Jeux d’illusions dans les paysages de Gerhard Richter

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  Davos, 1981, huile sur toile, 50 x 70 cm, Art Institute of Chicago, don Edlis Neeson Collection © Photo : bpk / The Art Institute of Chicago / Art Resource, NY © Gerhard Richter Thème central dans l’oeuvre de l’artiste allemand Gerhard Richter, le paysage est décliné en cent trente créations dans l’importante Ingrid Dubach-Lemainque exposition que lui consacre le Kunsthaus de Zurich. Mes paysages ne sont pas seulement beaux ou nostalgiques, romantiques ou classiques comme des paradis perdus, avant tout, ils “mentent” (même si je n'ai pas toujours trouvé le moyen de le montrer) », cet aveu de Gerhard Richter, daté de 2008, donne le ton de la lecture à deux niveaux qu’il faut faire de ses peintures de paysage. Dès les années soixante, l’artiste a fait de ce genre, au même titre que le portrait, un de ses motifs de prédilection. L’oeuvre du peintre allemand, âgé de quatre-vingt-huit ans, s’étend en effet sur plus de cinquante années : la variété des techniques picturales employées, l’ampleur des références artistiques et la richesse du discours conceptuel ont élevé son créateur au rang de l’un des plus importants artistes contemporains. Grâce à lui, la pertinence d’un genre artistique traditionnel comme le paysage apparait toujours d’actualité ; pour reprendre le constat d’Hubertus Burtin, le commissaire de l’exposition de Zurich, « la peinture de paysage n’est en aucun cas obsolète au XXIe siècle ». Vues de montagnes, de forêts, de mer… Les paysages lisses et harmonieux de Richter...

 

Davos, 1981, huile sur toile, 50 x 70 cm, Art Institute of Chicago, don Edlis Neeson Collection © Photo : bpk / The Art Institute of Chicago / Art Resource, NY © Gerhard Richter

Thème central dans l’oeuvre de l’artiste allemand Gerhard Richter, le paysage est décliné en cent trente créations dans l’importante Ingrid Dubach-Lemainque exposition que lui consacre le Kunsthaus de Zurich.

Mes paysages ne sont pas seulement beaux ou nostalgiques, romantiques ou classiques comme des paradis perdus, avant tout, ils “mentent” (même si je n’ai pas toujours trouvé le moyen de le montrer) », cet aveu de Gerhard Richter, daté de 2008, donne le ton de la lecture à deux niveaux qu’il faut faire de ses peintures de paysage. Dès les années soixante, l’artiste a fait de ce genre, au même titre que le portrait, un de ses motifs de prédilection. L’oeuvre du peintre allemand, âgé de quatre-vingt-huit ans, s’étend en effet sur plus de cinquante années : la variété des techniques picturales employées, l’ampleur des références artistiques et la richesse du discours conceptuel ont élevé son créateur au rang de l’un des plus importants artistes contemporains. Grâce à lui, la pertinence d’un genre artistique traditionnel comme le paysage apparait toujours d’actualité ; pour reprendre le constat d’Hubertus Burtin, le commissaire de l’exposition de Zurich, « la peinture de paysage n’est en aucun cas obsolète au XXIe siècle ».

Vues de montagnes, de forêts, de mer… Les paysages lisses et harmonieux de Richter ont un éclat de beauté teintée d’une silencieuse mélancolie qui fait renaître chez le spectateur des émotions analogues à celles ressenties devant les peintures romantiques du XIXe siècle. On est tenté, en particulier, de les rapprocher des paysages peints par l’un des plus fameux artistes de cette école allemande : Caspar David Friedrich (1774- 1840). Chez ce dernier, les représentations de la nature sont contemplatives, mystiques : elles illustrent la partie visible de la création divine. Cette peinture romantique est une source d’inspiration formelle que Richter revendique dans la conception de certaines de ses toiles comme Davos. Sous ce titre, le peintre contemporain a représenté les crêtes de sommets de montagnes enneigées, baignées dans un mystérieux halo de lumière lunaire. Le flou et l’effet de brume confèrent au tableau une aura mystérieuse et poétique qu’on pourrait qualifier de « romantique ». Or, selon Friedrich, « le peintre ne doit pas peindre seulement ce qu’il voit en face de lui, mais aussi ce qu’il voit en lui ». Richter, quant à lui, contredit radicalement cette position en écrivant en 1973 : « ce qui me manque, c’est le fondement spirituel sur lequel reposait la peinture romantique. Nous ne ressentons plus “l’omniprésence de Dieu dans la nature”. Pour nous, tout est vide. » Un monde et un art sans Dieu, tel est le point commun que partage Richter avec bon nombre de ses contemporains artistes.

