CURT GLASER UN DESTIN BRISÉ DE COLLECTIONNEUR

Max Beckmann Portrait de Curt Glaser, 1929
Exposition-hommage: pour la première fois, une sélection issue de la collection d’art de Curt Glaser (1879-1943) est montrée au Kunstmuseum de Bâle. Collectionneur et amateur d’art, ce natif de Leipzig devenu Berlinois l’est assurément. La collection que Curt Glaser met sur pied avec son épouse est une collection dynamique, vivante, faite d’achats et de ventes régulières. Critique d’art, il écrit des centaines de recensions d’expositions pour la presse artistique berlinoise. Historien d’art de formation, il dirige entre 1909 et 1924, la collection d’art moderne et contemporaine au sein du Cabinet d’arts graphiques de la bibliothèque d’art de Berlin. Non seulement, il y devient un expert de l’art moderne mais il continue d’apprécier la compagnie de l’art ancien et extra-européen, notamment d’Asie du Sud-Est. Il atteint le point d’orgue de sa carrière en1924 : nommé directeur de la bibliothèque d’art de Berlin, il compte parmi l’intelligentsia des arts berlinoise et tient même salon dans son appartement, recevant artistes, intellectuels et amateurs. Edvard Munch Elsa et Curt Glaser, 1913 La césure prend place à l’orée des années trente: Elsa décède subitement en 1932 à l’âge de cinquante-quatre ans, laissant derrière elle un mari dévasté. Et en 1933, l’arrivée au pouvoir d’Hitler précipite encore son destin. Sa judéité le force à quitter ses fonctions de directeur de la bibliothèque en septembre 1933. Alors, Glaser agit: il se sépare de l’appartement berlinois richement décoré qu’il occupait avec son épouse; et sous le titre «Sammlung und Bibliothek eines Berliner Kunstfreundes » («Collection et bibliothèque d’un...

Exposition-hommage: pour la première fois, une sélection issue de la collection d’art de Curt Glaser (1879-1943) est montrée au Kunstmuseum de Bâle.

Collectionneur et amateur d’art, ce natif de Leipzig devenu Berlinois l’est assurément. La collection que Curt Glaser met sur pied avec son épouse est une collection dynamique, vivante, faite d’achats et de ventes régulières. Critique d’art, il écrit des centaines de recensions d’expositions pour la presse artistique berlinoise. Historien d’art de formation, il dirige entre 1909 et 1924, la collection d’art moderne et contemporaine au sein du Cabinet d’arts graphiques de la bibliothèque d’art de Berlin. Non seulement, il y devient un expert de l’art moderne mais il continue d’apprécier la compagnie de l’art ancien et extra-européen, notamment d’Asie du Sud-Est. Il atteint le point d’orgue de sa carrière en1924 : nommé directeur de la bibliothèque d’art de Berlin, il compte parmi l’intelligentsia des arts berlinoise et tient même salon dans son appartement, recevant artistes, intellectuels et amateurs.

Edvard Munch Elsa et Curt Glaser, 1913

La césure prend place à l’orée des années trente: Elsa décède subitement en 1932 à l’âge de cinquante-quatre ans, laissant derrière elle un mari dévasté. Et en 1933, l’arrivée au pouvoir d’Hitler précipite encore son destin. Sa judéité le force à quitter ses fonctions de directeur de la bibliothèque en septembre 1933. Alors, Glaser agit: il se sépare de l’appartement berlinois richement décoré qu’il occupait avec son épouse; et sous le titre «Sammlung und Bibliothek eines Berliner Kunstfreundes » («Collection et bibliothèque d’un amateur d’art berlinois»), il organise lui-même à Berlin la vente aux enchères de la majeure partie de sa collection en mai 1933. Meubles, luminaires du XVIIIe siècle côtoient des sculptures et peintures d’art ancien et moderne comme des pièces d’artisanat oriental et asiatique. Des livres rares enfn de sa somptueuse bibliothèque complètent la liste des enchères. S’il confe à son ami artiste Edvard Munch dans une lettre que «tout ce qui [l’]encombre doit disparaitre», faut-il pour autant croire que ce sont uniquement des raisons d’ordre émotionnel qui ont guidé ce choix? Il y a une autre urgence, les préparatifs de sa future émigration semblent déjà prendre forme dans son esprit. Quelques mois plus tard, remarié, il part en efet en exil pour le Tessin, à Ascona accompagné de quatorze caisses et d’une très petite partie de ce qui lui restait de sa collection d’art. À Munch, il écrit depuis le Tessin en 1933, une fois installé: «Je suis déconnecté de tout, je ne suis plus fonctionnaire, je ne suis plus écrivain. Je suis un simple particulier qui passe ses journées à voyager quelque part dans le monde.» En 1941, il quittera la Suisse pour New York où il décède deux années plus tard à l’âge de soixante-quatre ans. Autant en Suisse qu’aux États-Unis, Glaser, qui retrouve à chaque fois une communauté d’émigrants prêts à l’aider et dispose d’une série de références de qualité, ne réussira plus à reprendre pied dans la vie professionnelle.

