C’est un fait : la Suisse accueille des festivals majeurs dans tous les domaines, de Locarno à Montreux, en passant par Gstaad, Bâle ou Nyon. Du cinéma à la musique, jazz, classique ou pop, et bien sûr l’art contemporain. Depuis 2018, s’ajoute à cette liste un splendide panorama dédié au 7e art, créé par l’acteur et réalisateur Vincent Perez. À l’occasion de la prochaine édition, qui se tiendra du 4 au 8 mars 2020, Artpassions est allé le rencontrer.
Vincent, vous dites que c’est à Lausanne, votre ville natale, que la passion pour le cinéma a donné « un sens à votre vie »…
Oui, c’est venu de mon père, qui m’a involontairement transmis sa passion pour Chaplin et Jerry Lewis. Il adorait les burlesques. Et bien sûr Disney : mes premiers souvenirs de salle de cinéma demeurent les dessins animés de Disney… [Une pause.] Près de chez moi, du côté de Payerne, on entendait aussi des « noms magiques », comme celui de Marie Laforêt, que j’ai adorée plus tard comme actrice, et qui a disparu récemment…
Et après Disney ?
C’est à la télévision que j’ai découvert mes premiers chefs-d’œuvre. Grâce à des émissions comme Les Dossiers de l’écran ou Cinéma de minuit… Je me souviens des grands Kazan, notamment Sur les quais, avec Marlon Brando… Mais aussi Les Sept Samouraïs de Kurosawa, les westerns de John Ford, les comédies de Capra… En fait, c’est par fascination pour les acteurs de ces classiques que j’ai songé faire ce métier. De James Dean à Montgomery Clift, je me suis aperçu qu’ils avaient tous suivi la même formation : « Actor’s Studio ». Alors à quinze ans, je me suis enfermé à la bibliothèque, j’ai lu La Formation de l’acteur de Stanislavski, et j’ai compris que c’est à cet art que j’allais consacrer ma vie…
À vous entendre parler, on se dit que les Rencontres du 7e art Lausanne raniment cette magie d’enfance : une grand-messe du cinéma, offrant au public des chefs-d’œuvre difficiles à voir, dans une salle gigantesque…
Mais complètement ! Si à l’époque, j’avais eu l’occasion de voir ces films projetés sur grand écran, j’aurais couru… Puis il y a autre chose : à Penthaz, mon village d’origine, viennent de s’installer les archives de la Cinémathèque suisse… C’est cette étincelle qui m’a fait créer cet événement hors-norme consacré à l’amour du cinéma. J’y ai vu un signe du destin !
Pardon pour cette question, mais la cinéphilie peut-elle intéresser les jeunes ?
Oui ! C’est ma grande fierté : notre moyenne d’âge est de dix-huit / trente-cinq ans. Bien sûr, je n’ai rien contre « les autres », [Rires] mais l’idée de tisser un lien avec des étudiants, et de futurs créateurs, était cruciale pour moi. D’autant que nous avons en Suisse de magnifiques écoles, comme l’ECAL, une des meilleures formations au monde. Quand Christopher Walken est venu présenter Voyage au bout de l’enfer, ç’a été un moment magique. Les jeunes sont sortis fascinés de cette rencontre. Mais nous avons eu tant de moments riches, avec Joel Cohen, Jean-Jacques Annaud, ou encore Léa Seydoux…
Il faut dire que la salle du Capitole, la plus ancienne du pays, est assez unique…
Oui, avec ses neuf cents places – et bientôt davantage –, c’est un lieu de projection emblématique, qui incarne l’esprit du cinéma suisse. La salle a d’ailleurs une histoire folle : vieille de plus d’un siècle, elle demeure un bijou à l’architecture sublime… À la fois ultra confortable, et ultra poétique. Découvrir un film entre ces murs, c’est un spectacle total.
Vous avez choisi de créer un festival « sans compétition »…
Oui, car ce qui m’importe, c’est le lien entre le public, les films et les créateurs. Nous allons développer, d’ailleurs, les rapprochements entre littérature et cinéma. L’année dernière, les discussions avec Paul Auster ont enchanté le public. Notre monde est déjà saturé de compétitions : j’ai voulu insister sur la communion et l’émotion.
À propos d’émotion, justement : qu’est-ce qu’un bon film ?
[Vincent réfléchit un instant.] Un film qui a de la vérité. Et qui correspond à une nécessité. J’accuse est un chef-d’œuvre, car il ne fait qu’un avec Roman Polanski.
Dans ce film qui vient de sortir, vous interprétez justement un avocat dreyfusard. Le réalisateur polonais s’est exilé longtemps en Suisse. Quel est votre avis sur la vindicte populaire qui le poursuit depuis tant d’années ?
Costa-Gavras disait l’autre jour qu’après tant d’années, il faudrait peut-être penser au pardon. Polanski a fait quelque chose de terrible, il a été jugé, a purgé une peine de prison, et c’était il y a plus de quarante ans. Il a reconnu ses torts, sa victime lui a pardonné. Je pense qu’il est temps de le laisser tranquille. Comme l’a dit Adèle Haenel, il est inutile de traiter les hommes en « monstres ». C’est à travers la parole qu’on avance, non la stigmatisation.
Quel film emporteriez-vous sur une île déserte ?
Un Murnau. Ses films sont des œuvres totales. Ou un Bergman, pour la puissance.
Les Rencontres du 7e art Lausanne rassemblent des genres très différents. Mais vous, si vous étiez un film, seriez-vous une comédie, ou un drame ?
Cyrano [l’un des rôles phares de l’acteur, aux côtés de Gérard Depardieu] m’irait bien. Je n’ai pas un immense nez, mais ça me parle ! En vérité, je suis quelqu’un de plutôt joyeux, qui saute sur l’occasion dès que je peux me réjouir… Mais la comédie n’est jamais éloignée du drame. Les Chaplin comportent une forte part mélancolique : la preuve qu’au cinéma, même en noir et blanc, rien n’est jamais tout noir, ou tout blanc. C’est la nuance qui émeut. Et j’espère partager encore énormément d’émotions, lors de la prochaine édition…
Arthur Dreyfus