Mais quel est donc le mensonge que Richter annonçait se cacher derrière ses paysages ? La réponse est à chercher du côté de la forme, des techniques qu’il a faites siennes et de son inclination à jouer avec nos sens. La photographie joue un rôle prépondérant dans la recherche créative de Richter. L’artiste a constitué ce qu’il a nommé « l’Atlas » : une collection de centaines de photographies et de coupures de journaux depuis les années soixante qui constitue un fonds dans lequel il puise abondamment pour développer sa peinture.

Première leçon d’illusion : derrière la peinture, la photographie. Dans ce qu’il convient d’appeler des « paysages de seconde main », Richter réalise en effet des peintures à partir de photographies. Très proche du cadrage photographique mais adoptant une composition surprenante, cette catégorie d’oeuvres ne se construit donc pas sur une expérience directe d’un pan de paysage. Elle est créée à l’aide d’un auxiliaire de vision intermédiaire, l’appareil photographique. C’est peutêtre ce qui donne à un tableau comme Waldhaus (Maison dans la forêt) ce caractère irréel malgré le réalisme du motif.

Deuxième leçon d’illusion : le paysage comme collage. Reposant toujours sur l’usage de la photographie, certaines vues se révèlent être des « fictions de paysages ». Ce sont des paysages qui n’existent pas et ne naissent que grâce au collage. Au sommet de cette série de paysages dits « fictionnels », on trouve les peintures Seestück (Marine (Mer-Mer)). La toile, coupée horizontalement en deux moitiés de même dimension, superpose des motifs de vagues. L’effet de miroir qui se dégage de l’ensemble de l’image est saisissant et déroutant. Ce paysage construit fait perdre au regardeur le sens de l’orientation et l’amène à appréhender de manière spontanée la moitié supérieure de l’image comme un ciel.

Troisième leçon d’illusion : vers l’abstraction du paysage. À l’instar de Stadtbild F (Vue de la ville de F.), d’autres peintures quittent clairement le registre du figuratif. Pour Richter, il ne s’agit cependant pas d’une abstraction classique qui simplifierait le paysage en formes géométriques. Avant lui, des artistes comme Ferdinand Hodler ou Piet Mondrian ont créé des motifs abstraits en se calquant sur la structure des nuages, d’une surface d’eau ou d’un horizon. L’artiste cherche plutôt ici à tester jusqu’où il est possible de reproduire de manière mimétique des motifs paysagers (ville, parc, montagne) et à viser un équilibre entre réalisme et abstraction. Le motif n’est par conséquent lisible pour le spectateur qu’à une certaine distance du tableau après lui être apparu comme un tableau abstrait.

Quatrième leçon d’illusion, enfin : les « paysages surpeints ». La tendance à l’abstraction, qui traverse toute la démarche artistique de Gerhard Richter, trouve un aboutissement dans le domaine du paysage avec la technique de la « surpeinture ». Photographies, peintures ou gravures représentant des paysages sont alors retravaillées de manière abstraite à l’aide d’aplats de peinture colorée appliqués à l’aide d’un racloir ou d’une spatule. Les titres de cette série de travaux ne font plus référence à des éléments de paysage ou à des lieux précis, mais à des dates comme l’illustre le tableau 8. Juni 2016 (Le 8 juin 2016). Cette technique n’a rien en commun avec le processus de colorisation de photographies tel que l’on a pu le connaître au XIXe siècle. Mais elle fait naître une tension intéressante en matière de perception : la réalité estelle dans la matière picturale du « surpeint » ou dans la représentation de l’arrière-plan ?

Si l’artiste livre vraisemblablement lui-même une clé d’interprétation en notant dans ses écrits : « mes “oeuvres abstraites” montrent ma réalité, les paysages ou les natures mortes, ma nostalgie », un flou consciemment entretenu continue bien d’entourer ses créations.

Ingrid Dubach-Lemainque

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