans la ville, loin des touristes, on y vit dans l’éblouissement permanent. Tous les sens sont convoqués. Donc tout ressort ! Soit vous prenez toute cette beauté et vous êtes pris par elle, et cela donne, si vous êtes écrivain, un nombre de pages considérable, soit vous rejetez Venise. Venise révèle les êtres. Si vous allez mal, vous irez encore plus mal. Si vous êtes heureux, vous le serez au centuple. Nous travaillions, Dominique et moi à Venise, d’une manière extrêmement disciplinée, elle sur le ponton en face de l’hôtel de la Calcina où nous descendions ou, s’il pleuvait, dans la « chambre aux trois fenêtres » et moi, toujours dans cette même chambre, elle et moi dos à dos dans une sorte d’émulation étrange. Il ne faut jamais oublier que nous sommes deux écrivains qui écrivent en sachant qu’ils vont se lire et comprendre ce qu’ils écrivent, qu’ils vont donc se lire vraiment, qu’il s’agisse des lettres qu’ils s’échangent, de textes romanesques ou d’essais. Sartre et Beauvoir se sont beaucoup écrit aussi, mais ce sont d’abord deux philosophes… Rome est leur ville d’élection, ils y reviennent souvent. Pas du tout Venise, que Sartre déteste. Il y a trop d’eau, il fantasme sur Beauvoir qui marcherait derrière une langouste… Bref, ça ne va pas. Venise, c’est trop ! Trop de beauté, trop de peintures, trop de musiques, trop de tout… Ma devise concernant Venise ? Jamais trop !
« Mon intérêt pour les femmes est le motif au sens pictural qui a impulsé mon écriture » avez-vous écrit dans « Vision à New York ». Puis plus tard, « Un événement en peinture est toujours et à coup sûr un événement sur la représentation du corps féminin » dans « Éloge de l’infini ». Vous insistez sur la primauté des sensations sur les idées en affirmant que « ce n’est pas le cogito qui peut ouvrir les yeux sur la nature et l’étendue du temps ». On comprend que l’art, quelle que soit la forme qu’il prend, peinture, musique ou littérature est seul capable de rendre compte de cette dimension… Que voulez-vous dire ?
L’exemple qui permet de comprendre ce que je dis, c’est l’« Olympia » d’Edouard Manet peinte en 1863. Le peintre a trente deux ans quand il réalise ce tableau d’une femme nue, allongée dans la même position que celle de la « Vénus d’Urbino » de Titien, datant de 1538. Au moment de son exposition au public parisien, tout le monde se rassemble autour de cette « Olympia » pour siffler l’artiste, ricaner et cracher sur la toile. Il faut même protéger le tableau de la foule… Ces réactions hostiles et les attaques virulentes de la presse qui ont suivi ont beaucoup affligé Manet, très sensible aux critiques. Pour lui, il ne s’agissait pas de faire de l’art moderne. Son ambition consistait à faire aussi bien que la Vénus de Titien. Et il a fallu attendre la grande exposition Titien/Manet à Venise en 2013 pour s’en rendre compte. Il voulait faire classique, donc c’était révolutionnaire, justement parce que l’« Olympia » était déjà un classique, avant que les pseudo-critiques ne puissent s’en aviser. Manet dit quelque chose d’essentiel à son époque de la transformation de la représentation du corps féminin. Ce n’est plus la déesse Vénus qui est représentée dans l’Olympe de Titien, c’est une femme ordinaire qui prend la pose, en fait une courtisane, à qui un homme vient d’offrir un bouquet, et qui regarde le peintre les yeux dans les yeux. C’est évidemment révolutionnaire. Au moment où je sors « Femmes » en 1983, je veux écrire un roman classique. Immédiatement, la presse s’emballe. Au « Monde », Bertrand Poirot-Delpech (qui entrera plus tard à l’Académie française) est furieusement contre. Jacqueline Piatier, dans ce même journal, et alors qu’elle n’était en général pas tendre à mon égard, me défend parce qu’elle perçoit le côté prophétique du livre. Qui d’autre a pris des risques en littérature à cette époque sur la question des femmes ? Personne. De Kooning, que j’ai rencontré à New York au moment où j’écrivais « Femmes » travaille en peinture avec ses « Women » dans cette même dimension. En littérature, à part moi, je ne vois pas. Par sa liberté d’esprit, Dominique était au courant de ma vie assez débauchée, évidente lorsque nous habitions à Barcelone au début des années soixante. Pas question pour moi de fidélité sexuelle, je faisais mes études au Barrio Chino de Barcelone, après Picasso et Bataille. Il est très rare qu’une femme puisse supporter cela, car elle veut être la seule à être désirée au monde, sans qu’il y ait de concurrence sur ce plan. Or je suis un athée sexuel. Là-dessus, il n’y avait pas de discussion possible. À la fin des « Mots », Sartre écrit « Si je range l’impossible au magasin des accessoires, que reste-t-il ? Tout un homme fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui ». Cette phrase ne peut pas être transposée au féminin. Malgré les déclarations d’ensemble et les intérêts exponentiels dus aux techniques de reproduction à partir des corps féminins, cette impossibilité éclate aux yeux de tous. Il s’agissait pour moi dans « Femmes » de diagnostiquer l’époque assez froidement. Nous y sommes.
