SOPHIE TAEUBER-ARP ART, ARTISANAT, ART INDUSTRIEL

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Robert Kopp La révolution industrielle, misant sur la production de masse et plaçant l’utile au-dessus du beau, a lancé aux artistes des défis inédits. Si les uns ont mis à profit les nouvelles possibilités offertes par le progrès technique, d’autres, au contraire, dont Sophie Taeuber-Arp, ont cherché à échapper à l’uniformisation par un retour à l’artisanat. Pour la première fois, une grande rétrospective, organisée par le Kunstmuseum de Bâle, conjointement avec la Tate Modern et le MoMA, met à sa juste place cette artiste de premier ordre Cerf (marionnette pour Le Roi Cerf), 1918 Huile sur bois, feuille de laiton, oeillets métalliques, 50x17,8x18cm Museum für Gestaltung, Zürcher Hochschule der Künste, Kunstgewerbesammlung Courtesy Umberto Romito, Ivan Suta De même que les tenants du mouvement Arts & Crafts, dans l’Angleterre victorienne, ou les adeptes de l’Art nouveau, en France et en Allemagne, au tournant du XXe siècle, Sophie Taeuber-Arp a toujours refusé de distinguer entre le grand art et les arts appliqués. Une distinction qui n’est d’ailleurs pas dans la tradition de la Suisse, qui a toujours préféré les écoles des arts et métiers aux académies des beaux-arts. C’est ainsi que la jeune Sophie Taeuber, née en 1889, à Davos, dans une famille de pharmaciens, a pu suivre, après la mort prématurée de son père et grâce aux encouragements de sa mère, des cours à l’École des arts et métiers de Saint-Gall, un des centres de l’industrie textile suisse et de la broderie. Dans les années précédant la...

Robert Kopp

La révolution industrielle, misant sur la production de masse et plaçant l’utile au-dessus du beau, a lancé aux artistes des défis inédits. Si les uns ont mis à profit les nouvelles possibilités offertes par le progrès technique, d’autres, au contraire, dont Sophie Taeuber-Arp, ont cherché à échapper à l’uniformisation par un retour à l’artisanat. Pour la première fois, une grande rétrospective, organisée par le Kunstmuseum de Bâle, conjointement avec la Tate Modern et le MoMA, met à sa juste place cette artiste de premier ordre

Cerf (marionnette pour Le Roi Cerf), 1918 Huile sur bois, feuille de laiton, oeillets métalliques, 50×17,8x18cm Museum für Gestaltung, Zürcher Hochschule der Künste, Kunstgewerbesammlung Courtesy Umberto Romito, Ivan Suta

De même que les tenants du mouvement Arts & Crafts, dans l’Angleterre victorienne, ou les adeptes de l’Art nouveau, en France et en Allemagne, au tournant du XXe siècle, Sophie Taeuber-Arp a toujours refusé de distinguer entre le grand art et les arts appliqués. Une distinction qui n’est d’ailleurs pas dans la tradition de la Suisse, qui a toujours préféré les écoles des arts et métiers aux académies des beaux-arts.

C’est ainsi que la jeune Sophie Taeuber, née en 1889, à Davos, dans une famille de pharmaciens, a pu suivre, après la mort prématurée de son père et grâce aux encouragements de sa mère, des cours à l’École des arts et métiers de Saint-Gall, un des centres de l’industrie textile suisse et de la broderie. Dans les années précédant la Première Guerre mondiale, elle a complété sa formation à l’École Debschitz, à Munich, très progressiste pour l’époque, non seulement parce qu’elle acceptait des filles, mais aussi par son refus de distinguer entre travail manuel et art, à l’exemple de Arts & Crafts. Sophie Taeuber a appris à travailler le bois et le le papier, le textile et le cuir. Ce qui lui permettra de confectionner costumes et décors de théâtre, de fabriquer des marionnettes, de broder des sacs à main, des coussins et des nappes, de façonner des bijoux.

En 1914, elle rentre à Zurich, où habite l’une de ses sœurs. Deux ans plus tard, elle y trouve un emploi à l’École des arts appliqués, où elle enseignera le dessin et la broderie pendant une douzaine d’années, ce qui lui assure une modeste mais appréciable indépendance financière.

Collier, 1918-1920, perles de verre, fil et fermoir en métal, 40x 40 cm, Aargauer Kunsthaus, Aarau

C’est à Zurich aussi qu’elle rencontre son futur mari, Hans Arp, strasbourgeois d’origine, qui, pour échapper à la mobilisation, s’était réfugié en Suisse, comme de nombreux artistes et écrivains de l’Europe tout entière, Allemands, Roumains, Russes, des déserteurs, des objecteurs de conscience, des réformés, tous foncièrement hostiles à une guerre in sensée. C’est de la rencontre de toutes ces avantgardes que sont nés Dada et le Cabaret Voltaire, sous l’impulsion de Hugo Ball, Emmy Hennings, Richard Huelsenbeck, Raoul Hausmann, Marcel Janco, Tristan Tzara.

À l’horreur des destructions de la guerre, ils répondaient par l’anéantissement de cet art qui n’avait pas su les protéger, en créant un anti-art absurde, des poèmes sonores, de la musique bruitiste, des spectacles de dérision et des danses chamaniques.

