Jamais tour n’aura fait autant parler d’elle. Et pourtant, on a le sentiment que la tour de la Fondation Luma a toujours fait partie du paysage arlésien.
Ce projet fou, est né de l’amour de Maja Hoffmann pour sa ville de cœur : Arles. Née à Bâle en 1956, la petite Maja arrive en Camargue, a tout juste une semaine. Son père Luc Hoffmann, est le petit-fils du fondateur suisse des laboratoires pharmaceutiques Hoffmann- La Roche. Ornithologue, écologiste avant l’heure, installé en Camargue dès 1947, il va acquérir pas moins de 2600 hectares, dans ces zones humides afin de protéger jalousement la flore et la faune. A commencer par les flamants roses. Il crée au Sambuc sur la commune d’Armes la Tour du Valat une station biologique qui poursuit toujours sa mission de préservation.
Pas étonnant que Maja aussi arlésienne, que suissesse, ai ressenti le besoin de faire quelque chose pour cette ville qui l’a vue grandir. Passionnée d’art contemporain, mécène pour de nombreux artistes, Maja crée en 2004 la Fondation Luma, contraction des deux prénoms de ses enfants : Lucas et Marina. En 2007, elle fait part au maire d’Arles Hervé Schiavetti ainsi qu’à Michel Vauzelle président de la région Provence Alpes Côte d’Azur ; de son désir de racheter une partie des entrepôts SNCF. Ces derniers désaffectés depuis près de quarante ans se réveillaient de temps à autre lors d’expositions photographiques. Sans Luma, ils sommeilleraient toujours dans l’indifférence générale faute de moyens. Car Arles est riche, en culture, en patrimoine, mais un quart de la population vit sous le seuil de pauvreté.
C’est à l’architecte Frank Gehry, que Maja s’adresse pour créer une tour qui ne ressemblera à aucune autre. Elle le rencontre pour la première fois en 2005 sur le tournage du film de Sydney Pollack « Sketches of Frank Gehry » dont elle est la productrice. La complicité est immédiate entre eux. Gehry aime à dire que Maja l’a inspiré et qu’il a écouté attentivement ses propositions. Pas moins d’une centaine de maquettes sont nées avant la version finale.
Cette tour de 56 mètres de hauteur, repose sur une rotonde de verre baptisée le Drum (tambour) qui pour Gehry fait écho aux arènes d’Arles. Sa façade composée de 11 000 blocs en acier inoxydable, attrapent la lumière et la renvoient d’une manière extraordinaire, donnant au bâtiment sans cesse une autre apparence. Ce n’est pas une tour, c’est une multitude de tours. Comme le dit si bien Jean Giono : « Quand les mystères sont très malins, ils se cachent dans la lumière ; l’ombre n’est qu’un attrape-nigaud ».
La nuit, on s’approche de la nuit étoilée de Van Gogh. Avec son air cabossé, inspiré des rochers des Alpilles, ce promontoire d’acier et de béton ocre se transforme en une palette explosive.
Une fois à l’intérieur, on se retrouve dans un hall gigantesque, baigné de lumière, face à un escalier à double révolution qui se déroule comme un ruban blanc infini. Sur la gauche, un toboggan géant de l’artiste Carsten Höller , le visiteur peut l’emprunter s’il le souhaite. Glisse et émotion assurée. Tout ce qu’adore Carsten Höller : fasciné par l’énigmatique, et le dérangeant. « L’incertitude devient un luxe qu’on peut utiliser pour son propre bien-être ». Après le toboggan, on peut aussi se lancer à l’extérieur sur la piste de skate phosphorescente, imaginée par l’artiste sud coréenne Koo Jeong A.
Au sommet de l’escalier, un immense miroir circulaire d’Olafur Eliasson tourne lentement, et on suit son image comme aspiré par l’enroulement des marches. Rien de conventionnel à Luma. Tout est en devenir, véritable laboratoire créatif, aussi bien pour les artistes, que les visiteurs. Sorte de campus culturel où chacun peut trouver ou rencontrer sa propre expérience artistique. Nombreux sont les artistes de toutes nationalités qui sont en résidence toutes disciplines confondues.