• Henri Matisse Portrait d’Elsa Glaser •

• Oskar Kokoschka Autoportrait de deux côtés, 1923 •

Tant d’étiquettes pour un seul homme: historien d’art, critique, conservateur, mécène et collectionneur. En 1943, à sa mort à New York, la notice nécrologique du New York Times liste tous ces titres. Les décennies qui ont suivi sa mort ont achevé de défaire lentement le souvenir et la réputation de Curt Glaser. Le Portrait de Curt Glaser, daté de 1929 de la main du peintre expressionniste allemand Max Beckmann, habituellement exposé au musée d’art de Saint-Louis, Mississippi, visible dans l’exposition de Bâle, semble avoir particulièrement rendu fer son commanditaire. Pendant quelques années, le portrait tint une place d’honneur dans la bibliothèque privée berlinoise de Glaser, exposé sur un chevalet il fut un des rares tableaux à le suivre dans son exil aux États-Unis. Qu’y voit-on ? Le collectionneur vêtu d’un costume, assis les jambes croisées dans un fauteuil, un livre à la main nous fxant de se yeux en amande démesurément agrandis. Derrière lui un chevalet qui matérialise l’intérêt de Glaser pour l’art et un livre pour la littérature. Dans une première version du portrait, Beckmann avait même fait fgurer un masque africain à la droite du fauteuil.

Du calme, de la prestance et même un soupçon de rigidité se dégagent de ce portrait un brin mélancolique. Comme si, quelques années avant le brusque et tragique tournant de 1933, s’y dessinait un pressentiment.

Pour connaître cet homme à l’expression énigmatique qui se cache derrière ce tableau, il faut remonter dans le temps et jeter un coup d’oeil à un autre portrait, celui que le peintre norvégien Edvard Munch ft de Curt Glaser et de son épouse Elsa. Un dessin croqué sur le vif, d’où se dégagent de la spontanéité et de la complicité. Nous sommes en 1913 à Oslo et Glaser vient pour la première fois, avec sa femme Elsa, rendre visite à cet artiste qu’il admire. Épousée en 1903, Elsa est de confession juive, issue d’une famille de collectionneurs d’art fortunée. Ensemble ils partagent le goût des voyages et de l’art. Entre Munch et Glaser débute une longue amitié qui débouchera, en 1917, sur la publication par Glaser de la première monographie en langue allemande du peintre. En 1922, une première exposition du peintre norvégien au Kunsthaus de Zurich bénéfcie de la présence de sept oeuvres de la collection Glaser. Quatre d’entre elles seront acquises au fl des années par le Kunsthaus. Après Oslo, il y aura Paris en 1914 et une rencontre avec Henri Matisse qui réalisera le portrait d’Elsa. Puis, à la fn de la décennie vingt, il y a la rencontre avec Max Beckmann auprès duquel le couple acquiert plusieurs tableaux que Glaser s’eforce de défendre dans ses critiques d’art.

Franz Marc Grands chevaux bleus, 1911 Huile sur toile

Aujourd’hui, c’est dans le monde entier, dans des collections muséales et privées qu’on retrouve la trace de ces oeuvres dispersées. Mais c’est à Bâle où une importante partie de cette collection – deux cents dessins et gravures achetés par le Kunstmuseum bâlois à la vente de mai 1933 – que se laisse deviner avec exactitude l’ampleur de cet ensemble d’art moderne. Et ce, bien que la reconstitution de la Collection Curt et Elsa Glaser ne soit pas une tâche aisée, aucun inventaire ne semble avoir été réalisé de leur vivant! Aux côtés des beaux ensembles d’art moderne signés Matisse, Munch ou Beckmann (un groupe de vingt-cinq gravures et dessins), l’exposition permet en effet de découvrir des oeuvres conservées à Bâle ou dans des musées étrangers : des gravures et dessins d’artistes de la modernité allemande et française – Kirchner, Kokoschka, Maillol, Franz Marc ou Max Liebermann; un ensemble signifcatif de gravures de Daumier (cent cinq caricatures) mais aussi des exemplaires de qualité de maîtres anciens hollandais et italiens, tels Bartholomeus Spranger, Abraham Bloemaert, Daniele Crespi.

Pour quelques mois, la collection Glaser semble renaître de ses cendres…

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