FRÉDÉRIC MITTERRAND, ÉCRIVAIN

DOMINIQUE FERNANDEZ
DOMINIQUE FERNANDEZ
Nous nous sommes connus en 1973, quand nous fûmes nommés, en même temps que Jean d’Ormesson, à la Commission d’avances sur recette du Centre national du cinéma. Il avait vingt-six ans. Déjà charmant, charmeur, enjôleur, plus averti qu’aucun de nous en matière de films. Sympathie mutuelle immédiate. Notre amitié trouva mainte occasion de se renforcer, mais c’est surtout quand il fut directeur de la villa Médicis à Rome que nos liens devinrent plus intimes. J’ai souvent été son hôte, alors. Il succédait à un avare, dont tout Rome se gaussait, parce que, lors des réceptions à la Villa, il offrait des cacahuètes, des mandarines et du concentré de jus d’orange en boîte. Rome aime le faste, l’ostentation, la superfluité. Balthus avait fait merveille. Frédéric Mitterrand reprit la tradition de l’hospitalité seigneuriale. Il recevait splendidement, bien que les invités ne fussent pas toujours du niveau d’autrefois. Je l’ai vu commander un riche buffet pour une délégation de marchands de fromages, dans l’espoir que ceux-ci soutiendraient de leur mécénat les expositions organisées à la Villa. Commerçants dans le gorgonzola ou écrivains, artistes, gens du monde, Mitterrand les traitait tous avec la même courtoisie, la même élégance – et aussi le même ennui d’avoir à remplir des obligations auxquelles il ne croyait pas vraiment. Revenu à Paris, il publia en 2005 un récit autobiographique, La Mauvaise vie, où il ne cachait rien de ses moeurs, y compris de ses expéditions en Thaïlande. Scandale chez les bien-pensants, qui éclipsa ce qu’il aurait fallu mettre...

Nous nous sommes connus en 1973, quand nous fûmes nommés, en même temps que Jean d’Ormesson, à la Commission d’avances sur recette du Centre national du cinéma. Il avait vingt-six ans. Déjà charmant, charmeur, enjôleur, plus averti qu’aucun de nous en matière de films. Sympathie mutuelle immédiate. Notre amitié trouva mainte occasion de se renforcer, mais c’est surtout quand il fut directeur de la villa Médicis à Rome que nos liens devinrent plus intimes. J’ai souvent été son hôte, alors. Il succédait à un avare, dont tout Rome se gaussait, parce que, lors des réceptions à la Villa, il offrait des cacahuètes, des mandarines et du concentré de jus d’orange en boîte. Rome aime le faste, l’ostentation, la superfluité. Balthus avait fait merveille. Frédéric Mitterrand reprit la tradition de l’hospitalité seigneuriale. Il recevait splendidement, bien que les invités ne fussent pas toujours du niveau d’autrefois. Je l’ai vu commander un riche buffet pour une délégation de marchands de fromages, dans l’espoir que ceux-ci soutiendraient de leur mécénat les expositions organisées à la Villa. Commerçants dans le gorgonzola ou écrivains, artistes, gens du monde, Mitterrand les traitait tous avec la même courtoisie, la même élégance – et aussi le même ennui d’avoir à remplir des obligations auxquelles il ne croyait pas vraiment.

Revenu à Paris, il publia en 2005 un récit autobiographique, La Mauvaise vie, où il ne cachait rien de ses moeurs, y compris de ses expéditions en Thaïlande. Scandale chez les bien-pensants, qui éclipsa ce qu’il aurait fallu mettre au premier plan : le talent littéraire, la qualité de l’écriture. Celui qui passait pour un amuseur populaire, un Monsieur Loyal des Variétés, un bonimenteur à paillettes, à cause de ses présentations de stars à la télévision, se révélait excellent écrivain. C’est à ce titre qu’il restera dans l’histoire, non à cause de ses fonctions politiques qu’il lui arriva de remplir fugitivement.

Dans La Mauvaise vie, il commence par égrener ses souvenirs d’enfance et d’adolescence en Tunisie et au Maroc, à l’époque où « les familles qui ont toujours vécu au coeur de l’arrogance coloniale se braquent aigrement contre l’érosion de leurs privilèges ». Lui préfère fréquenter les jeunes Arabes. On a beau être gosse de riche, neveu d’un président de la République, futur ministre, on n’est pas maître de son goût profond. « C’est une attraction ténébreuse, incompréhensible, mais elle ne me lâche pas ; une sorte de jeu aussi qui rend heureux et triste ». « Le glissement vers la clandestinité, l’état d’alerte permanente s’amorcent mais je ne m’en rends pas bien compte ». On n’avait jamais évoqué avec autant de tendresse, d’effroi et de pudeur, à la fois l’envie et la crainte de se sentir devenir une sorte de paria. En marge de la société, il ne serait jamais pleinement admis, il le savait, ce qui ne l’empêchait pas d’être décidé à être luimême sans se cacher, quoi qu’il puisse lui en coûter. Il lui en coûta, bien des années après, l’Académie française, par une des plus lourdes bévues coutumières à cette institution.

Son livre est un magnifique exemple de courage : courage d’être ce qu’on est, courage de dire ce qu’on est, courage de rendre publiques les transgressions que tant de timorés et d’hypocrites n’osent pas avouer et gardent par-devers eux comme un secret honteux.

Amours tarifées, dont il ne tirait aune fierté ni félicité. Le bonheur, il ne l’a jamais connu. Il traversa la vie en solitaire, avec la déception et l’amertume ne n’avoir jamais rencontré son égal, de n’avoir jamais été aimé, d’être allé de frustrations en refoulements, de ne s’être jamais aimé lui-même. « Il m’aura fallu attendre le seuil de la vieillesse, alors qu’il est bien trop tard, pour reconnaître que c’était une erreur de ma part de se haïr soi-même avec tant de persévérance ».

On l’aura compris : cette autobiographie n’est pas le récit d’aventures éphémères, c’est un livre de moraliste, presque un traité de morale, sur un sujet épineux, dans la grande tradition française d’études de caractères, analytique et pessimiste.

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