YESHWANT RAO HOLKAR II MAHARAJAH DES ANNÉES FOLLES

Bernard Boutet de Monvel S.A. Le Maharajah d’Indore (habit occidental), 1929 © Adagp, Paris, 2019 photo Pascal Cadiou
Bernard Boutet de Monvel S.A. Le Maharajah d’Indore (habit occidental), 1929 © Adagp, Paris, 2019 photo Pascal Cadiou
Mécène éclairé, arbitre des élégances et dandy invétéré, le maharajah d’Indore et son palais d’avant-garde renaissent le temps d’une exposition au Musée des Arts Décoratifs de Paris. La promesse d’un enchantement… Le maharajah est noir comme de l’encre avec de longs et grands yeux comme dans les gravures persanes. Longues mains fines. Maigre à souhait. Pas joli mais grand caractère ». Tels sont les mots piquants utilisés par Delfina Boutet de Monvel, l’épouse du célèbre peintre mondain des années trente, pour décrire le physique magnétique du jeune maharajah d’Indore de passage à Paris pour faire exécuter son portrait. Épris de modernité et attiré comme par un aimant par la fine fleur de l’avant-garde européenne, le jeune prince indien a, en effet, entendu parler des effigies très « fitzgéraldiennes » de Bernard Boutet de Monvel qui ont valeur d’icônes dans les milieux chics de Paris et de New York. C’est donc durant l’été 1929 que se dérouleront les séances de pose dans le bel hôtel germanopratin d’inspiration Directoire de l’artiste. Vêtu d’une queuede-pie et d’un nœud papillon, chaussé d’escarpins vernis, une lourde cape de soie noire doublée de satin blanc jetée sur ses frêles épaules, une montre signée Cartier ornant son poignet, le maharajah âgé de tout juste vingt ans donne le ton. Héritier d’une longue dynastie d’Inde centrale (les guerriers marathes), il n’en affiche pas moins son désir de coller à son époque et d’embrasser le luxe et l’art de vivre à l’occidentale. Loin de renier son sang et son...

Mécène éclairé, arbitre des élégances et dandy invétéré, le maharajah d’Indore et son palais d’avant-garde renaissent le temps d’une exposition au Musée des Arts Décoratifs de Paris. La promesse d’un enchantement…

Le maharajah est noir comme de l’encre avec de longs et grands yeux comme dans les gravures persanes. Longues mains fines. Maigre à souhait. Pas joli mais grand caractère ». Tels sont les mots piquants utilisés par Delfina Boutet de Monvel, l’épouse du célèbre peintre mondain des années trente, pour décrire le physique magnétique du jeune maharajah d’Indore de passage à Paris pour faire exécuter son portrait. Épris de modernité et attiré comme par un aimant par la fine fleur de l’avant-garde européenne, le jeune prince indien a, en effet, entendu parler des effigies très « fitzgéraldiennes » de Bernard Boutet de Monvel qui ont valeur d’icônes dans les milieux chics de Paris et de New York. C’est donc durant l’été 1929 que se dérouleront les séances de pose dans le bel hôtel germanopratin d’inspiration Directoire de l’artiste. Vêtu d’une queuede-pie et d’un nœud papillon, chaussé d’escarpins vernis, une lourde cape de soie noire doublée de satin blanc jetée sur ses frêles épaules, une montre signée Cartier ornant son poignet, le maharajah âgé de tout juste vingt ans donne le ton. Héritier d’une longue dynastie d’Inde centrale (les guerriers marathes), il n’en affiche pas moins son désir de coller à son époque et d’embrasser le luxe et l’art de vivre à l’occidentale. Loin de renier son sang et son rang (un second portrait signé également Bernard Boutet de Monvel le montre posant en habits princiers, assis sur son trône), Yeshwant Rao Holkar II entend néanmoins incarner une symbiose parfaite entre l’éducation anglaise qu’il a reçue, et les fastes de la culture orientale qui ont bercé son enfance et celle de ses ancêtres.

Le maharajah d’Indore n’est guère le seul – loin s’en faut – à jeter son dévolu sur les séductions de la vieille Europe. Renonçant à un rôle militaire actif et cédant les affaires d’État à un fonctionnaire britannique, les jeunes princes indiens sont en effet invités à observer de plus près les « bienfaits » de la civilisation occidentale afin de cultiver à leur tour des idéaux de progrès et de modernisation pour leur propre pays. Ils se tournent alors avec délectation vers les plus prestigieuses Maisons de
Londres et de Paris pour meubler leurs immenses palais et mettre au goût du jour leur somptueuse garde-robe…

Mais comme le souligne avec justesse Amin Jaffer dans la préface du catalogue, le maharajah d’Indore occupe une place à part au sein de ce milieu huppé. Contrairement à ses pairs, il s’implique dans la conception même des œuvres qu’il commande aux artistes et va se hisser au rang des plus grands « mécènes du design moderne ».

Certes, une telle sensibilité et un goût si sûr sont nés au contact de personnalités qui vont jouer un rôle déterminant dans son parcours d’esthète et de collectionneur. C’est ainsi sur les conseils de son précepteur, le Dr Marcel Hardy, que le jeune maharajah fait la rencontre d’Henri-Pierre Roché, personnage romanesque cumulant les fonctions de collectionneur, d’écrivain (il est l’auteur du célèbre Jules et Jim porté à l’écran en 1962 par François Truffaut), d’agent d’artistes et de conseiller en collection. L’entente entre les deux hommes sera totale. C’est précisément Roché qui présentera à Yeshwant Rao Holkar II l’un de ses grands amis, le photographe américain Man Ray. Ce dernier réalisera entre 1927 et 1930 de magnifiques portraits teintés d’humour et de tendresse du maharajah et de sa jolie épouse, la maharani Sanyogita Devi. C’est encore Roché qui introduira en 1929 le jeune prince indien auprès du collectionneur français Jacques Doucet. Sans doute souhaitait-il éveiller chez lui le désir de constituer une collection digne de rivaliser avec celle du grand couturier. Henri-Pierre Roché entraînera ainsi le riche héritier dans l’atelier du sculpteur roumain Constantin Brancusi auprès duquel il fera l’acquisition d’une de ses plus belles sculptures – Oiseau dans l’espace –, avant de lui passer d’autres commandes dont certaines ne verront, hélas, jamais le jour…

Mais l’homme qui l’aura guidé davantage encore vers la voie du Beau et de la Modernité n’est autre que le jeune Allemand Eckart Muthesius, que le futur maharajah rencontre lors de ses études à Oxford en 1929. Très proches en âge, partageant les mêmes inclinations pour l’architecture, l’art, la musique et les automobiles (!), les deux jeunes gens vont cristalliser quelques années plus tard leurs idéaux communs dans l’édification d’un palais indien, moderniste, fonctionnel et somptueux tout à la fois : le Manik Bagh d’Indore. Soit une « œuvre d’art totale » née entre 1930 et 1933, dont l’architecture épurée et spacieuse combine les dernières prouesses techniques de l’époque (un téléphone dans chaque pièce, des vitres teintées pour filtrer les rayons du soleil…) et les créations des plus grands artistes et designers, parmi lesquels Puiforcat, Eileen Grey, Marcel Breuer ou encore Jacques-Emile Rulhmann. Évoquant irrésistiblement la personnalité d’autres grands amateurs et esthètes de l’époque (tels le vicomte et la vicomtesse de Noailles), le couple Holkar est ainsi entré dans la légende, célébrant avec panache les noces de l’utopie et de l’avantgarde, du romanesque et de la modernité.

 

Bérénice Geoffroy-Schneiter

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