UGO RONDINONE • RÊVER DE CHEVAUX BLEUS

Salle Espace rythmique. La cascade
Comme en 2008, alors qu’il était directeur du Palais de Tokyo, Marc-Olivier Wahler, désormais à la tête du Musée d’art et d’histoire de Genève, donne carte blanche à Ugo Rondinone, artiste suisse au rayonnement international. Annoncée par une affiche arc-en-ciel, alors que la foire Art Genève battait son plein, l’exposition XXL When the Sun Goes Down and the Moon Comes Up ouvrait ses portes au public pour courir jusqu’au solstice d’été. Comme à Paris, le projet dessiné dans la Cité de Calvin porte non pas sur l’exposition à proprement parler des œuvres d’Ugo Rondinone, mais sur la présentation des travaux d’autres artistes qu’il décide de mettre en scène. Si, en France, une trentaine d’entre eux était mis en relation dans un gigantesque collage à l’échelle des salles d’exposition, Genève nous réserve un dialogue inédit entre plus de 500 pièces sorties des riches collections de son musée couvrant des domaines aussi divers que passionnants – art, archéologie, horlogerie, arts appliqués, instruments anciens – et des œuvres d’art contemporain d’Ugo Rondinone. C’est donc sa qualité à mettre en relation des choses formellement différentes dans un tout cohérent pouvant se répondre et se faire écho, qui est sollicité au rez-de-chaussée du Musée d’art et d’histoire. Celui qui a notamment représenté la Suisse à la Biennale de Venise en 2007 est en effet capable de créer de façon singulière des liens et des associations mentales entre des objets disparates. Et également de générer des scénarios multiples à partir d’une seule et même œuvre. Comme...

Comme en 2008, alors qu’il était directeur du Palais de Tokyo, Marc-Olivier Wahler, désormais à la tête du Musée d’art et d’histoire de Genève, donne carte blanche à Ugo Rondinone, artiste suisse au rayonnement international. Annoncée par une affiche arc-en-ciel, alors que la foire Art Genève battait son plein, l’exposition XXL When the Sun Goes Down and the Moon Comes Up ouvrait ses portes au public pour courir jusqu’au solstice d’été.

Comme à Paris, le projet dessiné dans la Cité de Calvin porte non pas sur l’exposition à proprement parler des œuvres d’Ugo Rondinone, mais sur la présentation des travaux d’autres artistes qu’il décide de mettre en scène. Si, en France, une trentaine d’entre eux était mis en relation dans un gigantesque collage à l’échelle des salles d’exposition, Genève nous réserve un dialogue inédit entre plus de 500 pièces sorties des riches collections de son musée couvrant des domaines aussi divers que passionnants – art, archéologie, horlogerie, arts appliqués, instruments anciens – et des œuvres d’art contemporain d’Ugo Rondinone. C’est donc sa qualité à mettre en relation des choses formellement différentes dans un tout cohérent pouvant se répondre et se faire écho, qui est sollicité au rez-de-chaussée du Musée d’art et d’histoire. Celui qui a notamment représenté la Suisse à la Biennale de Venise en 2007 est en effet capable de créer de façon singulière des liens et des associations mentales entre des objets disparates. Et également de générer des scénarios multiples à partir d’une seule et même œuvre.

Comme dans beaucoup de ses travaux, Rondinone cherche à déstabiliser le regardeur, lui faisant perdre ses repères face au réel grâce à une œuvre fondée sur le plaisir et le jeu, le rêve et l’évasion, l’intériorisation de l’émotion. Rappelons que, depuis plus de vingt ans, Ugo Rondinone met en scène la figure de l’artiste contemporain et questionne sa relation au monde. Longtemps l’image d’un clown triste et silencieux a été utilisée comme métaphore du personnage de l’artiste, se situant aux antipodes de la représentation traditionnelle qui voit en ce dernier un héros ou une star. Centré sur l’humain, son psychisme et ses émotions, le travail de Rondinone multiplie les références à la littérature, au théâtre, à la musique ou à l’histoire, pour entraîner le spectateur dans des œuvres méditatives, voire hypnotiques, souvent mélancoliques et désenchantées, mais hautement poétiques et parfois même empreintes d’humour.