Reste que « l’aiguille magnétique du XVIIIe siècle » demeure à jamais pour vous le meilleur antidote aux névroses actuelles. Au XXIe siècle, le XVIIIe siècle est toujours là comme un paradis précis, présent et vérifiable, avec Watteau, Fragonard et Vivaldi… Pourquoi cette aimantation constante de votre imaginaire vers le XVIIIe siècle ?
Vous oubliez Casanova ! Je me souviens pourtant avoir vu une jeune femme blonde charmante dans la maison de Casanova à Venise… Ai-je rêvé ? Le XVIIIe siècle est devant nous, il ne demande qu’à vivre. Francis Bacon sur lequel j’ai écrit un essai, « Les passions de Francis Bacon » en 1996 et que je voyais souvent en conciliabule, tête contre tête, avec Michel Leiris au bar du Pont Royal au moment où j’ai publié en 1987 « Les surprises de Fragonard » qu’il avait lu, a dit un jour à la cantonade au barman à qui il faisait une cour intensive, en parlant de moi et devant moi, « Sollers n’écrit pas sur la peinture de Fragonard, mais comme lui peignait ». Il avait saisi quelque chose d’essentiel dans le rythme et les « sensations colorantes » de mon écriture. Je connais un collectionneur de manuscrits qui a toujours sur lui une petite feuille de l’écriture de celui qui lui est indispensable : le marquis de Sade, tout droit sorti du XVIIIe siècle lui aussi, et qui avait une très belle écriture. Il pourrait collectionner des tableaux, mais non, il préfère les manuscrits. Il veut la main qui a fait ça… Il s’est épris de mes manuscrits. Donc, c’est très agréable. Il m’a demandé le manuscrit de mon essai sur Cézanne, « Le Paradis de Cézanne ». Il a certains manuscrits de mes romans, « Femmes » par exemple… Tous mes romans sont écrits à la main, d’une écriture très rapide, à l’encre bleue que j’achète à Venise, très lisibles, puis ils sont tapés à la machine. Les manuscrits comme œuvres d’art s’imposent de plus en plus au XXIe siècle, c’est-à
dire au moment où il n’y en a plus, puisque tout est rédigé directement sur ordinateur. Les disques en vinyle reviennent eux aussi…
« La photo vise la mort, la peinture sonde le vif », dites-vous. S’il y a des exceptions, le photographe Willy Ronis par exemple, à propos duquel vous avez écrit, à sa demande, une préface à « Nues », un très beau livre de photographies de jeunes femmes extraordinairement vivantes et fraîches, votre analyse sonne évidemment juste. Cela vaut-il aussi selon vous pour le cinéma et plus largement pour les images en mouvement ?
J’ai réussi à préserver ma liberté en utilisant au maximum mes capacités physiques à la télévision. Cela m’a été reproché, à tort. Donc, il y a me concernant des archives considérables… Tout se passe aujourd’hui sur le Net. Il y a des personnes qui retrouvent des archives oubliées, ce sont des moments de télévision qui resurgissent… Je me suis saisi de cela avec aisance puisque je peux le faire. Je sais le faire et donc, je le fais. J’interviens dans ce champ-là, en apparaissant à la télévision, en parlant à la radio, en réalisant aujourd’hui des films avec Sophie Zhang et G.K. Galabov. Je brouille l’image que les gens voudraient fixer de moi. « Je déteste la mort parce qu’elle détruit la raison », pensait Casanova. C’est beau, on voit à l’instant même son corps en mouvement quand il dit cela… On voit aussi le corps de Proust, même confiné dans sa chambre de liège, et on obtient ce que beaucoup voudraient évacuer : des textes sortant de corps plus vivants que ceux des vivants.
