EN SORTANT DU JARDIN DES PLANTES

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Benoît Dauvergne Jeune écrivain et critique d’art Connaissez-vous le musée le plus secret de Paris ? – Zadkine, Henner ? – Plus secret encore, si secret qu’on peut non seulement passer à côté, mais même le traverser sans s’en apercevoir. Vous y courrez de bout en bout, y suerez allègrement – ou non – en baskets fluos – ou non –, sans aucun gardien à vos trousses. – Tiens donc ! – En sortant du Jardin des Plantes, descendez sur les quais, la prochaine fois, et « entrez » dans le Musée de la Sculpture en plein air. Pas de murs, sinon des murets, de grandes marches et, perpendiculaire à elles, un entrelacement de chemins possibles, en pente plus ou moins douce, plus ou moins abrités, palmiers, tournesols, lierres, lavandes, oliviers, cyprès, églantiers, lauriers roses… Ne vous mettez pas en tête, toutefois, de comparer l’endroit aux lieux grandioses et fort connus où la ronde-bosse prend l’air, jouit de la lune, comme la Fondation Maeght ou Loggia dei Lanzi. Mais à qui voudrait goûter un petit panorama de la sculpture des années soixante, soixante-dix et quatre-vingts, la visite de ce musée municipal inauguré à la fin de l’ère Giscard est tout à fait recommandée. Bien que deux oeuvres d’Ipoustéguy y soient particulièrement mises en valeur, Hydrorrhage et surtout L’Homme aux semelles devant, hommage au boudeur Rimbaud (« L’idéal est une manière de bouder », disait Valéry) naguère dressé devant la Bibliothèque de l’Arsenal et amené là en 2018, ce n’est pas...
Benoît Dauvergne
Jeune écrivain et critique d’art
Connaissez-vous le musée le plus secret de Paris ? – Zadkine, Henner ? – Plus secret encore, si secret qu’on peut non seulement passer à côté, mais même le traverser sans s’en apercevoir. Vous y courrez de bout en bout, y suerez allègrement – ou non – en baskets fluos – ou non –, sans aucun gardien à vos trousses. – Tiens donc ! – En sortant du Jardin des Plantes, descendez sur les quais, la prochaine fois, et « entrez » dans le Musée de la Sculpture en plein air. Pas de murs, sinon des murets, de grandes marches et, perpendiculaire à elles, un entrelacement de chemins possibles, en pente plus ou moins douce, plus ou moins abrités, palmiers, tournesols, lierres, lavandes, oliviers, cyprès, églantiers, lauriers roses… Ne vous mettez pas en tête, toutefois, de comparer l’endroit aux lieux grandioses et fort connus où la ronde-bosse prend l’air, jouit de la lune, comme la Fondation Maeght ou Loggia dei Lanzi. Mais à qui voudrait goûter un petit panorama de la sculpture des années soixante, soixante-dix et quatre-vingts, la visite de ce musée municipal inauguré à la fin de l’ère Giscard est tout à fait recommandée. Bien que deux oeuvres d’Ipoustéguy y soient particulièrement mises en valeur, Hydrorrhage et surtout L’Homme aux semelles devant, hommage au boudeur Rimbaud (« L’idéal est une manière de bouder », disait Valéry) naguère dressé devant la Bibliothèque de l’Arsenal et amené là en 2018, ce n’est pas là le royaume de la figuration éclatante. On songe plutôt, dans bien des cas, à des cousins de Miró ou de Tàpies, à des inventeurs – presque au sens archéologique du mot – de formes tenant à la fois du totem et du stalagmite, du galet et de la meule, de l’enclume et de la noix, fruits d’immenses lagunes, de hauts plateaux, ou d’étroites vallées. Soit le Coeur de gaucho de Sesostris Vitullo, la Structure pleine E. 12 d’Ervin Patkaï, l’Ochicagogo d’Antoine Poncet, le Neptune II de François Stahly… – Un musée de la sculpture immémoriale et organique, en somme ? – Oui, si l’on s’empresse d’ajouter l’adjectif mécanique, voire futuriste. Car quelle étrange raffinerie, ou centre de télécommunications, ou lieu de ravitaillement, ou plateforme de lancement forme la réunion, dans un même lieu – et n’oublions pas que ce lieu est aussi un port –, de la « tour » Chronos 10 de Nicolas Schöffer, du « circuit » Mind Accumulation de Micha Laury et des « piles » Interpénétration de deux espaces de Guy de Rougemont. – On hésite donc sans cesse, dans ce musée. – Exactement. Cette masse a-t-elle été sculptée par l’homme ou par les éléments ? Est-elle fonctionnelle ou gratuite ? Notez que l’idée d’interpénétration (pour reprendre le mot de Guy de Rougemont, qui vient de mourir), de va-et-vient Nature-Culture, Vie-Art, semble présider à la destinée de l’endroit tout entier, pour le pire, comme le meilleur. – Dites-moi le pire. – Comme il n’y a là ni grilles ni guichets, que le musée ne ferme jamais, qu’il vibre les soirs d’été, les graffitis se multiplient sur les oeuvres elles-mêmes (par exemple sur la blanche et si belle Grande fenêtre d’Augustín Cárdenas), cependant que tout près d’elles, invraisemblablement trop près d’elles ! fleurissent les pissotières. Connaissez-vous le musée le plus oublié de Paris ?… – Et le meilleur ? – Je me souviens d’un après-midi d’automne, un enfant jouait autour de Demeure 1 d’Étienne-Martin, et, au moment où sa mère l’appelait pour partir, il tenta une dernière chose, grimpa l’espace de deux ou trois secondes sur la sculpture, prenant ces casiers de bronze – quelque chose comme les niches d’un colombier ou d’un columbarium – pour les barreaux d’une échelle ; des partenaires de tous âges dansaient en même temps un tango – était-ce un tango ? – dans ces demi-cercles noir et blanc où la Seine affleure, mi-débarcadères, mi-théâtres antiques miniatures ; et au fond, comme sortant d’une toile de Marquet, se dessinait une péniche, avançant vite, immense avec la petite voiture de ses propriétaires posée dessus, une espèce de Richard Serra voguant.

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