PICASSO ORCHESTRA

Pablo Picasso (1881-1973) Joueur de diaule [Cannes 1954-1956] Terre cuite blanche chamottée incisée plaques montées sur un panneau en bois et une armature en métal, 116 x 126 x 48 cm Funda
Pablo Picasso (1881-1973) Joueur de diaule [Cannes 1954-1956] Terre cuite blanche chamottée incisée plaques montées sur un panneau en bois et une armature en métal, 116 x 126 x 48 cm Funda
La Philharmonie de Paris, en partenariat avec le Musée Picasso, présente – jusqu’au 3 janvier – une foisonnante exposition sur les rapports du peintre à la musique. Constamment épatant Pablo ! Pierre Cabane a eu bien raison d’appeler son étude du plus français des peintres espagnols Le siècle de Picasso – comme on a pu parler du siècle de Titien –, tant l’œuvre a les dimensions d’un continent, que sillonnent, d’où partent et où conduisent mille routes diverses, escarpées, pavées ou fleuries ; et sur ces routes, mesdames et messieurs, mille et mille musiciens ! On sait gré à la Philharmonie de Paris, non contente de nous régaler de tant de concerts transpirant la jeunesse, la vitalité, la hauteur – la soirée dédiée il y a peu à Gérard Grisey en témoigne –, de nous rappeler en ce moment, dans une très riche exposition, et cette vastitude (de l’univers de Picasso) et cette fréquentation (par Euterpe, muse de la musique, dudit univers). Rien de moins évanescent d’abord : on découvre là, dans l’espace réservé aux expositions temporaires situé au rez-de-chaussée du bâtiment de Jean Nouvel, des instruments – trompettes de cavalerie, tambour du Gabon, vielle gusle, luth n’goni, mandore sortie de la Venise de Tiepolo, harpe arquée kundi, cithare coupée telle une lame de guillotine, épinette des Vosges, monocorde… –, frères et sœurs plus silencieuses, plus curieuses peut-être, que celles qui d’ordinaire résonnent là-haut, au milieu de la grande salle Pierre Boulez ; pourquoi ce bel attirail ? c’est que tout...

La Philharmonie de Paris, en partenariat avec le Musée Picasso, présente – jusqu’au 3 janvier – une foisonnante exposition sur les rapports du peintre à la musique.

Constamment épatant Pablo ! Pierre Cabane a eu bien raison d’appeler son étude du plus
français des peintres espagnols Le siècle de Picasso – comme on a pu parler du siècle de Titien –, tant l’œuvre a les dimensions d’un continent, que sillonnent, d’où partent et où conduisent mille routes diverses, escarpées, pavées ou fleuries ; et sur ces routes, mesdames et messieurs, mille et mille musiciens ! On sait gré à la Philharmonie de Paris, non contente de nous régaler de tant de concerts transpirant la jeunesse, la vitalité, la hauteur – la soirée dédiée il y a peu à Gérard Grisey en témoigne –, de nous rappeler en ce moment, dans une très riche exposition, et cette vastitude (de l’univers de Picasso) et cette fréquentation (par Euterpe, muse de la musique, dudit univers). Rien de moins évanescent d’abord : on découvre là, dans l’espace réservé aux expositions temporaires situé au rez-de-chaussée du bâtiment de Jean Nouvel, des instruments – trompettes de cavalerie,
tambour du Gabon, vielle gusle, luth n’goni, mandore sortie de la Venise de Tiepolo, harpe arquée kundi, cithare coupée telle une lame de guillotine, épinette des Vosges, monocorde… –, frères et sœurs plus silencieuses, plus curieuses peut-être, que celles qui d’ordinaire résonnent là-haut, au milieu de la grande salle Pierre Boulez ; pourquoi ce bel attirail ? c’est que tout ceci appartint à Picasso, qui n’hésitait guère à en jouer (ou simplement à jouer avec). Sans doute glanés chez des antiquaires ou aux Puces, ces objets plus ou moins contournés, plus ou moins rugueux, viennent enrichir cet humus mi-mental mi-matériel – la Psyché et l’Atelier – où puisent à pleines mains nombre de peintres (qu’on se rappelle aussi, par exemple, le minuscule atelier mille-feuilles de Francis Bacon). Ainsi, entre ce xylophone bala – ou balafon – et tel grand nez, et tels petits yeux exorbités de Picasso, n’est-ce pas signifiant d’établir quelque lien de cousinage ? Ces instruments
de musique réels répondent en tout cas fort bien, dans l’exposition, à ceux que réalisa l’auteur des Demoiselles d’Avignon avant la Première Guerre mondiale, manipulant et combinant du bois de sapin, de la ficelle, des clous, de la peinture, du fusain – pour créer Violon et bouteille sur une table en 1915 – aussi bien que du carton découpé, du papier collé, de la toile, du crayon – pour créer cette Guitare de 1912, si belle de simplicité –, des pièces a priori silencieuses (mais qui sait ce qu’un ongle habile ferait sur elles ?) dont on ne sait dire où en est leur respiration, si elles viennent de s’extraire des natures mortes cubistes que l’Espagnol peint à la même époque ou si elles sont déjà en train de les réintégrer, si elles quittent à l’instant la 2D ou s’apprêtent à délaisser la 3D… On
goûtera encore, à égale distance de ces instruments collectionnés et de ces instruments-sculptures, deux tambourins dont la peau fut entièrement peinte par un Picasso encore adolescent, comme la surface d’un tondo : sur l’un, un couple andalou s’avance en s’enlaçant ; sur l’autre, un homme qu’on dirait échappé d’une composition de Goya – cravate blanche et bonnet rouge – lit.

