Le salon d’art genevois avec pignon sur scène internationale entame sa deuxième
décennie avec son regard panoramique – et parfois hors commerce – sur le monde artistique actuel. Et avec quelques notes de musique et de senteurs…
Pour paraphraser Thomas Hug évoquant Magritte, on pourrait dire d’artgenève : ceci n’est pas une foire, c’est un salon. On n’est pas ici dans un supermarché de luxe pléthorique et labyrinthique, on déambule dans une enfilade de cabinets. OEuvres de belle qualité panachant talents émergents issus de la proximité et grandes signatures internationales, prix modestes et cotes imposantes, confort de visite et ambiance conviviale : son directeur reste fidèle au credo qui a fait son succès. La petite soeur d’Art Basel aborde sa deuxième décennie avec confiance, mais refuse de grandir. Là où quelques trois cents galeries triées sur le volet se retrouvent chaque année mi-juin sur les bords du Rhin (sans compter toutes les foires off éparpillées dans la ville), Genève en accueille quatre-vingts fin janvier, elles aussi sélectionnées sur plusieurs centaines. Mais en plus des galeries, artgenève accueille aussi chaque année une trentaine d’invités non commerciaux qui font la spécificité et la fierté de Thomas Hug : musées, centres d’art, écoles
d’art, fondations, résidences d’artistes, collections privées qui proposent autant d’expositions présentant leur vision de l’art d’aujourd’hui, leurs choix, leur politique de formation ou d’acquisition. Comme d’habitude, le menu 2023 associe hôtes étrangers prestigieux et régionaux de haut vol : musée du Quai Branly, Fondation Dubuffet, Centre Pompidou Paris, musée Frieder Burda de Baden-Baden, KW Institute for contemporary art de Berlin, Serpentine Gallery de Londres ou Poush la résidence d’artistes et incubateur artistique la plus tendance du Grand Paris pour les premiers ; et parmi les seconds le musée d’art et d’histoire ou le Centre d’Art Contemporain de Genève, Photo Elysée, le tout jeune espace d’art All Stars de Lausanne ou un hommage à la galerie Rivolta, grande découvreuse de jeunes talents entre 1971 et le début des années deux mille. Et comme ces dernières années, le MAMCO vernira le premier soir un stand vide qui, tel un work in progress, se remplira au fil des jours avec ses achats faits sur place.
L’OUÏE ET L’ODORAT AU SALON Ce qui fait l’esprit d’artgenève ? La volonté d’être lemiroir de l’intégralité du monde artistique contemporain. Car s’y ajoutent encore les installations monumentales qui donnent à chaque édition son image spécifique : cette année, un groupe de sculptures de l’Anglais Barry Flanagan mises en scène dans un décor de désert de sable. Et après le design et les arts décoratifs qui avaient apporté leur touche au salon de 2018, ou la photographie à celui de 2022 avec une douzaine de galeries spécialisées, ce sont la musique et les senteurs qui font l’originalité de 2023 : la première focalisée sur l’importance du son dans les arts plastiques contemporains, et la seconde introduisant le facteur olfactif à travers une série de performances. L’ouïe et l’odorat n’ont habituellement guère leur place dans les foires de l’art, mais Thomas Hug a tenu à les mettre en vedette, lui qui a commencé par accomplir des études musicales (musicologie, piano et composition) et qui est un fin gastronome.
Même si artgenève revendique sa taille humaine, il y a de quoi voir et faire dans les allées de Palexpo ! Art Basel reçoit en moyenne soixante-dix mille visiteurs. En octobre dernier, Paris + Art Basel en a attiré quarante mille au Grand Palais éphémère. Avec ses trente mille hôtes, artgenève fait presque aussi bien !
Rares sont les galeries romandes qui parviennent à décrocher leur ticket pour Bâle. artgenève a donc d’emblée pris le parti de l’ancrage dans une région riche à la fois en talents émergents, en écoles d’art, en institutions dynamiques et en collectionneurs curieux. Une région à haut potentiel touristique aussi et à fort pouvoir d’achat. Pari réussi et régionalisme très vite largement débordé pour s’inscrire dans un concept glocal. Dans la même veine, impossible désormais – et c’est tant mieux – de faire l’impasse de l’écologie. artgenève y ajoute sa touche en recyclant les parois et les matériaux de ses stands.
LE MARCHÉ DE L’ART POST PANDÉMIQUE
Aujourd’hui le constat s’impose : l’essentiel du marché de l’art se passe dans les foires et les maisons de
ventes. Les foires permettent aux collectionneurs de voir le maximum d’oeuvres en un minimum de temps. La première s’est tenue à Cologne en 1967, Bâle a suivi en 1971, l’an 2000 en comptabilisait
soixante dans le monde. En 2019, de Dakar à Sao Paulo, de Séoul à Miami ou de Madrid à Marrakech,
elles étaient plus de trois cents ! Certains prédisent l’effondrement du système des foires. Manifestement
pas dans l’immédiat. Le second marché, lui, a bondi de 73% en 2021, la Suisse y occupant le 8e rang.
Quant aux ventes en ligne, Covid aidant, elles ont plus que doublé en 2020.
En fait, ce sont évidemment les marchands les plus influents, ceux qui gèrent les multinationales du commerce de l’art qui s’en sortent le mieux. Un peu moins d’oeuvres vendues certes, mais à des prix stratosphériques et à des collectionneurs puissants avec un intérêt grandissant pour les artistes de la seconde moitié du XXe siècle et du début du XXIe siècle, pour les jeunes talents dont les cotes peuvent aujourd’hui atteindre des niveaux élevés. Rendez-vous en ce début d’année 2023 à Genève pour une manifestation de grande envergure et tant attendue dont la qualité et le dynamisme apportent un écho international.