QUOI DE NEUF À LIRE?

DOMINIQUE FERNANDEZ
DOMINIQUE FERNANDEZ
La lecture étant la seule possibilité de se meubler l’esprit offerte aux citoyens privés d’art et de spectacles, que leur conseiller ? Découragés par l’anémie du roman français et l’abus des théories sur le roman (Nouveau Roman, Tel Quel, structuralisme, minimalisme, etc.), ils découvriront avec plaisir qu’avec l’aide de romanciers francophones tout espoir n’est pas perdu de se réconforter avec de belles histoires. Depuis la dernière rentrée littéraire d’automne, deux livres se détachent avec éclat. L’un est d’un franco-vénézuélien, Miguel Bonnefoy, Héritage (Rivages), qui raconte le va-et-vient, d’une rive à l’autre de l’océan atlantique, d’une famille déchirée entre deux continents mais capable d’affronter avec courage et gaieté les épreuves que lui imposent cette double appartenance et ces réadaptations incessantes à deux cultures opposées. Je ne m’étonnerais pas que Miguel Bonnefoy ait subi l’influence vivifiante du roman sud- méricain et de ce réalisme magique dont Gabriel Garcia Marquez a été un des principaux représentants. Bonnefoy est jeune, on peut compter sur lui pour garder longtemps du souffle et de la pugnacité. L’autre roman est d’un maître reconnu, puisqu’il s’agit du nouveau livre d’Andreï Makine, paru tout récemment, sous ce titre intriguant : L’Ami arménien (Grasset). Nous sommes dans les années soixante-dix, tout au fond de la Sibérie, à Krasnoïarsk, sur le fleuve Ienisseï. L’auteur avait alors treize ans. Son livre n’est pas un récit autobiographique, encore moins de l’autofiction, laquelle a achevé de ruiner le roman. Non, Makine a utilisé un souvenir de jeunesse pour le hausser à la puissance d’une...

La lecture étant la seule possibilité de se meubler l’esprit offerte aux citoyens privés d’art et de spectacles, que leur conseiller ? Découragés par l’anémie du roman français et l’abus des théories sur le roman (Nouveau Roman, Tel Quel, structuralisme, minimalisme, etc.), ils découvriront avec plaisir qu’avec l’aide de romanciers francophones tout espoir n’est pas perdu de se réconforter avec de belles histoires.

Depuis la dernière rentrée littéraire d’automne, deux livres se détachent avec éclat. L’un est d’un franco-vénézuélien, Miguel Bonnefoy, Héritage (Rivages), qui raconte le va-et-vient, d’une rive à l’autre de l’océan atlantique, d’une famille déchirée entre deux continents mais capable d’affronter avec courage et gaieté les épreuves que lui imposent cette double appartenance et ces réadaptations incessantes à deux cultures opposées. Je ne m’étonnerais pas que Miguel Bonnefoy ait subi l’influence vivifiante du roman sud- méricain et de ce réalisme magique dont Gabriel Garcia Marquez a été un des principaux représentants. Bonnefoy est jeune, on peut compter sur lui pour garder longtemps du souffle et de la pugnacité.

L’autre roman est d’un maître reconnu, puisqu’il s’agit du nouveau livre d’Andreï Makine, paru tout récemment, sous ce titre intriguant : L’Ami arménien (Grasset). Nous sommes dans les années soixante-dix, tout au fond de la Sibérie, à Krasnoïarsk, sur le fleuve Ienisseï. L’auteur avait alors treize ans. Son livre n’est pas un récit autobiographique, encore moins de l’autofiction, laquelle a achevé de ruiner le roman. Non, Makine a utilisé un souvenir de jeunesse pour le hausser à la puissance d’une invention romanesque, selon la tradition du grand roman universel, tel que l’ont illustré un Balzac, un Stendhal, un Dickens, un Tolstoï.

Le lycéen de Krasnoïarsk avait donc un camarade de la minorité arménienne, Vardan, qui l’a introduit dans sa famille installée à la périphérie de l’énorme cité. Et c’est, pour l’enfant soviétique élevé à la dure, la surprise, l’amusement, l’éblouissement, de découvrir un monde absolument nouveau, des moeurs et des coutumes insolites, imprégnées d’une magie orientale qui contraste avec la rudesse et la sévérité du monde sibérien. Des femmes mystérieuses passent au milieu de vieillards dont la sagesse est sans âge. Un décor de flacons de parfum, de châles aux moirures scintillantes, de vases d’argent gravés d’arabesques, de bouts de tissu chamarrés abandonnés dans un coin, suffit à rétablir dans le campement de ces émigrés, pauvre et précaire, les sortilèges de l’exotisme. Ce peuple caucasien familier des bannissements et des exodes a essaimé ici une colonie qui a gardé intacts ses usages, ses légendes, sa simplicité, sa majesté silencieuse. Andreï Makine ressuscite avec une poésie merveilleuse ce morceau d’Asie déraciné et refleurissant, à des milliers de kilomètres au nord-est, avec une vitalité, un charme, des couleurs inoubliables.

Le lecteur pourrait se croire dans les Mille et une Nuits, si des épisodes tragiques de la vie quotidienne ne lui rappelaient la présence, à l’arrièreplan, de l’URSS de Brejnev. Une des scènes les plus saisissantes montre un couple de jeunes gens poursuivi dans des rues nocturnes par une bande de ces voyous qui se transforment facilement en assassins. Amour et violence, douceur et brutalité, tendresse et bagarres au couteau, rives ouvertes du fleuve et enfermements barbelés : le roman oscille entre ces pôles, à l’intérieur desquels se bousculent toutes les contradictions de l’immense, énigmatique Russie.

S’il fallait choisir un mot pour qualifier ce roman, je dirais qu’il ruisselle d’humanité. C’est dire qu’il s’inscrit dans la tradition des plus grands romanciers russes, de Gogol à Dostoïevski, de Tolstoï à Bounine. L’Ami arménien est peut-être le meilleur livre de son auteur, avec Le Testament français qui l’a rendu célèbre, il y a de cela vingt-cinq ans. Laissez-vous emporter, enchanter par ce conte, enraciné dans une réalité précise mais qui, miracle, ouvre toutes grandes les portes du rêve.

DOMINIQUE FERNANDEZ

Dernier livre paru : L’Homme de trop (Grasset)

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