CÉRAMIQUES DE GRANDE GRÈCE
Avocat au barreau genevois, Pierre Sciclounoff fut le conseiller d’un grand nombre de personnalités suisses et étrangères appartenant au monde de l’industrie, de la finance et du spectacle. Frédéric Dard, qui lui a dédié deux de ses romans policiers, a écrit que «sans lui, la ville de Genève ne serait pas ce qu’elle est». Dans sa résidence, un hôtel particulier du XVIIIe siècle, meublé dans le goût des Rothschild, Pierre Sciclounoff recevait la haute société. Sa table était réputée. Et aussi son salon de musique, aménagé par son ami Herbert von Karajan. Parmi toutes ses collections, Pierre Sciclounoff affectionnait particulièrement celles qui relevaient de l’Antiquité classique, les portraits romains et la céramique grecque. Dans ce domaine, les vases produits en Grande Grèce (Italie méridionale) avaient sa préférence, à cause de leur richesse décorative, bien éloignée de la sobriété attique.
Pierre Sciclounoff n’avait pas d’enfant et il a choisi comme héritière sa filleule, Madame Béatrice Corrêa do Lago, petite-fille du fameux Commandant Paul-Louis Weiller, dont il fut très proche. Cependant, mécène dans l’âme comme ce dernier, il a offert de son vivant quelques pièces majeures de sa collection au musée de sa ville, par l’intermédiaire de l’Association Hellas & Roma. Pierre Sciclounoff méritait qu’on célèbrât sa mémoire, même si le temps a passé depuis sa mort, survenue en 1997. Et il revenait à l’ancien conservateur du Département d’archéologie du Musée d’art et d’histoire de s’en charger. Ce livre, commandité par l’héritière de Pierre Sciclounoff, en est le résultat. La première partie retrace la vie du collectionneur, illustrée de très nombreuses photographies inédites, tirées de l’album de famille. La seconde constitue le catalogue raisonné des œuvres, non seulement celles qui ont abouti au Musée, mais la majeure partie des antiquités que Pierre Sciclounoff avait rassemblée dans son domicile, soit trente-six pièces au total! Ce catalogue sera une révélation pour les spécialistes, qui jusqu’ici n’avaient de la collection Sciclounoff qu’une connaissance partielle, fondée sur des publications éparses. Mais le rédacteur a voulu s’adresser aussi à un public plus large, lequel ignore généralement cette catégorie de l’art grec qu’on appelle «italiote », pour ne pas dire «italique » (le terme étant réservé à l’art indigène). Les mythes qui s’y trouvent représentés, souvent rares, voire inexploités par les peintres attiques, représentent une inépuisable source d’informations.
La collection Sciclounoff avait ceci de remarquable et d’unique en son genre qu’elle contenait plusieurs vases décorés par le même peintre, celui que les archéologues appellent, faute de connaître son nom véritable, Le peintre de Darius (ainsi désigné d’après un cratère conservé à Naples et représentant le roi des Perses à l’époque du soulèvement des cités ioniennes, en 490/480 av. J.-C.). Ce peintre, contemporain des conquêtes d’Alexandre le Grand, dont il eut manifestement connaissance, n’est pas un artiste parmi d’autres. Il domine nettement l’abondante production céramique de l’Apulie, aujourd’hui les Pouilles. Son style est d’une finesse extrême. Et l’on doit supposer, à en juger par l’étendue de son répertoire et la qualité des inscriptions gravées sur certains de ses vases, qu’il était cultivé, sans doute assidu aux représentations théâtrales, si en vogue dans la région.