Né en 1964 à Brunnen au bord du lac des Quatre-Cantons, Ugo Rondinone a émergé sur le grand échiquier de l’art contemporain dans les années 1980. Vivant depuis de nombreuses années à New York, il est bien connu à Genève où il a réalisé une sculpture de dix mètres de hauteur : The Wise fait en effet partie des pièces d’art incontournables installées sur le territoire du bout du lac depuis une dizaine d’années. Érigée à Onex sur la place des Deux-Églises, elle rappelle les imposants monolithes de pierre  de Stonehenge (UK) et son architecture – l’entrejambe du personnage créant une ouverture en forme de porte. À sa manière, Rondinone réactualise ainsi une construction colossale de l’âge de bronze, qui témoigne d’une ingénierie collective sans pareille, compte tenu de la taille et du poids de ces blocs.

« Je pense que les travaux qui m’intéressent ont cette énergie de réponse. Le temps s’arrête pendant qu’on les regarde. Ce ne sont pas des travaux hystériques, ils sont bien dans leur peau et rayonnent », expliquait l’artiste à Marc-Oliver Wahler dans le Journal des Arts en 2007. Aux activités trépidantes de l’actuelle société, Rondinone répond par la liberté du vagabondage, par la lenteur de la promenade, l’intériorisation de l’émotion, la mélancolie parfois. C’est ce que raconte l’étendue de ses travaux – vidéo, photographie, sculpture – allant jusqu’à l’installation. Comme cette enfilade de salles au sein de son exposition monographique au Kunsthaus d’Aarau (la Nuit de plomb) en 2010, dont on ressortait comme d’un voyage aux multiples dimensions spatiales et temporelles, quelque part entre l’échelle humaine et celle d’un monde parallèle, là où le temps se dilate, là où l’espace n’a pour ainsi dire plus rien à voir avec la réalité. C’est sur ce registre onirique que se compose When the Sun Goes Down and the Moon Comes Up,offrant comme une cartographie du cerveau de l’artiste, de ses intérêts, de ses désirs et de ses influences. Une manière unique pour le public de se frotter au processus de création et d’expérimenter des recoupements esthétiques inattendus. « Les meilleures expositions que j’ai vues étaient organisées par des artistes. Ils ont des visions et des propositions qui ne ressemblent pas à celles de curateurs historiens de l’art », aime à souligner Marc-Olivier Wahler. En tant qu’artiste curateur de son propre travail, Ugo Rondinone ne propose rien d’autre en fait que de réorganiser une situation – en l’occurrence ici la présentation de collections patrimoniales – et de la livrer au public. Un public qui doit être prêt à se laisser prendre au jeu et se laisser entraîner parfois jusqu’à la contemplation hypnotique. Car regarder est une action. Le regardeur observe, sélectionne, compare, interprète. Il lie ce qu’il voit à bien d’autres choses et compose son propre récit : « C’est dans l’activité cognitive elle-même que réside le plaisir artistique : plaisir de sentir qu’il y a quelque chose à comprendre, qu’on est sur le point de comprendre, que quelque chose d’absolument nouveau est sur le point de devenir intelligible, que l’on va découvrir du possible », explique la philosophe Nicole Everaert-Desmedt. Et si ce plaisir artistique opérait ? Si les œuvres du Musée d’art et d’histoire, par leur propre aura, cumulaient les interprétations possibles le temps de cette intervention offrant une errance, stimulant la curiosité et la redécouverte du patrimoine genevois ? Au sein des salles palatines dessinées par Marc Camoletti il y a plus d’un siècle, Rondinone met les nus de Felix Vallotton et les guerriers de Ferdinand Hodler littéralement au niveau du public, mixe les paysages lacustres de ce dernier avec des chevaux de verre bleu de sa création, joue la surabondance de dessins de Carlos Schwabe et d’objets historiques sortis des réserves ou offre encore des filtres colorés pour le regard qui s’échapperait par les fenêtres du musée. Le bal est ouvert avec un soleil doré, une œuvre d’un diamètre généreux qu’il a lui-même réalisée en 2017, un arc-en-ciel se décline au gré de la déambulation, une forêt d’horloges suspend le temps et si le rêve opère tout du long, l’intervention d’Ugo Rondinone parvient une fois de plus à nous marquer durablement, bien après la visite.

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