Le bar au rez-de chaussée s’enorgueillit d’une tapisserie(4,10M sur 20,24 m) sortie tout droit des ateliers d’Aubusson. Inspirée d’une photo pixélisée : des champs de tournesols fanés brûlés par la chaleur de l’été. On peut lire :
« Le bonheur n’est pas toujours drôle ». Sous-titre emprunté par l’artiste thaïlandais Rirkrit Tiravanija au cinéaste allemand Rainer Fassbinder. Clin d’œil à Van Gogh et au cinéma avec cette image de laine figée et grandiose. Il aura fallu 100 kilos de laine de moutons mérinos d’Arles, 13 mois de tissage et pas moins de 72 teintes élaborées à partir des herbes et plantes récoltées en Camargue pour restituer ces fleurs du soleil.
Jouxtant, le bar une librairie bibliothèque évoque Beaubourg avec ses canalisations multicolores. Une spectaculaire table en bois longue et sinueuse traverse toute la longueur de la pièce. Chacun peut saisir sur les étagères, des livres, des revues de son choix et s’asseoir pour les consulter. Tout est fait pour rapprocher les gens, les mettre en contact, créer un dialogue. Ici l’indifférence envers l’autre est vite abolie. Depuis l’ouverture, Sabine Azéma vient tous les jours et ne cache pas son enthousiasme « J’aime tellement cet endroit, c’est si joyeux. Je suis fascinée, émerveillée à chaque fois je découvre quelque chose de nouveau. Je ne connais pas Maja Hoffmann, mais quel courage, quelle audace, chapeau ! »
Frank Gehry, a voulu que sa tour soit chaleureuse, bienveillante. C’est chose faite. Il règne à la Fondation Luma une convivialité, un esprit d’équipe, que l’on ne ressent nulle part ailleurs. Les gens circulent comme bon leur semble il y a toujours quelqu’un pour vous écouter, pour vous orienter. Il y a un esprit Luma. Un jeune gardien affecté à la salle hommage de Hans Ulrich Obrist à l’écrivain Edouard Glissant, me confie : « Je ne connaissais rien à l’art , je n’avais jamais lu cet écrivain, mais à force d’entendre la vidéo qui passe sur lui en boucle, séduit par sa voix, j ’ai acheté un de ses livres. C’est formidable de travailler tout en s’instruisant, et sans jamais s’ennuyer. Je n’avais encore jamais vécu cela »
Pari réussi pour Maja Hoffmann. Qui aime à citer Van Gogh « la normalité est une route pavée : on y marche aisément mais les fleurs n’y poussent pas ». Luma prend tous les chemins de traverse, le public ne s’y trompe pas et afflue du monde entier. Mais prenez garde, la Tour, n’est pas une star, la seule, la véritable : c’est Arles. Les murs sur lesquels se détachent les portes des ascenseurs qui vous emmènent au neuvième et dernier étage, sont recouverts de sel de Camargue. Sur la terrasse, vue époustouflante à 360 degrés.
Sans la Tour, à moins d’être un drone humain jamais nous n’aurions pu voir se détacher du ciel arlésien de telles splendeurs : L’Abbaye de Montmajour, le couvent des Cordeliers, l’église Saint-Trophime, les Arènes, les Alyscamps etc. Arles magnifiée comme jamais.
Maja Hoffmann souhaitait qu’on puisse même voir la mer. C’est chose faite. En découvrant, cette immensité qu’est l’Etang de Vaccarès, on comprend pourquoi le Rhône, surgi d’un glacier valaisan, après avoir traversé paisiblement le lac Léman, s’attarde, prend son temps, pour se répandre voluptueusement dans ce delta paradisiaque : la Camargue.
Pepita Dupont