Première exposition en France du travail de Christian Marclay depuis quinze ans, une rétrospective d’importance est présentée au Centre Pompidou jusqu’en février 2023.
La majeure partie de l’oeuvre de Christian Marclay concerne la manière dont une image exprime un son, autrement dit comment le son est exprimé visuellement. Manipulateur de sonorités ou plasticien de la musique, l’artiste helvético-américain qui a collaboré avec Sonic Youth, le Kronos Quartet, Otomo Yoshihide, Ikue Mori est aussi compositeur et a été primé à plusieurs reprises pour l’ensemble de son oeuvre d’art contemporain – dont le Prix Meret Oppenheim en 2009. Internationalement recon-nu, son travail a été exposé aussi bien au Musée d’art moderne de San Francisco qu’au Seattle Art Museum, en passant par la Tate Modern de Londres, le Palais de Tokyo, le Moderna Museet de Stockholm ou la Cité de la musique à Paris.
« La musique est un matériau. La technologie l’a transformée en objet, et une grande partie de mon travail porte sur cet objet autant que sur la musique.
[…] On ne pense pas nécessairement la musique en tant que réalité tangible, mais elle a des manifestations tangibles. Ce peut être aussi une illustration, un tableau, un dessin». C’est en ces termes que Christian Marclay présente l’espace commun entre son et image, souvent considéré comme improbable, qu’il n’a de cesse de questionner et d’expérimenter. Une recherche qui s’inscrit dans une histoire dressant des ponts entre diférentes pratiques artistiques.
Faut-il le rappeler, qu’au milieu du XIXe siècle, Richard Wagner fustigeait l’isolement des arts en réactualisant le concept de la tragédie grecque et en imaginant le Gesamtkunstwerk. Charles Baudelaire posait quant à lui les jalons d’une poésie synesthésique, ouvrant la culture artistique au pluridisciplinaire: «Les parfums, les couleurs, et les sons se répondent ; Dans une ténébreuse et sombre unité. » (poème « Correspondances », dans Les Fleurs du mal, 1857). Le futuriste Luigi Russolo doublera par la suite sa pratique picturale d’une réfexion sur le son dans son essai L’Art des bruits (1913) traçant la voie d’une musique bruitiste expérimentale. Par la suite, le XXe siècle a été profondément marqué par les réfexions menées au Bauhaus pour une réunion de tous les arts, mais aussi par les travaux de John Cage qui collabora aussi bien avec le danseur Merce Cunningham qu’avec l’artiste Robert Rauschenberg. Plus récemment, des artistes assument pleinement l’hybridation des pratiques artistiques au travers de dispositifs s’appuyant sur les nouvelles technologies. Comme le compositeur de musique électronique et artiste visuel japonais Ryoji Ikeda pour ne citer qu’un exemple.
Infuencé par la liberté d’expression du mouvement Fluxus et l’énergie non moins libératrice du punk rock, Christian Marclay devient pionnier dans les années soixante-dix – lorsqu’il utilise des platines vinyles pour créer des collages sonores –, annonçant l’avènement du scratching et des DJs qui apparaissent au début des années quatrevingts. Les connexions entre son, photographie, vidéo et flm trouvent des formes variables au sein de ses installations, de ses pièces de musique expérimentale ou de ses performances et même de ses sculptures.
Né en 1955 en Californie, il se forme à Genève à l’École supérieure d’arts visuels, puis au Massachusetts College of Art à Boston. Très sou-vent, son oeuvre polymorphe se développe à partir d’objets récupérés, dont la plupart sont propres au son : haut-parleurs, vinyles, pochettes de disques, cassettes audio et vieux téléphones manipulés pour révéler leurs qualités à la fois auditives et visuelles. C’est ainsi qu’il se passe de connaissance en solfège pour entrer dans le monde de la musique et qu’il s’appuie sur la culture dite populaire pour développer des pièces inédites. En 2012, il intervient par exemple sur un mode ludique à même les fenêtres du Palais de Tokyo à Paris en jouant sur la reproduction en transparence d’onomatopées inspirées de mangas japonais. Efet qui sera démultiplié plus tard dans une installation d’envergure, Surround Sounds (2014-2015), plongée tourbillonnante au sein des onomatopées de comics, déjouant l’absence de son en prenant possession de l’espace.
Indéniablement, c’est à la virtuosité de ses montages cinématographiques qu’il doit aujourd’hui sa renommée. En 2011, il reçoit le Lion d’or à la Biennale d’art contemporain de Venise pour Te Clock (2010), un flm de vingt-quatre heures à vivre en temps réel et dans lequel ont été compilés – durant des mois et par une équipe de plusieurs assistants – des milliers de séquences de flms existants où apparaissent les heures, les minutes, voire les secondes. Ainsi, l’heure qu’il est à l’écran est toujours identique à l’heure exacte que l’on vit. Où qu’elle ait été vécue, l’expérience sans début ni fn de cette puissante immersion dans le temps réel et dans le zapping d’archives flmographiques marque son public par sa dimension précise, dynamique, résonnant avec une certaine familiarité et étalant toutes les émotions du cinéma, du suspens à l’humour, en passant par le drame et le romantisme.
Chez Marclay, il existe également des pratiques plus discrètes, quotidiennes, comme celle de la photographie qui avait été présentée pour la première fois au Mamco à Genève en 2008. Du photogramme à l’instantané numérique, en passant par le cyanotype et les clichés trouvés, l’artiste se confronte à toute une histoire de la photographie. En silence, les images qu’il réunit depuis plus de quarante ans– ayant trait à la thématique de la musique – sont à comprendre comme des notes qui donnent naissance mentalement à des sons. Rompu par ces dernières, le calme apparent des salles où les images sont exposées contient une musique latente, oscillant entre les domaines de l’archivage et du devenir. Car l’artiste les met ensuite volontiers à la disposition de musiciens, pour que, seuls ou en groupe, ils puissent «inventer leur propre règle», et créer un morceau issu de ces signes sans portée.
À Lausanne, il y a une année, Christian Marclay marquait l’ouverture du Mudac et du musée de l’Elysée en remplissant tout un étage avec des écrans plats disposés au sol. Et un autre par des projections monumentales sur toute la hauteur des murs. Difusant des photographies de façon aléatoire à partir du vaste répertoire d’images – un million – documentant les trésors des deux musées, sans son, l’intervention Déballage était aussi structurée et rythmée qu’amusée. En chef d’orchestre, Marclay parvint ainsi à faire pétiller ce qui est généralement relégué dans l’ombre des dépôts et à rappeler l’essence même d’un musée : ses collections. À Paris, au Centre Pompidou, une installation vidéo, Doors (2022), sera présentée pour la première fois dans le parcours.