Le Musée national du cinéma de Turin accueille l’exposition « Le monde de Tim Burton » jusqu’au printemps prochain. Elle offre plus de cinq cents oeuvres qui nous font plonger dans l’univers onirique du cinéaste.
Si en Italie Rome est la capitale de l’industrie du cinéma, Turin est celle de son Histoire. Depuis exactement soixante-dix ans lorsque le musée national du cinéma a ouvert ses portes sous la Mole Antonelliana, ce majestueux dôme de plus de cent soixante-sept mètres de haut qui est un des symboles de la ville. Un véritable temple consacré au Septième Art. Le plus grand en Europe. « J’ai pensé que l’atmosphère ressemblait beaucoup à celle des cimetières. Silencieux, introspectifs et pourtant enthousiasmant », avait constaté Tim Burton en y pénétrant. L’un des plus beaux compliments que pouvait faire ce cinéaste dont l’oeuvre aux touches macabres et à la veine gothique joue avec l’humour noir et l’ironie pour faire évoluer monstres et créatures fantastiques.
Séduit par son architecture à la fois grandiose et élégante de la Mole Antonelliana, il s’est réjoui d’en faire le décor de l’exposition « Le monde de Tim Burton », organisée par Jenny He en collaboration avec Tim Burton Productions jusqu’au 7 avril 2024. L’exposition itinérante lancée par le MoMA de New-york en 2008 a fait le tour du monde de Shangaï à Sao Paulo, de Tokyo à Messico. Chaque lieu a fait varier le choix des choses montrées. En Europe, elle avait fait étape il y a un peu plus de dix ans à la cinémathèque de Paris. C’est désormais à l’Italie de rendre pour la première fois hommage au génie créatif du réalisateur, scénariste et producteur américain connu notamment pour ses mises en scène de Beetlejuice (1988), Batman (1989), Edward aux mains d’argent (1990), Mars Attacks (1996) ou encore Charlie et la chocolaterie (2005).
Tim Burton est profondément attaché à la péninsule pas uniquement en raison de sa récente liaison avec l’actrice Monica Bellucci mais surtout comme source d’inspiration. Il aime ainsi citer ses pairs : le maître du film d’horreur transalpin Mario Bava, le roi du Giallo et de l’épouvante fantastique Dario Argento et bien évidemment le Maestro par excellence Federico Fellini qui était également auteur de bandes dessinées et caricaturiste. Le dessin est justement au coeur de cette « exposition non conventionnelle dans un lieu non conventionnel », comme l’a lui-même qualifié Tim Burton qui n’a pas hésité à déclarer que « sa mise en scène est l’une des meilleures auxquelles il a assisté dans un endroit idéal ».
Elle nous plonge dans les coulisses de son oeuvre mais surtout explore sa genèse en rassemblant cinq cent quarante pièces balayant l’ensemble de sa carrière de ses débuts à ses travaux les plus récents. Sont ainsi présentés de nouveaux dessins inédits en rapport avec la série télévisée Mercredi ou encore Beetlejuice 2 sur lesquelles il est actuellement en train de travailler. Rarement ou jamais vus pour la plupart, ces croquis, esquisses, storyboard, costumes, maquettes et marionnettes enchantent, perturbent et subjuguent. Ils occupent tout l’espace du musée de ses jardins à son café pour nous convier à un véritable voyage dans l’univers onirique du cinéaste en une dizaine de sections thématiques. Elles ne font que confirmer l’immense fantaisie du cinéaste au fil des rencontres que nous faisons avec ses personnages, ses influences, ses prospections dans les méandres de son esprit aux contorsions fantasmagoriques. Les oeuvres sont les plus variées possibles réalisées sur les supports les plus disparates voir improbables. Le visiteur plonge ainsi dans les archives personnelles de l’artiste, un océan de croquis jetés sur des serviettes d’hôtels ou de restaurants, de projets restés à l’état d’ébauches en passant par des sculptures grandeur nature, des fragments de courts métrages et des polaroïds géants pour naviguer dans son imaginaire.
Celui foisonnant dont les racines plongent dans l’enfance dans la petite ville californienne de Burbank où Tim Burton voit le jour en 1958. S’il affirme adorer être cinéaste, il insiste sur sa première vocation : le dessin. « Gamin j’aimais juste dessiner, aime-t-il rappeler, et j’ai continué à le faire quel que soit ce qui me venait à l’esprit en me moquant des critiques qu’on pourrait m’opposer. Je pense que ça a représenté pour moi une sorte de thérapie qui m’a aidé à connaître mon subconscient ». Il manifeste pourtant très tôt un goût pour le cinéma en consignant à ses professeurs de petits films mais c’est son don précoce pour le dessin qui lui permet de remporter un concours organisé pour décorer les camions de sa ville. Il intégrera par la suite la California Institute of Arts. Une impulsion créatrice qu’il libère d’abord sur une page blanche avant de la projeter sur un écran immaculé. Tim Burton n’y renoncera jamais délaissant les dernières trouvailles technologiques pour continuer à se servir d’un crayon et d’un carnet comme interprètes de ses divagations artistiques. Une activité certes lente et parfois fastidieuse mais qu’il compare à une séance de méditation zen. Ses premiers dessins évoquent le travail des grands caricaturistes et illustrateurs qui l’ont nourri : Edward Gorey, Charles Addams, Don Martin et Theodore Geisel. On retrouve par la suite l’influence manifeste des films de monstres japonais, du cinéma expressionniste allemand, des productions de films fantastiques, d’horreur et d’aventures de la Hammer Productions dans les années cinquante-soixante mais aussi l’ombre des virtuoses du suspense William Castle et Vincent Price. Devenu réalisateur Tim Burton demeurera épris des images, maniant aussi bien le Technicolor Kitsch des années cinquante et le noir et blanc du gothique ou de la mélancolie. Si rien n’est assez délirant pour lui, rien n’est surtout dérisoire. Un énorme succès au box-office naît le plus souvent de quelques lignes tracées sur une nappe ou la feuille volante d’un carnet de croquis. À moins qu’elles ne demeurent qu’une oeuvre d’art se suffisant à elle-même.
« Accueillir Tim Burton à Turin est un rêve devenu réalité, se félicite Domenico De Gaetano, directeur du Musée national du cinéma. Les images fantastiques de ses films ont accompagné nos vies, des enfants aux adultes. C’est merveilleux de constater comme le monde coloré et fantaisiste de Tim Burton s’intègre parfaitement à l’espace magique de la Mole Antonelliana. Les hommages qui lui ont été rendus dans d’autres pays ont été organisés dans des lieux conventionnels. Le nôtre unit la folie architecturale et son génie créatif ». Un décor idéal pour un film ou une exposition avec la curiosité de savoir si Tim Burton le croquera dans son carnet d’esquisses.