VIVA LA FRIDA

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Deux cents objets provenant de la Casa Azul, la maison où Frida Kahlo a passé la majeure de partie de sa vie, sont présentés au Palais Galliera. Des cendres du bûcher de Jeanne d’Arc retrouvées dans un grenier de Rouen ? On monte une exposition. Le lobe de l’oreille droite de Van Gogh retrouvé dans la cave d’un ancien bordel de la ville d’Arles ? On monte une exposition. Un cheveu de Napoléon retrouvé à Sainte-Hélène ? On monte une exposition. Heureux soient les fétichistes : il y aura toujours un musée pour assouvir leurs penchants. Or il n’est pas aujourd’hui un seul peintre – un seul artiste ! – qui soit davantage objet de fétichisme que Frida Kahlo. Près de soixante-dix ans après sa mort, la Fridamania bat son plein. Son effigie est partout : reproduite au pochoir sur les murs des grandes villes, imprimée sur des tote bags, tatouée sur les avant-bras de ses fans, déclinée à l’envi sous mille formes (on l’a vue sur des gourdes, des mugs, des boucles d’oreilles, des pendentifs, des paires de chaussettes, etc.) Il paraît qu’on la trouve même sur des tableaux ! Pas certain qu’elle s’en fût réjouie, mais avec ses châles tissés, ses blouses brodées et ses coiffes élaborées, Friducha est devenue une icône de la mode. Une exposition Frida Kahlo à l’automne ? Oui, mais au Palais Galliera, musée de la mode de la ville de Paris. Peu de tableaux, mais deux cents objets venus tout droit de la...

Deux cents objets provenant de la Casa Azul, la maison où Frida Kahlo a passé
la majeure de partie de sa vie, sont présentés au Palais Galliera.

Des cendres du bûcher de Jeanne d’Arc retrouvées dans un grenier de Rouen ? On monte une exposition. Le lobe de l’oreille droite de Van Gogh retrouvé dans la cave d’un ancien bordel de la ville d’Arles ? On monte une exposition. Un cheveu de Napoléon retrouvé à Sainte-Hélène ? On monte une exposition. Heureux soient les fétichistes : il y aura toujours un musée pour assouvir leurs penchants.

Or il n’est pas aujourd’hui un seul peintre – un seul artiste ! – qui soit davantage objet de fétichisme que Frida Kahlo. Près de soixante-dix ans après sa mort, la Fridamania bat son plein. Son effigie est partout : reproduite au pochoir sur les murs des grandes villes, imprimée sur des tote bags, tatouée sur les avant-bras de ses fans, déclinée à l’envi sous mille formes (on l’a vue sur des gourdes, des mugs, des boucles d’oreilles, des pendentifs, des paires de chaussettes, etc.) Il paraît qu’on la trouve même sur des tableaux !

Pas certain qu’elle s’en fût réjouie, mais avec ses châles tissés, ses blouses brodées et ses coiffes élaborées, Friducha est devenue une icône de la mode. Une exposition Frida Kahlo à l’automne ? Oui, mais au Palais Galliera, musée de la mode de la ville de Paris. Peu de tableaux, mais deux cents objets venus tout droit de la Casa Azul – la fameuse maison bleue du quartier de Coyoacan à Mexico, où la peintre a passé la majeure partie de sa vie. Des vêtements, des correspondances, des accessoires, des médicaments, etc., pour une itinérance qui se propose « d’entrer dans l’intimité de l’artiste, et de comprendre comment elle s’est construite une identité à travers la manière de se présenter et de se représenter ».

Frida Kahlo n’est venue qu’une seule fois à Paris. C’était en février-mars 1939, sur l’invitation d’André Breton pour une exposition sur le Mexique. Paris ? « Une ville pourrie ». Breton ? « Un f. de p. ». Les surréalistes ? « Un tas de fils de putes lunatiques et tarés ». L’exposition, où est présentée The Frame, aujourd’hui propriété du Centre Pompidou ? « De la merde ». Tout ça, elle l’écrit en anglais au photographe Nickolas Muray, qui est alors son amant : « Je préfèrerais m’asseoir par terre et vendre des tortillas plutôt que d’avoir affaire à ces putains d’artistes parisiens. Ils passent des heures à réchauffer leurs précieuses fesses dans des cafés, à parler sans arrêt de culture, d’art, de révolution et cætera, à se prendre pour les dieux du monde, à rêver de choses plus absurdes les unes que les autres et à infecter l’atmosphère avec des théories fumeuses qui ne deviennent jamais réalité. »

