À l’occasion du centenaire de sa mort, le Kunstmuseum de Bâle rend hommage à sa mécène la plus importante du XXe siècle : Louise Bachofen-Burckhardt.
Louise Bachofen-Burckhardt (1845-1920) n’est pas connue du grand public, même pas du public habitué au Kunstmuseum de Bâle. Et pour cause, elle ne voulait pas que l’on se souvienne d’elle et a ainsi interdit par testament à quiconque d’écrire une notice nécrologique à son sujet. Pourtant, elle fut l’une des plus grandes collectionneuses d’art de son époque et une bonne partie des œuvres que le public peut admirer en visitant le Kunstmuseum viennent de sa collection. Avec Une passion pour l’art, le musée rend dignement hommage à celle qui se trouve à l’origine d’un important enrichissement de ses collections.
Louise Bachofen-Burckhardt avait de grandes ambitions pour sa collection et sa ville natale, voulant faire de la Öffentliche Kunstsammlung Basel, une collection régionale concentrée sur l’art du Rhin supérieur, un musée pouvant rivaliser avec les plus grands d’Europe. C’est à ces fins qu’elle enrichit la collection de son mari, Johann Jakob Bachofen, mort en 1887. Cette préoccupation l’habitera toute sa vie, elle qui écrit encore en janvier 1916 que « [s]on souhait le plus ardent est de pouvoir acquérir encore quelques belles pièces pour [s] a chère ville natale ». En 1904 déjà, elle désigne le Kunstmuseum de Bâle unique héritier de l’ensemble de ses tableaux après avoir créé une fondation au nom de son mari pour les gérer, la Professor J. J. Bachofen-Burckhardt-Stiftung, cela expliquant également pourquoi la collectionneuse n’est pas connue. Les tableaux ne rejoindront le musée qu’à la mort de Louise Bachofen-Burckhardt, en 1920 – la première salle de l’exposition reproduit l’accrochage de sa maison sur la Münsterplatz à Bâle, avec des tableaux organisés en écoles, ce qui permet au spectateur de redécouvrir la disposition à l’ancienne mode, avec des œuvres bord à bord.
Le Kunstmuseum de Bâle se voit alors confier par la fondation, en prêt permanent trois cent trois tableaux, ce qui a représenté une augmentation des collections de peinture de vingt-cinq pourcent. Il s’agissait donc d’un cadeau majeur, comportant des pièces importantes de grands maîtres, comme Lucas Cranach l’Ancien, Hans Memling, Jan Brueghel l’Ancien, Jacob van Ruisdael, Jacob van Goyen, Alexandre-François Desportes, pour ne citer que quelques noms. Les maîtres italiens sont presque absents. Il s’agit donc essentiellement de tableaux de maîtres anciens qui ont enrichi cette section. Mais Louise Bachofen-Burckhardt n’achetait pas que de l’art ancien, comme en témoignent le Paysan lisant sur la banquette d’un poêle d’Albert Anker et la Forêt de haute montagne avec un troupeau de chèvres d’Alexandre Calame notamment. La Professor J. J. Bachofen-Burckhardt-Stiftung donne définitivement les tableaux au musée en 2015.
Louise Bachofen-Burckhardt fut l’une des plus grandes collectionneuses d’art de son époque
Évidemment, vu l’ampleur du fonds, il n’est pas possible de présenter toutes les œuvres dans l’exposition. Certaines pièces auraient par ailleurs créé des trous importants dans l’accrochage de la collection permanente. De nombreux tableaux sont ainsi restés à leur emplacement dans le musée, marqués d’un macaron violet au titre de l’exposition pour que le visiteur puisse les repérer facilement. Parmi les tableaux en question, citons par exemple la très belle Vierge à l’enfant de Lucas Cranach l’Ancien, un des chefs-d’œuvre du fonds.
Pour les acquisitions, Louise Bachofen-Burckhardt pouvait compter sur l’aide de Wilhelm von Bode, historien de l’art de renom et directeur général des musées d’État de Berlin de 1905 à 1920 (un musée berlinois bien connu porte d’ailleurs aujourd’hui son nom). Malgré tout, Louise Bachofen-Burckhardt n’a pas été à l’abri des faux, comme le révèle l’exposition, qui présente onze tableaux, dont trois « Rembrandt » qui se sont en fait révélés être des copies tardives. Si la collectionneuse bâloise se doutait que son Autoportrait au bonnet rouge était une copie, elle était en revanche convaincue que les deux autres étaient des originaux, surtout le Portrait de Saskia, étant donné que son exemplaire est signé. Elle a tenté de le faire authentifier contre une autre version non signée, mais en vain, comme elle l’apprendra de son vivant encore – l’original se trouve à la National Gallery of Art de Washington.
L’histoire de l’art évoluant, plusieurs tableaux ont également vu leur attribution changer au cours de l’histoire. Cela ne change rien évidemment à la qualité intrinsèque de ces œuvres, dont plusieurs sont des chefs-d’œuvre. C’est le cas par exemple du Portrait de Pietro Aretino, acheté en tant que Sebastiano del Piombo mais aujourd’hui reconnu comme un Titien. De plus, ce tableau est intéressant car il est presque surprenant qu’une collectionneuse pieuse ait acquis le portrait de l’auteur de poèmes pornographiques…
À travers la présence de ces faux – ce qui n’a rien de surprenant pour une collection constituée entre la fin du XIXe siècle et 1920 – et les changements d’attribution, impliquant même parfois un lieu de production différent, l’exposition est également l’occasion de constater les avancées faites par l’histoire de l’art en un siècle. Surtout, elle permet au Kunstmuseum de souligner à quel point Louise Bachofen-Burckhardt a forgé l’image actuelle du musée et de mettre en lumière cette pionnière dans le domaine de la collection d’art.
Gilles Monney