LA RÉFORME EN COULEUR
Magnifique hôtel particulier situé à côté de la Cathédrale de Genève, la Maison Mallet abrite depuis bientôt vingt ans le Musée international de la Réforme (MIR). Des milliers de visiteurs s’y pressent chaque année pour découvrir les témoignages d’une histoire vieille de cinq siècles et qui commence notamment à Genève. Le 21 mai 1536, ses autorités adoptent la Réforme à l’endroit même où ce musée accueille le public, deux mois avant l’arrivée de Jean Calvin dans la ville. Ce juriste, qui s’est converti aux idées du Réformateur Martin Luther à Paris au début des années mille cinq cent trente, a dû fuir son pays à cause des persécutions dont sont victimes les protestants. À Genève, il va oeuvrer pour installer la Réforme et contribuer à l’exporter en France.
Le credo réformé est simple mais lourd de conséquences : ce n’est plus l’Église romaine qui doit faire autorité sur les fidèles mais la Bible, que chacun doit pouvoir comprendre dans sa langue afin d’en méditer la leçon principale : les oeuvres humaines, et encore moins les rites catholiques, ne servent au salut de la personne. Cette révolution va provoquer des conflits sanglants au cours des XVIe et XVIIe siècles mais donner aussi naissance à de nouvelles façons de concevoir les relations humaines. La Réforme encourage l’exercice pluriel de la liberté. En désacralisant les figures anciennes de la religion et de la politique, elle participe à l’avènement des temps modernes.
Foncièrement laïc, le MIR raconte l’histoire de ce mouvement qui traverse les siècles et les continents. Le pari muséographique est complexe. Les Réformés se méfient de la tradition et de l’histoire par crainte qu’elles ne prennent l’ascendant sur la Bible. De là l’iconoclasme originel des protestants radicaux et leur saccage au XVIe siècle d’innombrables statues et images saintes exposées dans les Églises. Il en reste cette inclination protestante à favoriser le dépouillement et l’austérité. L’intérieur de la cathédrale de Genève en est une saisissante illustration.
Changement de décor au MIR juste à côté. La collection est riche, constituée notamment de prêts à long terme d’oeuvres prestigieuses accordées par plusieurs institutions culturelles et quelques privés genevois. La nouvelle scénographie instaurée lors d’un chantier de transformation initié en 2022 privilégie la couleur : bleu pour la première salle de la Réformation, rouge sang à propos des guerres de religions, orange pour l’iconoclasme et les caricatures, vert pour Calvin et ses contemporains, violet dans les espaces de l’expansion du protestantisme. Plus de cinq cents oeuvres se répartissent dans le parcours : tableaux, gravures, livres, manuscrits, lettres, objets, dispositifs musicaux et audiovisuels sont réunis pour composer une chronique à la fois des causes et des effets de la Réforme, à Genève, en Suisse, en Europe et au-delà.
On y admire des portraits et des tableaux de Lucas Cranach, Ferdinand Hodler, Jean-Étienne Liotard ou Roland Toepffer, on y déchiffre des lettres manuscrites de Catherine de Médicis, Henri IV, Martin Luther, Jean Calvin et Michel Servet, on y lit les premières éditions du Traité du Serf Arbitre de Luther, de l’Institution de la Religion chrétienne de Calvin ou de la Geneva Bible (Bible des Pères Pèlerins du Mayflower), on y repère une tasse de Calvin, une montre bijou réalisée par l’arrière-grand-père de Jean-Jacques Rousseau, une indienne imprimée par un huguenot français et un drapeau contemporain de la Croix-Rouge.
Dans la partie sud du nouveau MIR, cinq salles accueillent périodiquement des expositions temporaires. La dernière a présenté plus de soixante gravures exceptionnelles de Rembrandt décrivant des scènes de la Bible. La prochaine qui s’ouvre le 13 juin a pour titre Jouer avec les dieux. Elle concerne le dialogue interreligieux. Les protestants en sont les pionniers au XVIIIe siècle, notamment des huguenots à Amsterdam qui publient en 1723 un traité comparé de toutes les religions connues à l’époque. Le MIR reprend à son compte cet héritage en lui donnant une expression rafraîchie et ludique.
Gabriel de Montmollin,
Directeur du Musée international de la Réforme