Benoît Dauvergne
Jeune écrivain et critique d’art
Il en est souvent des chefs-d’oeuvre et de leur public (et de tant de moments ou rencontres de la vie) comme de l’exposition du Graal et de Parsifal : on ne comprend pas tout de suite. En 1761, au Salon, véritable Biennale de Venise d’alors, aucun critique ne mentionna en bien ou – tout est possible après tout – en mal, ce que beaucoup considèrent aujourd’hui comme la plus belle naturemorte jamais créée. On ignorerait même que cette toile était présentée là, dans cette salle du Louvre où l’on va aujourd’hui admirer le Saint François d’Assise recevant les stigmates de Giotto, si un arpenteur-dessinateur-visiteur-flâneur parisien de génie, Gabriel de Saint-Aubin, n’avait pas croqué le tableau dans son livret, illustrant une partie du numéro 46 de l’exposition : « Autres tableaux de même genre, sous le même Numéro » – rien de plus, le dessin fait quelques millimètres, le Panier de fraises des bois de Chardin passa (presque) inaperçu. Deux siècles plus tard, en 1979, un détail du tableau fut choisi pour servir de couverture – sur laquelle il semblait inutile de faire imprimer quelque mot que ce fût – au catalogue de l’exposition que Pierre Rosenberg, son plus éminent spécialiste, consacra au peintre cette année-là. L’oublié d’autrefois était devenu ambassadeur ! Il est des quintessences lentes à scintiller aux yeux de tous…