Anonyme Xylophone bala Afrique de l’Ouest XX siècle Bois, calebasse fibre végétale, papier, cuir 32 x 76 x 48 cm Fundación Almine y Bernard Ruiz-Picasso para el Arte, Madrid FABA Photo
Anonyme Xylophone bala Afrique de l’Ouest XX siècle Bois, calebasse fibre végétale, papier, cuir 32 x 76 x 48 cm Fundación Almine y Bernard Ruiz-Picasso para el Arte, Madrid FABA Photo

Des instrument de musique donc, mais aussi des musiciens et des salles de spectacles que
Picasso – dont la femme Olga avait été danseuse dans la troupe des Ballets russes – fréquente côté salle comme côté scène. Il sort, comme en témoigne cette missive de Jean Cocteau datée du 22 septembre 1921 : « Chers amis, / on me dit que vous êtes de retour. / Je voudrais vous voir [trois cœurs] Jean / allons un soir à Ba Ta Clan / JC » ; à droite, dans la même vitrine, sont exposés un ticket d’entrée au Casino de Paris et, relique ô combien plus précieuse, une invitation pour le premier récital de la grande interprète de Jean-Philippe Rameau et d’Emmanuel Chabrier, la belle Marcelle Meyer, donné le 30 novembre 1923. Mais évidemment le Minotaure ne saurait être que spectateur, les coulisses lui sont ouvertes, et il créera aussi là. Il imagine ainsi, pour la troupe de
Diaghilev, les décors et les costumes – dont trois sont montrés dans l’exposition – du Tricorne, musique de Manuel de Falla, chorégraphie de Léonide Massine ; mais aussi le rideau de scène, les décors et les costumes – trois sont là, dont l’impayable cheval « animé » par deux danseurs – de Parade, argument de Cocteau, musique d’Erik Satie, chorégraphie de Massine ; sans oublier les décors et les costumes de Pulcinella – ce masque noir semblant pétarader est tordant –, musique d’Igor Stravinsky, chorégraphie de Léonide Massine.

Atelier Colin, Guitare-luth Inscription Colin à Paris 1773 Paris, 1773 Bois, boyau, ivoire 90 x 30 x 13 cm Fundación Almine y Bernard Ruiz-Picasso para el Arte, Madrid FABA Ph
Atelier Colin, Guitare-luth Inscription Colin à Paris 1773 Paris, 1773 Bois, boyau, ivoire 90 x 30 x 13 cm Fundación Almine y Bernard Ruiz-Picasso para el Arte, Madrid FABA Ph

Pour l’auteur de l’Oiseau de feu et du Sacre du printemps, Picasso avait aussi imaginé, en 1919, la couverture d’une partition – un seul trait mélodique donnant vie à un violoniste et à un joueur de banjo, un seul ! –, celle de la transcription
pour piano de son Ragtime originellement composé pour onze instruments (transcription dont, bien entendu, on écoutera la version enregistrée par Marcelle Meyer, pour les Discophiles français, en 1954…). Il s’en faut de beaucoup, toutefois, que tous les musiciens menés par Picasso semblent sortir du Bœuf sur le toit. C’est aux bords dentelés d’une Méditerranée tout à la fois atemporelle et ancestrale, dionysiaque et apollinienne, que la plupart semblent aller, faunes ou éphèbes.

Pablo Picasso Projet pour la couverture de la partition de «Ragtime» d’Igor Stravinski violoniste et joueur de banjo, Paris, fin 1919 Aquarelle, encre et crayon graphite sur papier, 20,3x1
Pablo Picasso Projet pour la couverture de la partition de «Ragtime» d’Igor Stravinski violoniste et joueur de banjo, Paris, fin 1919 Aquarelle, encre et crayon graphite sur papier, 20,3×1

Clou de l’exposition, cantilène bleu et beige, duo serein…, voici La Flûte de Pan de 1923.
Non loin on admirera un autre chef-d’œuvre – plus beau encore ? –, le saisissant Chant des morts publié en 1948 par Pierre Reverdy, « illustré » par Picasso, c’est-à-dire parcouru de lames rouges, de traces vermillon qui contrastent avec l’écriture déliée du grand poète pudique, et qu’introduit un musicien de même couleur qui, tant son apparence est simplifiée, son attitude quintessenciée, tient du signe (quelque chose aussi comme l’enchaînement du chant du pâtre et du son des cloches au début du troisième acte de Tosca). C’est enfin le finale de la dernière salle, débauche de toiles peintes ! où couleurs et sons se répondent – cher Baudelaire… – et ne semblent même qu’une seule et même chose, où comme jadis chez Titien, exhibition et concert se mêlent.

Pablo Picasso, L’Aubade Mougins, 19-20 janvier 1965 Huile sur toile, 130 x195cm Association des Amis du Petit Palais, Genève inv 10444 Photo Studio Monique Bernaz, Genève Succession Picass

Sur cette Aubade de 1965, sur laquelle les bleus parviennent à l’incandescence, la flûte devient naturellement phallique, tandis que le sexe de la femme se rapproche de la tête et surtout des chevilles d’un violon. Dernier tableau : Homme et flûtiste de 1972, sexe et chalumeau, chapeau, camaïeu de gris…, la boucle est bouclée, l’aria revient, car cette superbe exposition s’ouvre sur trois œuvres rares, trois flutistes en terre cuite que Picasso avait dressés, conviés, dans les jardins de sa villa La Californie.

Benoît Dauvergne

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