Les Étrusques ont toujours fasciné le public et les expositions sur ce thème se sont succédées à un rythme soutenu, depuis celle de Zurich en 1955, particulièrement mémorable. Nîmes reprend le sujet, sous l’intitulé Étrusques, une civilisation de la
Méditerranée.
Rien de racoleur dans ce titre qui, pour une fois, ne fait pas référence au prétendu mystère entourant cette civilisation. Le mystère en question, soit l’origine du peuple étrusque (autochtone, orientale ou asiatique), discutée dans l’Antiquité déjà, ne monopolise plus guère l’attention des spécialistes, qui penchent pour une simple évolution de la culture dite « villanovienne » (d’après Villanova, site archéologique majeur de la région de Bologne), qui a fleuri entre 900 et 700 avant J.-C.
Donc pas besoin de mystère pour conférer de l’intérêt à ce peuple, qui a joué un rôle si important dans la péninsule italienne. Qu’on pense seulement aux noms que portent encore aujourd’hui les deux mers qui la bordent, la Tyrrhénienne (les Grecs désignaient les Étrusques sous le nom de Tyrrhénoï) et l’Adriatique (d’après Adria, cité étrusque de l’actuelle Vénétie).
L’exposition de Nîmes tombe à pic. En effet, le Museo Gregoriano Etrusco du Vatican, qui occupe une page fondamentale dans l’histoire de l’étruscologie (sa fondation remonte à 1837), vient de faire peau neuve. Et une autre justification de l’exposition nîmoise, invoquée par les organisateurs euxmêmes, est le fait que le musée de leur ville détient une partie de la collection Campana. Constituée à Rome entre 1830 et 1850, celle-ci rassemble de très nombreuses antiquités étrusques, provenant notamment de la nécropole de Cerveteri (sur le marquis Giampietro Campana, voir le blog d’Art-
Passions du 7 novembre 2018).
Cette exposition de belle tenue, dans son cadre superbe, est fondée sur les prêts du Musée Archéologique national de Florence et du Musée Étrusque de Volterra, fondé en 1761 par Mario Guarnacci. Et les concepteurs ont eu l’heureuse idée d’ajouter au riche matériel provenant des deux musées précités les découvertes faites sur les côtes françaises, témoignage des relations commerciales intenses et suivies avec l’Étrurie, connue pour ses
gisements miniers, de fer principalement. Parmi ces découvertes, beaucoup proviennent d’épaves, dont celle de Rochelongue au cap d’Agde, laquelle contenait notamment des lingots. Bien entendu, la Corse n’est pas oubliée dans ce contexte. En effet, les Étrusques s’y établirent dès le VIe siècle avant J.-C., comme en témoigne la très importante nécropole d’Aléria.
L’exposition offre un large panorama de la civilisation étrusque, fondamentalement urbaine, à la manière des cités-États de la Grèce. Et, comme toujours en archéologie, la connaissance se fonde majoritairement sur le matériel funéraire, particulièrement riche dans le cas des Étrusques. Les tombes à chambre contiennent ordinairement des vases en terre cuite nécessaires pour le service du vin. Comme on sait, les Étrusques ont repris des Grecs le rituel du banquet ou symposion, à cette différence près que la maîtresse de maison pouvait y participer (bien que la décence lui imposât de se tenir assise à l’extrémité du lit occupé par son mari plutôt qu’allongée auprès de lui). Pour le banquet, les Étrusques importaient de Grèce la vaisselle nécessaire. Et, à en juger par la qualité des trouvailles, ils profitaient de leur richesse pour exiger des fournisseurs le premier choix. Ce qui ne les a pas empêchés de produire des imitations, mais sans parvenir à égaler vraiment les originaux.
En revanche, les Étrusques maîtrisaient la technique du bronze au point de rivaliser avec les Grecs, comme en témoignent la fameuse Chimère d’Arezzo et le non moins célèbre Mars de Todi. Les Étrusques savaient aussi travailler l’albâtre, sous la forme d’urnes cinéraires, au décor complexe. Le couvercle adopte la forme du défunt, étendu en position de « banqueteur », tandis que la cuve porte une scène figurée en haut-relief. Ces oeuvres font aujourd’hui la réputation du Musée de Volterra.
Concernant la sculpture en terre cuite, destinée aux sanctuaires (construits en bois et non en pierre), les visiteurs de l’exposition doivent se contenter d’admirer une série d’« antéfixes », ornements de toiture disposés à l’extrémité des alignements de tuiles. Les grandes sculptures réservées aux frontons des temples, telles les célèbres chevaux ailés de Tarquinia, n’ont pas fait le déplacement à Nîmes, pour des raisons évidentes.
Enfin, il faut citer l’orfèvrerie, unanimement admirée, notamment les boucles d’oreilles dites « en barillet ». Elles sont ouvragées selon la technique de la granulation, prouesse technique jamais dépassée. Bien entendu, présenter la civilisation des Étrusques dans le cadre du Musée de la Romanité, c’était aussi accorder une large place à celle de Rome, qui en fut l’héritière directe.
Parmi les emprunts faits aux Étrusques (Tusci en latin), on peut citer la chaise curule, symbole du pouvoir judiciaire ; le faisceau du licteur, emblème des gardes chargés d’escorter les magistrats ; la bulla, pendentif en cuir ou en or distinguant les enfants nés libres. En outre, on sait par les auteurs anciens que l’art de la divination, tel que le pratiquaient les Étrusques, fut aussi adopté par les Romains, qui appliquèrent rigoureusement, malgré sa sophistication extrême, ce qu’on appelait la disciplina etrusca.
Pour illustrer le rôle des devins professionnels ou haruspices, les responsables de l’exposition nîmoise ont obtenu une reproduction fidèle d’un document capital, découvert à Plaisance (Piacenza) en 1877. Il s’agit de la représentation en bronze d’un foie de mouton, de taille réelle, où des lignes gravées servent à la subdivision en cases, chacune désignée par une inscription, elle aussi incisée. On lit notamment, sur la partie convexe, les mots usils, le soleil, et tivr, la lune. Le premier désigne un lobe du foie jugé favorable (familiaris), le second passant pour de mauvais augure (hostilis).
Dans cette même catégorie, on peut encore ranger les nombreux ex-voto dits « anatomiques », modelés en terre cuite. Plus modestes, ils témoignent à leur tour d’une étonnante connaissance du corps et des organes, qui suppose l’existence d’une médecine, au moins élémentaire.