Dans le domaine de la sculpture, la collection Sciclounoff recelait une statuette de grande importance. Il s’agit de la reproduction fidèle, exécutée à l’époque romaine, d’une œuvre célèbre de Lysippe. Le génial sculpteur l’avait conçue pour orner la table d’Alexandre, son protecteur. Le conquérant emportait la statuette partout avec lui et on racontait qu’à la veille de sa mort, elle se mit à suer…
L’ÉCRIVAIN INCONNU DOUBLE LE PEINTRE
La pensée d’Oskar Kokoschka telle qu’il la développe dans ses écrits semble se résumer à cette phrase : «Façonner une réalité, telle est la vocation de l’homme. » Dans ce recueil on trouve, traduits pour la première fois, des articles, des discours et des essais sur l’art, consacrés à des sujets divers: les fresques de Pompéi, les autoportraits de Rembrandt, le courant baroque en Bohème, l’expressionnisme de Munch ou même l’art italien après 1945. C’est une prise de position esthétique, historique, politique, économique, sociale et religieuse dans laquelle il affirme l’unité de tous ces questionnements. D’essai en essai, ses positions présentent une cohérence remarquable, ses analyses sont érudites, elles se veulent une défense de la culture. Il y rejoint là les penseurs du XXe siècle. Cet ouvrage dense est émaillé d’une soixantaine d’illustrations avec des légendes explicites. On a surtout retenu les peintures viennoises de Kokoschka qui le rattachent à la Sécession, à Klimt et à Schiele dans l’«apocalypse joyeuse» de l’Empire austro-hongrois. Kokoschka se sentit cependant plus proche de l’art grec et baroque et, loin de se contenter de capter des portraits d’aristocrates, il fut un inlassable objecteur de conscience, un écrivain engagé. Ce recueil d’articles, de conférences et d’essais remédie à cela en donnant la parole à Kokoschka lui-ême. Les textes, choisis comme les plus représentatifs de sa pensée et de son engagement artistique, permettent de transmettre sa vision de l’essence même de l’art et du concept de l’humanité, tel que la culture européenne l’a hérité des Grecs. Il en révèle l’illustration idéale chez des artistes comme Rembrandt, Van Gogh, Munch et la faillite totale chez les abstraits à partir de Kandinsky. Ses prises de position, face au bannissement de la figure humaine, vont rapidement excéder la discussion esthétique. Pour détecter les tendances et mieux agir dans le présent, il va se distinguer par ses actions dans le domaine de la pédagogie en apprenant à de jeunes gens de « voir de leurs propres yeux » à l’École du regard à Salzbourg. La dernière partie de ce livre retrace les étapes décisives de son parcours et réaffirme ses principes de portraitiste, d’allégoriste, de dessinateur et de scénographe. Ce volume, révélant l’écrivain, enrichit l’expérience d’une peinture plus que novatrice réactualisant la tradition pour penser le présent. Oskar Kokoschka (1886-1980) figure parmi les grands témoins du siècle dernier. L’Œil immuable, Oskar Kokoschka, articles, conférences et essais sur l’art, publié en coédition avec la Fondation Kokoschka, préface de Aglaja Kempf, traduction de l’allemand par Régis Quatresous. 456 pages, 21 x 25 cm. Édition l’Atelier Contemporain.
LA SAGA PUCCI
Emilio Pucci, armé de talents, créa une maison de couture semblable à nulle autre. Au début des années cinquante, ses créations ravissaient les riches élégantes, vedettes de cinéma, folles de ses « pantalons Capri », ses foulards de soie et ses coordonnés. La Saga Pucci ressemble à une épopée moderne plongeant ses racines dans l’Italie de la Renaissance, son fondateur le marquis Emilio Pucci di Barsento, né en 1914 à Naples, était un aristocrate dont la lignée remonte au XVe siècle. C’est l’histoire d’une entreprise familiale lancée dans une minuscule boutique à Capri, devenue une marque internationale qui a su diversifier sa gamme en proposant de la décoration, des vêtements de sport, des accessoires, une palette d’imprimés pop-art aux couleurs novatrices. Au gré de centaines de photos, de dessins, de clichés, la Fondation Emilio Pucci immortalise dans ce volume XL l’élégance et le spectaculaire de cette maison à l’envergure remarquable. Le texte de Vanessa Friedman, critique de mode, par un récit rythmé assure un support historique à cet ouvrage, conjointement aux coauteures Alessandra Arezzi Boza et Laudomia Pucci. Une plongée dans l’univers somptueux de Pucci dont les célèbres motifs réunissent à jamais art, mode et histoire. Chaque livre est relié dans un tissu imprimé, original et unique. Un objet d’exception qui permet de se replonger avec nostalgie dans une époque foisonnante et de s’en inspirer. Couleurs vives, imprimés audacieux, joie de vivre, folle créativité sont les moteurs de ce livre hommage à la maison de couture Pucci. Pucci. Updated Édition, Vanessa Friedman, Alessandra Arezzi Boza, Laudomia Pucci, Armando Chitolina, relié 36 x 36 cm, 448 pages. Éditions Taschen.
