« Now is the time » nous intime le Kunsthaus de Zurich qui organise cette exposition en partenariat avec le musée danois de Brandt et le Kunstforum de Vienne. L’heure de la rétrospective a effectivement sonné pour cette artiste autrichienne dont l’oeuvre d’avant-garde n’a, de son vivant, que peu rencontré de succès, voire même, peut-être, une forme d’incompréhension.
Si depuis plus de vingt-cinq ans, depuis son décès en 1997, Kiki Kogelnik est acclamée dans son pays natal comme l’artiste Pop Art la plus célèbre, elle était aussi l’unique dans ce pays, l’Autriche, marqué à jamais par les heures sombres du nazisme. Née en 1935, juste avant la guerre, à Graz, c’est sous le signe de l’expressionnisme que Kiki Kogelnik fait ses premiers pas dans l’art, au cours de ses études viennoises – à l’image de nombre de ses amis artistes massivement influencés dans l’après-guerre par ce courant d’art, comme pour mieux expier les années passées sous la dictature du réalisme en peinture prônée par le régime hitlérien. Ces années viennoises sont aussi un temps d’expérimentation pour l’artiste en herbe qui s’inspire tant de l’art brut que de l’abstraction de Jean Arp et Sophie Taeuber-Arp.
Le vrai déclic s’opère cependant à New York où elle débarque dans sa vingtième année, poussée par son attrait pour l’expressionnisme abstrait américain et encouragée à traverser l’Atlantique par le peintre américain Sam Francis qu’elle avait rencontré peu avant. Mais nous sommes en 1960 et l’expressionnisme entamait son lent déclin. Autant il conservait dans l’Europe de l’après-guerre cette force subversive, autant il occupait en Amérique une place de plus en plus ancrée, bientôt bousculée par l’avénement de la culture de la performance et du Pop Art. Et c’est dans ces cercles, sur ce terreau, avec les expérimentations de Roy Lichtenstein et d’Andy Warhol pour boussole, que Kiki Kogelnik va développer les bases de sa propre pratique artistique.
L’association spontanée du travail de Kiki Kogelnik au Pop Art est pourtant trompeuse. Car si elle partage avec le mouvement des ressemblances formelles, notamment en termes de gamme de couleurs (vives), de formes (simples et parlantes) et d’incursion dans le monde consumériste de la mode, à petites touches Kiki Kogelnik va creuser en réalité son propre sillon artistique en employant un vocabulaire visuel qu’elle développe à partir des années soixante, autour du corps et qu’elle liera dans un second temps à la technique.
Elle commence par découper, détourer des silhouettes de personnes de son entourage (parmi eux, principalement des artistes : Claes Oldenburg ou Karel Appel) – y compris la sienne – dans des rouleaux de tissu vinyle. Elle suspend, étend, accroche ces silhouettes grandeur nature à des cintres, des portants à roulettes, joue avec elles en se représentant conquérante, les ciseaux à la main, avec ces silhouettes flasques, molles à ses pieds. Ces séries de Hangings en particulier correspondent au pan le plus identifié et le plus facilement identifiable de son travail.
Chez Kiki Kogelnik, le corps cesse dès le début d’être un attribut individuel : répété indéfiniment sous une forme donnée sans attributs personnalisés, il devient universel : ses figures androgynes n’ont pas d’attributs sexués et vont au-delà de la binarité homme-femme ; les silhouettes corporelles sont réalisées dans toutes les couleurs sans notion de couleur de peau ou d’appartenance à une origine sociale ou ethnique ; et enfin, elles ne portent aucune indication d’âge.
Le corps devient bientôt le sujet principal de sculptures aux médias mixtes : accroché, tendu sur un fil, plié en quatre, enveloppe vide, le corps devient un habit, une peau qui peut être mis et enlevé, comme un moyen d’habiller l’esprit. On pense spontanément au travail d’Heidi Bucher qui, de manière concomittante, dans les années soixante « écorchait » des maisons à l’aide de latex nacré mais enveloppait des corps nus aussi, donnant à créer des « peaux de mue », telles des métamorphoses de chenille en papillon.