Clément Benech
Huit lettres, trois couleurs célébrissimes. Peut-on dépasser le mythe Mondrian ?
Le Néerlandais a eu une vie avant ses compositions sévères.
C’étaient trois photographies minuscules, à la récente exposition Chefsd’oeuvre photographiques du MoMA au Jeu de Paume à Paris, placées en enfilade. Datées de 1926, signées d’un beau nom – André Kertész –, elles représentaient successivement le peintre Piet Mondrian à cinquante-quatre ans, son studio parisien (de la rue des Coulmiers ou bien de la rue du Départ, près de Montparnasse ?) et une composition : sur une table, deux paires de lunettes et une pipe posée dans un cendrier. En trois images, la messe est dite, l’individu cerné : tout, chez Mondrian, depuis ses petites lunettes rondes jusqu’à sa mise soignée, en passant par ce studio d’une nudité à faire rougir – un chapeau, un vase rempli de fleurs qui pourraient bien être fausses –, tout, donc, connote l’austérité, le rigorisme. Or un tour rapide par sa biographie, d’un coup d’index sur un téléphone, conforte l’internaute pressé dans son intuition : l’artiste était fils de pasteur calviniste. D’où – loi physique – ses célèbres quadrillages et sa recherche d’une forme pure, au-dessus de la chair et des turpitudes terrestres prisées par ses concupiscents prédécesseurs dans l’art de peindre ! Cause, conséquence : le tableau est parfait, il n’y a plus qu’à le signer. Sauf que voilà : l’affaire est plus complexe (Roland Barthes déplorait : « combien de preuves pénales fondées sur une psychologie de l’unité ! »), et une nouvelle exposition pour les cent cinquante ans de l’artiste, à la Fondation Beyeler, nous le démontre.