COMBATS FÉMINISTES
À travers deux cent vingt œuvres et vingt artistes, cet ouvrage, collectif de photographes, propose d’explorer et de questionner le monde dans lequel on vit. L’exposition virtuelle qui est à la source de cette publication a été conçue par Andrea Giunta et la galerie Rolf Art. Une véritable réflexion sur le futur… Photographies, dessins, vidéos, performances restituent l’énergie des combats féministes des années soixante-dix et leur prolongation qui font émerger l’enjeu essentiel de notre époque: dans quel monde voulons-nous vivre ? C’est un regard neuf qui permet de repenser les significations cachées de créations réalisées dans d’autres contextes. Ce livre très maniable, au format pratique, comme un carnet à spirales, rassemble des œuvres choisies minutieusement par la commissaire. Cette façon de procéder permet au lecteur de devenir un visiteur virtuel, guidé par des commentaires et des témoignages d’artistes qui le conduisent à un cheminement intellectuel et à s’arrêter sur les résonances que produit le rapprochement des images et leurs mutations. Le recueil s’articule autour de six chapitres abordant les questions primordiales du rapport de l’humain à la nature, à son corps, à son environnement et les notions essentielles comme la solitude et les inégalités… Magnifiques photographies chargées de lourdes significations à découvrir dans cet ouvrage en adéquation avec le contexte actuel. Puisqu’il fallait tout repenser, collectif de photographes, préface et textes d’Andrea Giunta, 16,5 x 25,8 cm, 288 pages, Éditions delpire & co. Parution le 1er juillet 2021. Exposition dans le cadre des Rencontres d’Arles 2021.
ENFIN UN LIVRE SUR ALDO CIPULLO !
Né en 1935, à Naples, dans une famille de bijoutiers, il est devenu le créateur de bijoux le plus glamour des années soixante-dix et début quatre-vingts. Il décède malheureusement subitement en 1984, l’héritage de ses designs avant-gardistes lui assure encore de nos jours une grande popularité. Peu de personnes, en dehors du monde de la joaillerie, connaissent Aldo Cipullo mais des quantités de gens portent deux de ses bijoux fétiches : le Love et le Juste Un Clou, réalisés pour Cartier au début des années soixante-dix. Ce superbe ouvrage écrit par l’historienne Vivienne Becker avec le frère du créateur, Renato Cipullo, débute chronologiquement à Rome dans les années cinquante. Aldo, un splendide italien fasciné par la culture américaine part pour New York échappant ainsi à l’emprise de son père et de son épouse. Il débarque empli d’énergie créatrice en 1959 dans cette ville qu’il admire tant. Il fait un passage chez David Webb avant d’entrer dans le studio de création de Tiffany & Co. Dix ans après son arrivée, il commence son étroite collaboration avec la maison Cartier (1969-1974). Courte mais intense car elle est immédiatement associée au bracelet « Love » qui connaît un succès fulgurant. Malheureusement, il n’a jamais su que son Nail, un clou enroulé autour du poignet ou du doigt, allait aussi devenir un objet culte. C’est seulement en 2012 que cette pièce sera rebaptisée Juste Un Clou par Cartier et mise en vedette lors d’une soirée à New York avec une exposition fantastique du travail effectué par Cipullo. Love fut une création géniale: donner l’impossibilité de mettre le bracelet soi-même le transforme en un bijou d’engagement mettant en scène un cérémonial pendant que l’on fixe les vis au moyen d’un micro-tournevis. Un cadenas pour la vie! Ce bracelet, avec ses vis, entre en résonance avec New York, le pont de Brooklyn, les façades des immeubles où tout tient grâce aux boulons et aux vis. Un bijou emblématique était né ! Même si Cipullo ne semble connu que pour ces deux icônes, ce n’est pas une injustice car ses autres créations antérieures et ultérieures, celles aussi de sa propre maison sont moins intéressantes. Elles sont cependant magnifiques et incarnent le glamour de cette ville qu’il appréciait tant. Ce livre tente de réhabiliter toutes ses créations et offre au lecteur la possibilité de feuilleter un superbe ouvrage dont les belles photographies font rêver.
CIPULLO : Making Jewelry Modern, Vivienne Becker et Renato Cipullo, 212 pages, 200 illustrations, 36 x 28 cm, broché, en anglais, Éditions Assouline.
L’ART DE LIRE
En collaboration avec la Librairie Bernard Letu 2, rue Calvin 1204 Genève, Suisse www. letubooks.com