Manet, Cézanne, Picasso, ces trois génies de la peinture ont regardé la mort en face. Et ils l’ont traversée. Ce moment, vous l’avez saisi en écrivant sur Suzon, la serveuse de « Un bar aux Folies Bergère » ou sur les fleurs coupées de Manet dans « Les Folies françaises », les portraits du jardinier Vallier dans votre essai sur Cézanne ou « Guernica » dans « Picasso, le héros »…
Il n’y a pas de bleu sans noir. Dans le portrait au canotier du jeune fils de Manet, un chef-d’œuvre très français, en réalité un autoportrait, il y a un fond noir très profond, et une détermination extraordinaire dans le visage de l’enfant. Sa reproduction, sur mon bureau, me soutient. Il ne s’agit pas de religion, car l’immortalité c’est tout de suite, constamment, instant après instant. Raison pour laquelle je n’ai jamais voulu devenir Immortel dans le mouroir de l’Académie française. L’art comme « élévation de pensée » selon la formule de Cézanne ne se confond pas avec une spiritualité mystique ou religieuse. L’art vise une connaissance et c’est le résultat d’une connaissance. Une connaissance gnostique dont le grand spécialiste se nomme Henri-Charles Puech. Il a écrit « En quête de la gnose » en deux volumes chez Gallimard ainsi qu’un livre fondamental sur le manichéisme. Il faut lire ces livres pour savoir ce dont je parle… Aujourd’hui, même si je mets le catholicisme en avant pour des raisons stratégiques, l’Église est dans un état de dévastation inouïe dont l’incen die de Notre-Dame porte la marque. Ce dont je parle ici ne peut pas être ruiné. La grande erreur du catholicisme a été de croire dominer la question sexuelle, mais il est impossible de s’en sortir avec une telle névrose… L’art a toujours donné des contre-feux considérables à cette névrose dans le temps avec des œuvres comme celles de Titien et de Tintoret qui ne sont pas des nigauds sexuels ! L’un et l’autre proposent une collection d’instants et de sensations qui offrent une vision très singulière du Temps. Regardez mieux « L’Amour sacré et l’Amour profane », ce chef-d’œuvre de Titien… « Je vous dois la vérité en peinture, et je vous la dirai » a écrit Cézanne en son temps. La peinture n’est pas une image, mais de la sculpture qui tient toute seule en l’air, visible de partout et surtout de l’intérieur. Il faut entrer dans les tableaux. Et ce n’est naturellement pas un hasard si Bernin a appelé une de ses sculptures, qu’on peut voir à la Villa Borghese à Rome, « La Vérité révélée par le Temps ». Dans cette perspective métaphysique, les artistes sont les voyageurs du Temps. Et c’est le titre d’un de mes romans.
Que voulez-vous dire ?
« Je cherche à saisir le mouvement de la chair et du sang à travers le temps » écrivait Picasso, qui n’est jamais aussi instructif que quand il tient à dater ses tableaux, certains réalisés le même jour avec deux femmes différentes et dans deux circonstances différentes… Ce qui lui faisait dire qu’il n’aurait jamais pu travailler s’il lui avait fallu changer d’atelier à chaque fois qu’il rencontrait une femme. Voyez « Ma jolie », tableau de 1912, qui évoque Eva Gouel. Elle sera son grand chagrin lorsqu’elle meurt en 1915. J’en ai une reproduction dans mon bureau chez Gallimard. Et juste en dessous, autre reproduction du tableau intitulé « Les Amoureux », daté de 1919. En haut à droite de ce tableau, une inscription dans un petit rec
tangle : Manet. Picasso se place sous le signe de Manet. Personne n’y pense à cette époque, sauf lui. Les singularités se reconnaissent à travers le temps. Nous sommes aujourd’hui dans l’espace-temps de la mécanique quantique. L’ancien espace-temps, qu’on le veuille ou non, n’existe plus. Qu’est-ce que ce nouvel espace-temps ? Voici la définition du dictionnaire : il s’agit d’un « espace à quatre dimensions dont les points sont des événements ». Et qu’est-ce qu’une singularité dans l’espacetemps ? « Un point dans l’espace-temps où la courbure de l’espace-temps devient infinie ». Autrement dit, cette quatrième dimension de la singularité englobe les trois autres, le passé, le présent et le futur. Dans le nouvel espace-temps, les singularités sont des aventuriers qui ne demandent qu’à vivre et à revivre. Ce sont eux qui m’intéressent, loin de toute appartenance sociale ou politique, et ils sont nombreux. Ils s’appellent Manet, Picasso ou Mozart, Montaigne, Joyce ou Monteverdi… Et il s’agit en réalité du même artiste contradictoire qui existe à travers le Temps.