Sophie Taueber, qui avait étudié la danse expressive à l’École de Rudolf von Laban, participait activement à ces soirées. Parallèlement, elle exposait ses tapisseries dans plusieurs galeries zurichoises et montait, en septembre 1918, au Théâtre suisse des marionnettes, une pièce inspirée de Carlo Gozzi, Le Roi Cerf, dont les figurines faites de boules, de cubes et de quilles présentaient comme une synthèse de ses recherches d’alors, combinant formes, couleurs, matériaux, mouvements, sonorités. Malheureusement, la grippe espagnole a empêché les organisateurs de ce spectacle d’aller au-delà de la troisième représentation (l’Histoire du soldat, de Ramuz et Stravinski, donnée au Théâtre de Lausanne exactement à la même époque, ayant dû se contenter d’une seule).

Avant la fin de la guerre, cette joyeuse troupe s’est dispersée aux quatre coins de l’Europe, Dada poursuivant son mouvement à Berlin, à Cologne, à Paris et ailleurs. Quant aux Arp, qui se marieront en 1922, ils se mettent à voyager, notamment en Italie, avant de s’installer à Strasbourg car Jean Arp désirait recouvrer sa nationalité française. À cette époque, Sophie Taeuber s’est vue confier par l’architecte Paul Horn l’aménagement de l’Hôtel Hannong et de la Brasserie de l’Aubette, travail auquel elle associe Theo van Doesburg. Naît alors un véritable Gesamtkunstwerk, sorte de « chapell Sixtine du constructivisme», dans la tradition du Bauhaus et de De Stijl, digne des plus belles réalisations de Le Corbusier et de Charlotte Perriand. Il n’en reste rien. Dix ans après son inauguration, l’Aubette moderniste a dû faire place à un décor plus «alsacien», tables en bois et couleurs sombres. Contrairement à une légende locale tenace, ce ne sont pas les Allemands qui ont détruit l’Aubette, en 1940, c’était déjà fait. On trouvera au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg une reconstitution partielle de quelques salles.

Équilibre, 1932 Huile sur toile, 41,5x 34 cm Stiftung Arp e.V., Berlin © Photo : Alex Delfanne

Ces commandes permettent à Jean Arp et à Sophie Taeuber-Arp d’acquérir un terrain à Clamart et d’y construire une maison atelier, aujourd’hui transformée en Fondation. Contre le Surréalisme, qui dans les années trente a le vent en poupe, Sophie Taeuber-Arp maintient l’héritage du Bauhaus et participe aux mouvements prônant l’abstraction, comme « Cercle et Carré », puis « Abstraction-Création». Elle encourage également les échanges transatlantiques en participant à des revues comme Plastique/Plastic. Sa présence dans de nombreuses expositions en Suisse et à l’international témoigne de sa notoriété grandissante, même si elle a du mal à sortir de l’ombre de son mari et à s’imposer comme artiste femme. Sa participation la plus importante fut celle de l’exposition «Constructiviste» que Georg Schmidt avait organisée en 1937 à la Kunsthalle de Bâle.

Géométrique et ondoyant, 1941 Crayon de couleur sur papier, monté sur carton, 48,5 x 37,5 cm Museo d’arte della Svizzera Italiana, Lugano, Collezione Cantone Ticino

En juin 1940, les Arp se trouvent sur les routes du Sud comme huit millions de Français. Ils se réfugient à Veyrier-du-Lac en Haute-Savoie, auprès de Peggy Guggenheim, qui montrera des travaux de Sophie Taeuber-Arp dans sa galerie new-yorkaise Art of This Century, puis s’installent à Grasse, où les rejoignent Alberto et Susi Magnelli et Sonia Delaunay. Manquant de tout, mais surtout de matériaux pour réaliser ses œuvres, Sophie Taeuber-Arp réalise toute une série de dessins sur papier avec de simples crayons de couleur. Ils traduisent son désarroi. Elle illustre également Poèmes sans prénom de son mari. Malgré l’obtention d’un visa pour les États-Unis, les Arp décident de rester et de se réfugier en Suisse. En janvier 1943, ils réussissent à gagner Zurich, où vittoujours la sœur de Sophie. Jean Arp est, lui, hébergé par Max Bill. Passant une soirée chez ce dernier et décidant d’y passer la nuit, Sophie Taeuber-Arp ne remarque pas que le conduit du poêle est obstrué et meurt d’une intoxication au monoxyde de carbone dans la nuit du 13 au 14 janvier 1943. Si son œuvre n’est jamais tombé dans l’oubli, cette artiste a le plus souvent été présentée conjointement avec son mari: à de rares exceptions près, en 1964 et en 1989, au Musée d’Art moderne de Paris et en 1977, au Musée d’Art moderne de Strasbourg.

Cette nouvelle présentation lui assurera définitivement la place qui est la sienne, celle d’une grande pionnière.

NOTA BENE

Sophie Taeuber-Arp Abstraction Vivante Kunstmuseum Bâle Jusqu’au 20 juin 2021
Tate Modern, Londres, du 15 juillet au 17 octobre 2021
MoMA, New York, du 21 novembre 2021 au 12 mars 2022

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