Quatre-vingts ans plus tard, la voilà donc de retour dans cette « ville pourrie » à travers ses objets. L’histoire commence un matin de décembre 2004, au rez-de-chaussée de la Casa Azul. Hilda Trujillo, qui en est la directrice, s’apprête à briser les scellés sur deux salles de bains jamais ouvertes depuis 1954. Le 13 juillet de cette année-là, Frida Kahlo meurt à quarante-sept ans d’une embolie pulmonaire. Son mari, le muraliste mexicain Diego Rivera fait deux choses : 1. Il la fait incinérer, prend une poignée de cendres et la mange (le reste repose aujourd’hui sur le lit de Frida, dans une urne ayant la forme de son visage). 2. Il réunit les affaires de sa femme et les entrepose dans deux pièces, à n’ouvrir que quinze ans après sa mort à lui. On sait depuis Kafka qu’il ne faut pas faire confiance aux exécuteurs testamentaires. Le Max Brod de Diego Rivera est une femme : elle s’appelle Dolores Olmedo, elle a posé pour lui, il s’est rapproché d’elle après la mort de Frida, et suite à celle de Diego en 1957, Dolores décide que les chambres secrètes, finalement, ne seront ouvertes qu’après son propre décès.

Nous voilà donc fin 2004, on brise les scellés, on pousse la porte, et alors ? Est-ce qu’on se sent comme Howard Carter dans la vallée des Rois, après qu’il a découvert une volée de marches s’enfonçant quatre mètres sous terre et qu’il voit là, entassés pêle-mêle,
des lits funéraires, des chars d’apparat, des boucliers et des javelots, des étoles et des sandales et surtout le sarcophage de Toutankhamon ? Pas tout à fait. Car le sol est recouvert de poussière et la pièce sent le moisi. L’urine, aussi : un vasistas est cassé, des chats ont dû visiter les lieux plusieurs fois. Mais il y a là des trésors : des caisses, des coffres, des cartons, et làdedans les milliers d’affaires de Frida. L’inventaire prend des mois : sont retrouvés plus de vingt mille documents, cinq mille photographies, deux mille
livres, certains couverts d’annotations et de dessins, deux cents esquisses, cent soixante-huit robes, etc. De quoi réécrire entièrement la bio de Frida : aussi bien que ses tableaux, ces trésors de la maison bleue font le récit de sa vie.

Ce corset peint à la main par exemple. Triste souvenir de l’année 1925. Un soir, elle rentre chez elle en autobus, et l’autobus finit dans le décor : il y a des morts et des blessés dont une jeune fille de dix-huit ans, qui étudie à l’Escuela Nacional Preparatoria, le meilleur établissement du pays.

Une barre de métal lui a transpercé l’abdomen, sa jambe et son pied sont cassés, ses côtes et son bassin sont brisés, sa colonne vertébrale fracturée. Frida Kahlo n’est plus qu’une carcasse de souffrance, elle doit garder le lit pendant près d’une année, puis porter ce corset en plâtre qu’elle peint quand elle l’enlève, neuf mois plus tard. Car Frida pendant sa convalescence a commencé à peindre. Sa mère lui a offert une boîte de couleurs, son père
a fait installer un miroir au-dessus de son lit, et Frida se prend pour modèle : sur les cent quarantetrois tableaux que comptera son oeuvre à la fin de sa vie, cinquante-cinq sont des autoportraits. Sur l’un des plus fameux, elle se représente le torse sanglé dans un corset blanc, une colonne robotique lui déchirant le corps, des clous plantés partout dans la peau. Elle a les seins nus et se tient très droite, très digne face à la douleur ; des larmes coulent sur ses joues. La colonne brisée – le titre du tableau – a été peint en 1944.

Deux ans plus tard, elle subit une énième opération de la colonne, qui lui laisse deux énormes cicatrices en bas du dos. Cette année-là, elle est photographiée par son neveu Antonio Kahlo, quatorze ans : assise sur une chaise, les cheveux détachés, les yeux plissés, elle offre son visage au soleil, une cigarette à la main. La photo s’appelle Frida fumant ; on lui préfère ce titre à rallonge : Inlassable guerrière profitant d’un bref instant de répit, entre deux batailles qu’elle livre à son corps. En 1953, on l’amputera de la jambe droite. Elle devra porter une prothèse, chaussée d’une botte rouge sur laquelle elle ajoutera des motifs de broderie chinoise et un grelot. Elle songera au suicide, continuera à peindre : sur son dernier tableau, elle écrira Viva la vida sur des pastèques au rouge éclatant, comme
pour nous rappeler que « rien n’est noir, vraiment rien ».

Ceux qui à travers ces objets découvriront Frida auront peut-être envie de jeter un oeil à son art, foudroyant et délicat, plein de douleur mais sans trémolos : une bombe avec un ruban autour, disait un écrivain français pas tellement rancunier. Son nom ? André Breton.

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