La prochaine exposition genevoise de l’artiste Arik Levy dilate les dimensions de la galerie Espace Muraille avec des sculptures emblématiques de l’indissoluble lien entre liberté et dépendance.
A l’entrée de la galerie genevoise, une imposante sculpture de métal dont le cœur scelle l’union de deux extrêmes. Une pièce aussi infime que précieuse placée au point zéro de l’équilibre entre les contraires, la gravité et la légèreté, l’intellect, le physique et l’instinct, la vie et la mort, le visible et l’intangible, la présence et l’absence. Les œuvres
de l’artiste israélien installé à Paris sont toujours autant de passerelles entre les gens, les multiples dimensions de qui nous sommes, les mémoires, les sensations, les émotions. Aujourd’hui, ce sont de nouvelles créations offertes à tous les paradoxes de l’indépendance et de la dépendance comme des croisements puissamment habités par un souffle d’infini.
UN ROCK ALLÉGORIQUE
Arik Levy, cinquante-six ans, a ses obsessions, devenues sa signature. Une abstraction épurée, des formes primitives, des matières brutes, des inspirations de la nature, des volumes imposants, monolithiques, à l’instar de son Rock emblématique qui l’a rendu célèbre dans le monde entier et dont une déclinaison monumentale, le RockGrowth, sera bientôt installée devant la filiale contemporaine du Musée de l’Ermitage à Moscou, dans le nouveau quartier Zilart. Tour à tour pensé comme un voyage au centre de la Terre, interrogeant dans ses volumes facettés les relations entre les pleins et les vides, la lumière et l’obscur, soulevant la question de l’apparence trompeuse et par là même celle de l’identité et de l’altérité, la sculpture ne cesse d’évoluer. Ses dernières interprétations ont été suggérées par le site même de la galerie genevoise. Installée dans la Vieille-Ville enceinte de remparts, elle a éveillé la notion de protection, mais surtout celle du sol et du sous-sol, dont l’artiste s’est emparé pour évoquer l’arbre et ses racines, telle l’image d’une mise en conscience de l’inconscient. « Une sorte d’éclairage offert à notre vie intérieure, une mémoire réanimée, dit-il, qui fait bouger nos émotions ». Toutes ses pièces présentées en avantpremière sont « positionnées et orientées de manière à induire une confrontation avec soi-même, corps et esprit ».
Arik Levy est un théoricien, un scientifique, un fervent de psychanalyse, un boulimique de connaissances qui déploie son univers de signes et de symboles dans une métaphysique jamais formatée qui n’ôte rien à la puissance et à la poésie immédiate de ses créations. Au final, l’exposition est une vibrante invitation à découvrir la multidimensionnalité de son travail. Et pour lui, de surcroît, un retour à Genève, la ville où il vécut dans les années quatre-vingt-dix et où il est notamment intervenu sur des décors de spectacles de danse au Grand Théâtre pour le chorégraphe Ohad Naharin.
CRÉATEUR MULTIPLE
« La création est un muscle incontrôlé », dit Arik Levy. Artiste, designer, photographe, vidéaste, ses talents sont multiples. « Je suis né ainsi, c’est arrivé comme ça, j’ai commencé à peindre à l’âge de quatorze ans ». Huit ans plus tard, il participe à une exposition collective de sculptures à Tel Aviv avant de rejoindre la Suisse, en 1991, où il poursuit ses études au Art Center College of Design de la Tour-de-Peilz. Il opte pour le design automobile « proche de la sculpture » et approfondit tous les aspects techniques et d’ingénierie utiles à son art. Installé à Paris depuis 1994, son travail est exposé du Centre Pompidou au MoMA de New York, sans compter ses multiples projets dans le domaine du mobilier et du luminaire, créant aussi des intérieurs, des bijoux, des packagings, des objets pour l’habitat, la cuisine, la salle de bain, le bureau et des accessoires high-tech.
Recherché par les fabricants pour son approche artistique, il dessine d’abord de « l’ergonomie émotionnelle ». « Une chaise devient intéressante lorsqu’elle dépasse la fonction, prend une dimension narrative, suscite des émotions au-delà de la simple perception ». Lorsqu’il intervient sur une commande, il ne reste pas en surface, quête l’origine, travaille sur la mémoire collective. Pour le parfum d’Issey Miyake, il crée un flacon inspiré des gestes du samouraï. « On peut aller loin dans une culture ancestrale avec très peu de chose ». Pour Baccarat, il imagine des tuiles de cristal pour architecturer un bar, une lampe. Une façon de projeter cette magnifique tradition dans l’avenir. Pour travailler l’histoire sans la fausser, il est allé s’immerger dans l’usine, s’est impliqué dans les processus de fabrication, a étudié longuement les capacités des nouvelles machines. Avec Arik Levy, l’histoire n’est jamais faussée. Donnée dans la force intrinsèque de ses créations, elle se veut d’abord l’expression « d’un monde qui parle des gens, non des objets ».
Viviane Scaramiglia