PARCOURS
1936 | Naissance à Talence, en Gironde le 28 novembre, dans une famille de notables de la bourgeoisie bordelaise. Son père, Octave Joyaux, dirige l’usine familiale. Sa mère, Marcelle Molinié, est parisienne, fille de Louis, champion du monde d’escrime, propriétaire de chevaux et patriarche de la famille. Le père du grand-père maternel est marin. Il jette l’ancre de son bateau, « le Nouveau », au Martray, entre marais et océan, à l’île de Ré. La demeure sera rasée par les Allemands pendant la guerre, puis reconstruite et devient le refuge de l’écrivain.
Enfance de rêve, solitaire et heureuse, adolescence éveillée. Il découvre Montaigne et Montesquieu à Bordeaux, in situ.
1957 | Premier texte, « Le Défi », publié par Jean Cayrol au Seuil.
1958 | Premier roman, « Une curieuse solitude » encensé par Mauriac et Aragon. Il y transpose son histoire d’amour avec Eugenia, anarchiste basque espagnole, employée par la famille Joyaux.
Rencontre décisive, le 28 octobre 1958, avec Dominique Rolin, « La Grande Petite Jolie Belle Beauté » à qui est dédiée le « Dictionnaire amoureux de Venise » et qui apparaît dans tous ses romans.
1959 | Mort de son ami Pierre de Provenchères, tué à vingt-cinq ans le 24 août, lors d’une opération pendant la guerre d’Algérie, à Tougara en Grande Kabylie. Il lui dédicace son premier texte paru dans la revue « Tel Quel », en mars 1960.
1960 | Fondation de la revue « Tel Quel », qui aura une influence majeure sur la vie intellectuelle de l’époque.
1961 | « Le Parc » obtient le Prix Médicis.
1963 | Découvre Venise. Y revient pendant quarante ans tous les « printemps et automnes » avec Dominique Rolin.
1966 | Rencontre essentielle avec Julia Kristeva, une jeune Bulgare ravissante et « la femme la plus intelligente que j’aie jamais rencontrée ». Il l’épouse l’année suivante. Elle entre aussi dans son œuvre sous la forme d’une jeune femme très reconnaissable entre toutes sous différents prénoms.
1974 | Voyage en Chine.
1975 | Naissance de son fils, David.
1981 | Parution de « Paradis 1 » suivi de « Paradis 2 » en 1986.
1982 | Naissance de la collection « L’Infini » aux éditions Gallimard.
1983 | « Femmes », roman « classique » paraît aux éditions Gallimard. Succès et scandale.
1991 | « La Fête à Venise » explore d’une manière romanesque le monde de l’art, Watteau, Monet, Warhol…
1992 | Il obtient le Grand Prix de littérature Paul Morand décerné par l’Académie française à un auteur francophone pour l’ensemble de son œuvre.
1994 | « La Guerre du goût », essai. « L’idée a toujours été de constituer une véritable histoire, vivante et verticale, de l’art et de la littérature ; une échelle mobile, parcourable dans les deux sens (par exemple, de Villon à Rimbaud ou Genet ; de Sade à Proust ; de Céline à Saint-Simon ; de Dante à Joyce ; du Titien à Picasso ; de Kafka à Pascal) ». Après « l’Écriture et l’expérience des limites », « Théorie des exceptions », « Improvisations » et avant « Éloge de l’Infini », Sollers continue cette guerre du goût sur tous les fronts.
2004 | Le « Dictionnaire amoureux de Venise » est publié chez Plon.
2008 | « Un vrai roman, Mémoires » obtient le Prix Saint-Simon.
2018 | Début de la publication de ses « Lettres à Dominique Rolin. 1958-2000 ».
2019 | « Le Nouveau », dernier roman publié à ce jour de Philippe Sollers.
Le second volume des « Lettres à Dominique Rolin » paraît en octobre 2019.
2020 | Prochain roman de Sollers. Sortie prévue en mars.
Patricia Boyer de Latour