JACQUES DE LOUSTAL SOUS LE SOLEIL EXACTEMENT

Taxi Girl, 2018 Huile sur toile, 65 x 54 cm
Taxi Girl, 2018 Huile sur toile, 65 x 54 cm
Un superbe ouvrage, tout juste paru, retrace l’oeuvre peint d’un des dessinateurs les plus singuliers de sa génération. L’occasion pour Artpassions d’une rencontre avec l’artiste, et d’une balade enchantée dans son univers polychrome… La couleur avant tout. La couleur comme matière. La couleur comme sujet. À tel point qu’il fut toujours hors de question, pour Jacques de Loustal, dessinateur de bande dessinée célébré, de faire appel à un coloriste : « La couleur appartient pour moi à la matière artistique, elle est l’incarnation de ce qui me captive le plus : la lumière. » Il faudrait presque, en effet, s’enduire le visage de crème solaire, avant de scruter les paysages du peintre, né près de Paris en 1956, et qui y travaille toujours. Du bleu turquoise de l’océan ou du ciel au rouge de la terre et des aurores tropicales, de l’orange des fruits au vert quasi-fluo des cactus, du blond d’une chevelure ou du désert, sans oublier le nébuleux noir des clubs de jazz, on arpente chez Loustal la palette d’une vie fauve, entre l’ardente image d’Épinal et le paradis perdu. Collier rouge, 2020 Huile sur toile Et pourtant, le premier amour du peintre ne fut pas le pinceau, mais ce banal crayon qui, d’une page blanche sait fait jaillir un monde. Comme tous les enfants peut-être, sauf que la plupart abandonnent cette magie : « Je fais partie de ceux qui ont continué à dessiner », se souvient l’artiste. Qui fouille son passé, pour expliquer son amour précoce...

Un superbe ouvrage, tout juste paru, retrace l’oeuvre peint d’un des dessinateurs les plus singuliers de sa génération. L’occasion pour Artpassions d’une rencontre avec l’artiste, et d’une balade enchantée dans son univers polychrome…

La couleur avant tout. La couleur comme matière. La couleur comme sujet. À tel point qu’il fut toujours hors de question, pour Jacques de Loustal, dessinateur de bande dessinée célébré, de faire appel à un coloriste : « La couleur appartient pour moi à la matière artistique, elle est l’incarnation de ce qui me captive le plus : la lumière. » Il faudrait presque, en effet, s’enduire le visage de crème solaire, avant de scruter les paysages du peintre, né près de Paris en 1956, et qui y travaille toujours. Du bleu turquoise de l’océan ou du ciel au rouge de la terre et des aurores tropicales, de l’orange des fruits au vert quasi-fluo des cactus, du blond d’une chevelure ou du désert, sans oublier le nébuleux noir des clubs de jazz, on arpente chez Loustal la palette d’une vie fauve, entre l’ardente image d’Épinal et le paradis perdu.

Collier rouge, 2020 Huile sur toile
Collier rouge, 2020 Huile sur toile

Et pourtant, le premier amour du peintre ne fut pas le pinceau, mais ce banal crayon qui, d’une page blanche sait fait jaillir un monde. Comme tous les enfants peut-être, sauf que la plupart abandonnent cette magie : « Je fais partie de ceux qui ont continué à dessiner », se souvient l’artiste. Qui fouille son passé, pour expliquer son amour précoce du dessin : « J’étais le petit dernier, donc je bénéficiais de toutes les BD de mes frères aînés. Et comme j’étais isolé en tant que petit dernier, j’ai développé le goût des activités solitaires comme l’art, plutôt que les sports d’équipe… » Freud marque un point : ses jeunes années façonnent l’adulte à naître. Impossible de ne pas songer à l’enfance en examinant les peintures de Loustal. Si la technique s’affirme grandiose, l’inspiration puise ses sources dans un imaginaire primitif. On songe de nouveau à Freud : « Le bonheur est un rêve d’enfant réalisé à l’âge d’adulte. »

Malecon, 2018 Huile sur toile, 38 x 46 cm
Malecon, 2018 Huile sur toile, 38 x 46 cm

Ce rêve de la « liberté totale » offerte par la peinture, Loustal attendra toutefois avant de l’embrasser. Son premier réflexe, en honnête fils de bourgeois, étant de se choisir un « vrai métier ». Le plus proche du dessin possible – ce sera architecte. Une formation que le créateur ne renie pas : d’abord, elle lui apprend à regarder les édifices et les lignes de fuite, un motif essentiel de son oeuvre, et surtout, c’est durant les Beaux-Arts qu’il développe ses influences pionnières. Qui s’avèrent multiples… pour ne pas dire antagonistes. Car des solaires Matisse, Hockney ou Gauguin, aux inquiétants expressionnistes allemands comme Beckman, Dix ou Grosz, il y a loin ! D’autant que l’architecte en herbe, dans sa pratique personnelle, se choisit pour modèles des bédéistes comme Hergé, Crumb, ou le maître de la science-fiction Philippe Druillet. Il faut dire que ça explose de ce côté-là : ce sont les années folles des fanzines, de Pilote, de L’Écho des Savanes ou de Fluide Glacial… L’élève en gardera une attache viscérale à la case : « Un personnage, à mes yeux, est toujours en rapport avec son environnement. Le décor, avant le corps. Il y a beaucoup de dessinateurs qui partent du centre… Moi je trace mon cadre, et après je construis l’intérieur. »

