CATACUMBAS

Benoît Dauvergne
Benoît Dauvergne
En art comme en tout, les débuts – qui durent plus ou moins – ont toujours quelque chose de spécialement émouvant. On y retrouve notre jeunesse et toutes ses ambitions plus ou moins abouties. On le constate à Mycènes, devant la porte des Lionnes, à Florence, devant le palais Rucellai ; devant les premiers Corot ou les premiers Cézanne, dans les premières pages, sinon les premiers tomes d’À la recherche du temps perdu ; dans les premières symphonies de tel ou tel compositeur aussi, etc. On éprouve ce même sentiment revigorant de se tenir comme près d’une source, fût-elle ombreuse, en descendant et en déambulant dans les illustres catacombes de l’Urbs, en partageant par exemple l’une de ses journées romaines entre les catacombes voisines de Saint Sébastien – le mot catacumbas, « près des carrières », désignait au IVe siècle cet ancien lieu d’extraction de la pouzzolane devenu l’une des plus grandes nécropoles paléochrétiennes –, de Domitilla et de Saint Calixte. Mais peut-être viendrez-vous là avec quelques notes d’Ottorino Respighi en tête, et vous aurez raison ! Peu de lieux de Rome semblent faire écho, non pas bien sûr à l’une ou à l’autre des pièces de sa trilogie romaine, mais à plusieurs en même temps, comme ferait un paysage qui mêlerait tranquillement fabriques et figures de différentes époques et de différents tons. La Via Appia passe ici, et vous vous souviendrez bien sûr du finale des Pins de Rome, de son crescendo entraînant qui semble si bien traduire la...

En art comme en tout, les débuts – qui durent plus ou moins – ont toujours quelque chose de spécialement émouvant. On y retrouve notre jeunesse et toutes ses ambitions plus ou moins abouties. On le constate à Mycènes, devant la porte des Lionnes, à Florence, devant le palais Rucellai ; devant les premiers Corot ou les premiers Cézanne, dans les premières pages, sinon les premiers tomes d’À la recherche du temps perdu ; dans les premières symphonies de tel ou tel compositeur aussi, etc. On éprouve ce même sentiment revigorant de se tenir comme près d’une source, fût-elle ombreuse, en descendant et en déambulant dans les illustres catacombes de l’Urbs, en partageant par exemple l’une de ses journées romaines entre les catacombes voisines de Saint Sébastien – le mot catacumbas, « près des carrières », désignait au IVe siècle cet ancien lieu d’extraction de la pouzzolane devenu l’une des plus grandes nécropoles paléochrétiennes –, de Domitilla et de Saint Calixte. Mais peut-être viendrez-vous là avec quelques notes d’Ottorino Respighi en tête, et vous aurez raison ! Peu de lieux de Rome semblent faire écho, non pas bien sûr à l’une ou à l’autre des pièces de sa trilogie romaine, mais à plusieurs en même temps, comme ferait un paysage qui mêlerait tranquillement fabriques et figures de différentes époques et de différents tons. La Via Appia passe ici, et vous vous souviendrez bien sûr du finale des Pins de Rome, de son crescendo entraînant qui semble si bien traduire la rectitude de la voie et l’ampleur de ses pavés ; de glorieux martyrs reposent ici, qui vous rappelleront le premier mouvement des Fêtes romaines, intitulé Circenses, qui dit la mort au milieu du Colisée, pour la foi. Cette basilique Saint Sébastien, qui fut construite au-dessus de la catacombe du même nom, est incluse dans le « Tour des sept églises » que l’on pratique lors des jubilés, jubilés dont la solennité heureuse est rappelée dans le deuxième mouvement des mêmes Fêtes romaines ; et il n’est pas jusqu’aux pages dédiées par Respighi, dans ses Fontaines romaines, à la grande sculpture baroque, au Triton de la place Barberini et à la Fontaine de Trevi – ruissellements, gerbes, éboulements d’eau, plis de tissu ou de peau, gouttelettes, éclats ! –, que vous ne pourrez vous rappeler dans cette église, devant le Saint Sébastien aux sinuosités douloureuses d’Antonio Giorgetti, ou devant le Salvador Mundi lumineux de Bernin, sa dernière oeuvre, récemment retrouvée et restaurée.

Et bien sûr, il y a les Pins près d’une catacombe. Dans ce deuxième mouvement des Pins de Rome comme dans les trois cimetières souterrains qui nous occupent, on trouve le même jeu, le même dialogue entre horizontalité et verticalité, obscurité et couleurs, ou – comme disait Simone Weil – pesanteur et grâce. En s’enfonçant dans ces galeries innombrables qui, sur deux ou trois niveaux, forment un maillage des plus denses, on est d’abord préoccupé par ces niches taillées partout dans les murs – aux mesures exactes de chaque cadavre – qui, ouvertes et vides qu’elles sont aujourd’hui, semblent autant de coups de pinceaux géants, droits, noir sur marron, même noir sur noir. Elles semblent flotter et avancer dans ces galeries comme ferait un défilé de barques dont on ne verrait pas le bout. Mais constamment s’élève une mélodie, constamment prennent le dessus des forces ascensionnelles : une chapelle s’ouvre devant vous, comme une respiration profonde, ou un puits, de service et de lumière (il devait pleuvoir ici !) ; des couleurs recherchées apparaissent, on vous éclaire une paroi, puis une autre, vous vous penchez pour mieux lever les yeux vers une petite voûte pleine de bustes dans des médaillons. Une iconographie naît sous nos yeux, un horizon se (re)déploie. Pas de théories de crânes ou de tibias dans ces nécropoles qui devinrent des lieux de culte, pas encore de jugements derniers, pas d’effroi, mais une ferme espérance manifestée parfois avec bonhomie : c’est Job sorti tout nu de la baleine, comme le Christ du tombeau, étendu comme un Endymion qui veillerait pour toujours ; ce sont des figures d’orantes et d’orants, aux mains ouvertes et levées, symbolisant l’âme libérée de la mort et par la mort (Platon n’est vraiment pas loin) ; ce sont encore des banquets célestes, des colombes tenant de grands rameaux d’olivier près de noms chéris, des paniers coniques remplis de pain, des ancres solides et délicates…, le tout plus ou moins combiné et développé en fonction des goûts, et des moyens, des personnes de tous âges attendant là.

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