À la tête de la maison d’édition qu’elle a fondée en 1992, Diane de Selliers est une femme libre et engagée. Amoureuse des grands textes de la littérature, elle a eu l’audace de les magnifier par des éditions d’un raffinement inouï scellant la rencontre du texte et de l’image. Fruit de recherches iconographiques de longue durée et de traductions souvent inédites, sont nés des ouvrages rares défiant les calendriers et le formatage du monde de l’édition. Pour fêter les trente ans de sa Maison, Diane de Selliers publie cet automne l’Épopée de Gilgamesh illustré par l’art mésopotamien : soit la plus belle réponse au chaos de ce monde…
Aussi loin que vos souvenirs remontent, quelle a été votre première émotion artistique ?
Je me souviens avec émotion des Vierges siennoises du début de la Renaissance que
j’ai vues adolescente, Vierges à la frontière de l’art byzantin, aux visages au léger mouvement, d’une grande douceur et d’une humanité émouvante. Et aussi d’un Christ portant la croix, d’une humilité et d’une paix intérieure qui m’avaient bouleversée.
Amateur d’art, lequel privilégiez-vous… ?
L’art m’intéresse par ce qu’il exprime comme part de nous-mêmes et du monde dans lequel
nous vivons. Je suis certainement plus sensible à la peinture que j’étudie depuis tant
d’années, à travers mes ouvrages, cherchant celles qui accompagnent au mieux les récits
que nous publions.
Collectionnez-vous des oeuvres d’art ?
Certaines personnes disent qu’à partir de deux oeuvres d’art chez soi on est collectionneur.
D’autres pensent qu’il faut avoir des coffres remplis d’oeuvres qu’on ne peut plus accrocher au mur pour être un vrai collectionneur. Je pense qu’il s’agit plus d’une démarche qui consiste à créer une oeuvre nouvelle à travers celles que l’on rassemble autour de soi. Je suis collectionneur dans mes livres, et j’ai des oeuvres d’art chez moi, coups de coeur ou rencontres qui m’ont émue.
Vos rapports avec les objets d’art ?
J’ai, surtout avec les sculptures, un lien fort. Elles racontent une histoire à laquelle je suis
sensible, elles me rassurent de leur présence immuable et éternelle, elles témoignent de la
vie et de nous. Les objets d’art sont pour moi des compagnons vivants et bienveillants.
Vos oeuvres incontournables ?
Celles qui ont un lien avec les livres que je publie. Ainsi une peinture de Gérard Garouste,
« Le livre brûlé » alors que nous préparions ensemble l’édition du Don Quichotte ; un
bronze de Mimmo Paladino représentant le cheval de Troie qui accompagnait l’exposition
de ses deux cents dessins illustrant l’Iliade et l’Odyssée, une miniature indienne du Râmâyana, une oeuvre japonaise en souvenir du Dit du Genji, et d’autres qui nourrissent
le souvenir d’années passées à travailler avec passion sur un livre.
Comment êtes-vous meublée ? Plutôt épuré ou chargé de souvenirs… ?
J’aime ce qui est épuré. Pourtant la vie est ainsi faite que les souvenirs s’accumulent…
et je rêve de retourner un jour dans un univers où l’oeil peut voyager plus librement…
Un artiste que vous auriez aimé rencontrer ?
Anish Kapoor. J’aime l’univers immense qu’il englobe dans ses oeuvres et ses installations
monumentales. J’avais voulu faire un livre avec lui sur un sujet qui me tenait très à coeur. Malheureusement la rencontre ne s’est pas faite et j’ai fini par abandonner ce projet.
Quel don artistique aimeriez-vous avoir ? J’aurais beaucoup aimé jouer d’un instrument de musique, surtout du piano, ou chanter. Cela ne s’est jamais fait, sans doute par manque d’aptitude, de conviction ou de confiance.
Quelle exposition conseilleriez-vous actuellement ?
La rétrospective de Gérard Garouste à Beaubourg. Un regard sur sa peinture dont les couleurs sont d’une exceptionnelle profondeur lumineuse, une entrée dans l’univers de l’artiste nourri de littérature et de ses sens cachés, une oeuvre puissante et engagée qui sera mise à l’honneur cet automne.