Le gardien du sommeil, 2022 Acrylique sur toile, 65 x 92,5 cm
Le gardien du sommeil, 2022 Acrylique sur toile, 65 x 92,5 cm

Mais pas facile d’inventer son propre style, dans cet univers hyper-référencé : Loustal va-t-il pencher du côté de la ligne claire de Tintin (contours noirs, couleurs en aplats, absence d’ombres) ou vers la folie d’un Franquin, le père de Gaston Lagaffe ? S’adonner aux hachures, ou miser sur la vigueur du noir complet ? Les expérimentations seront assidues et le mèneront au succès, séduisant le New Yorker, nourrissant une bibliographie riche de plus de quatre-vingts titres. Néanmoins, bien que la star jure ne faire « aucune distinction entre art et illustration », on peut penser que c’est cet achoppement premier, ce goût de la recherche qui le mènera vers la peinture – ce domaine où tout est possible et qui, à rebours du dessin de presse, ne souffre ni règle ni mode. En l’occurrence, les toiles de Loustal procèdent moins de l’image que du volume. Comme si ses compositions, jamais figées sur leur socle, étaient mobiles. Comme si ses navires à vapeur, ses brûlantes odalisques, ses éléphants et ses cabanes se trouvaient à portée de main, tels des pions permutables dans la géométrie globale. L’artiste ne désavoue pas cette intuition : « Il est vrai que je suis très sensible à la sculpture. J’en achète beaucoup, parce que pour moi il y a une magie à prendre un bout de bois, pour en sortir une forme. À ce point qu’en peignant, j’ai parfois l’impression de sculpter. »

Mais sculpter quoi ? Comment décrire l’inspiration de Loustal ? On songe d’emblée aux enchantements de l’art dit « naïf », quoique le peintre préfère parler « d’art populaire ». Art, au demeurant, qu’au fil de ses voyages il observa passionnément : « En Afrique, aux Caraïbes, au Mexique, je n’ai cessé de rencontrer des artistes. Me fascinaient les types qui peignaient sur les plages, leur spontanéité, leur stylisation… J’aime les gens qui, avec rien, vont jusqu’au bout de leur idée. » Autant d’excursions, contrairement au Douanier Rousseau qui dut se contenter de fantasmer l’ailleurs, que Loustal effectua en personne, fidèle à sa lignée de militaires qui servit aux quatre coins de la planète. Son collègue François Landon emploie cette formule poétique : « Combler les zones blanches, sur la carte et sur la toile. » Loustal complète : « J’ai toujours pensé qu’aller voir le maximum de choses dans le monde était une obligation. »

Paradise lost Huile sur toile
Paradise lost Huile sur toile

Puis il y a les femmes. Leurs courbes douces, comme celle du globe terrestre, qu’on n’a jamais fini d’explorer. Même si depuis quelques années, les galeristes ont « un peu peur des nus », l’esthète assume son désir : « Un intérêt pour le sexe, pour les femmes, c’est sûr. Mais au-delà de l’érotisme, j’associe de toute façon la peinture à une notion de plaisir. Qu’il s’agisse du plaisir du dessin, de la contemplation, ou de la musique d’une plume encrée sur un papier granuleux… » Pour perpétuer le plaisir, et parce que le corps reste la chose la plus difficile à reproduire, Loustal continue de tracer des modèles vivants. Mais toujours en groupe : « Je n’ai jamais fait de séances de pose dans mon atelier. Ce serait un pas à franchir. Puis je crois que j’aime réinventer ce que j’ai vu. La mémoire est un garde-manger. »

Il y a peu, le peintre est allé voir la grande exposition Rothko. On lui avait juré que « devant la toile », il se passerait quelque chose. Rien à faire : ce n’est pas l’abstraction qui l’émeut. En revanche, il s’est régalé au musée Rodin, où les sculptures du Britannique Gormley interrogent jusqu’au surréel les relations de l’homme à son espace. Soit les deux pôles de Loustal, partagé depuis l’origine entre chair et structure. Surgit ici une phrase de Deleuze, qui réconcilie tout le monde : « On ne désire pas une femme, mais un paysage enveloppé dans une femme. »

Portrait Jacques de Loustal par Stephan Thiéblemont
Portrait Jacques de Loustal par Stephan Thiéblemont

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