Le cinéma d’Artpassions
Arthur Dreyfus
En mars 2020, la vie culturelle s’interrompait brutalement pour limiter la propagation d’un invisible ennemi. Théâtres, cinémas et musées sont devenus des lieux presque magiques, figés dans le passé. Un an plus tard, Arthur Dreyfus propose aux lecteurs d’Artpassions un dialogue exclusif avec l’icône Françoise Fabian. Une façon, alors que scènes et projecteurs s’apprêtent à sortir de leur long sommeil, de célébrer l’amour de l’art.
Votre première image de cinéma?
L’actrice française Dany Robin, fredonnant une chanson dans une ravissante robe blanche, filant sur une bicyclette. Le charme lumineux de cette scène. J’avais six ans.
Votre première larme de cinéma?
Pour qui sonne le glas, avec Ingrid Bergman et Gary Cooper. À la seconde où je les ai vus, je suis tombée amoureuse de ce couple de cinéma. Et en même temps je sanglotais, c’est si triste, c’est sur la guerre d’Espagne. Enfin je suis une pleureuse, moi, de toute façon…
Votre plus grand rire de cinéma ?
Indéniablement, devant les pitreries du comique américain Danny Kaye, qui était capable de se pencher jusqu’à toucher le sol sans que ses pieds bougent… Pierre Richard a découvert sa vocation grâce à Kaye. On dit que le burlesque serait facile ou enfantin, c’est pourtant la racine du cinéma, et bien sûr, il peut y avoir beaucoup d’esprit dans le burlesque.
L’histoire derrière votre premier rôle au cinéma ?
Vadim, qui avait co-écrit pour sa femme Bardot le premier film de Michel Boisrond – intitulé Cette sacrée gamine – m’avait vue au théâtre, et m’avait proposé le rôle d’une psychiatre de trente ans passés, or j’en avais vingt! Le film a été apprécié, mais je ne me suis jamais trouvée crédible… J’aurais préféré jouer la jeune fille que j’étais pour mon premier rôle!
Le meilleur conseil de jeu que vous ayez reçu ?
Je l’ai découvert toute seule. J’appelle ça «le regard approbateur ». C’est percevoir, ou attirer, quand on joue, le regard intense du public invisible.
La remarque la plus crispante de votre début de carrière.
Lors d’un essayage interminable, Cardin m’avait lancé: «Vous vous tenez trop droite, c’est pas élégant. Il faut vous tenir le ventre en avant, poitrine rentrée, bras ballants. » [Françoise rit.] Bon, c’était la pose des mannequins de l’époque.
L’actrice que vous avez le plus admirée?
Je suis fanatique de Meryl Streep. Elle peut tout faire. Car c’est d’abord une actrice de théâtre.
L’acteur que vous avez le plus aimé?
Sur écran, j’ai aimé beaucoup Gary Cooper. Mais j’ai aimé passionnément Marcel Bozzuffi en tant qu’homme [qui fut son mari pendant vingt-cinq ans].
Le réalisateur le plus fou avec qui vous avez travaillé ?
Rohmer, c’était spécial. Ne croyez pas qu’il était timide ou rébarbatif… Après la dernière scène de Ma nuit chez Maud, il s’est mis à courir à toute vitesse, comme un gosse, sur la plage. Je lui ai dit : «Vous avez des jambes extraordinaires, mieux que les danseuses du Lido !» Le soir d’après, on a dansé toute une nuit le rock, il twistait à la perfection: c’était inattendu.
Le réalisateur le plus autoritaire avec qui vous avez travaillé ?
Ils n’ont jamais été autoritaires avec moi. Ils n’ont pas osé.
Si le cinéma était une couleur ?
De multiples couleurs.
Si le cinéma était un parfum ?
L’Heure bleue de Guerlain.
Si le cinéma était un pays ?
La mer.
Si le cinéma était une musique ?
Du jazz, avec des silences écrits par Mozart.
Le rôle le plus difficile de votre carrière ?
Le rôle le plus difficile, pour un acteur, c’est de vivre de son art.
Le rôle que vous regrettez d’avoir interprété?
Ce serait bête de regretter. J’ai pris des risques, je les accepte. On ne peut pas toujours avoir raison. À quoi ça sert, les regrets ?
Le film dans lequel vous jouez que vous préférez?
[Françoise se pince la lèvre.] Non, je ne peux pas être économe là-dessus. Impossible de choisir.
S’il fallait choisir entre l’amour et le cinéma?
L’amour dans le cinéma. J’ai refusé des contrats pour rester auprès de l’homme que j’aimais.
Peut-on faire du cinéma sans cigarettes?
Oui! Maintenant ça m’arrive ! [Rires.]
S’il fallait choisir entre théâtre et cinéma?
On s’échappe, dans la scène. On est l’autre. Au cinéma, c’est pas tout à fait la même chose.
Si la vie était un film ?
Il faudrait qu’il soit très long.
Pop-corn, glace, ou rien ?
Truffaut prenait toujours un cornet de glace au cinéma, il ne pouvait pas voir un film sans un esquimau. Je lui ai piqué cette manie. Une fois vanille, une fois chocolat.
Et la première culture que vous retrouverez dans le monde d’après-covid ?
Le théâtre et le cinéma sont ma vie, mais le lieu qui m’a le plus manqué, c’est le musée. Juste avant le confinement, j’ai eu la chance de visiter le Louvre quasiment seule, une après-midi entière. Le souvenir des peintures embrassées ce jourlà m’a permis de tenir.
NOTA BENE
Écrivain, Arthur Dreyfus a collaboré à la revue Positif. Il est aussi critique de cinéma pour l’émission Le Cercle sur Canal + et il interviewe acteurs et metteurs en scène pour la presse internationale.