DPIONNIERS DE LA SCULPTURE CLASSIQUE MODERNEe Renée Sintenis, on ne connaît plusguère que son ours dressé devenu lesymbole de la ville de Berlin et déclinéen Ours d’or de la Berlinale récompensantchaque année le meilleur film encompétition. Mais qui se souvient encore que lenom de sa créatrice était Renée Sintenis ? Son nomà lui en revanche, personne ne l’a oublié : reconnucomme un Cézanne de la sculpture, AristideMaillol a ouvert la voix de l’abstraction à l’art entrois dimensions et influencé certains des plusgrands sculpteurs de la première moitié du XXesiècle : Henry Moore, Jean Arp, Henry Laurens oumême Constantin Brancusi. À leur époque pourtant,ils étaient tous deux considérés comme desartistes de premier ordre. Ils s’étaient rencontrésen 1930 à Berlin et s’admiraient mutuellement.Mais depuis lors, l’histoire ne les a pas traités dela même façon.
« Am Römerholz », à Winterthour, La Méditerranéede Maillol est l’un des joyaux de la CollectionOskar Reinhart. C’est autour du fameux nu fémininen calcaire clair que sont réunis pour la premièrefois des ensembles de leurs sculptures, gravureset dessins respectifs, entre similitudes etdifférences, intitulé «La grandeur et la grâce».
AFFINITÉS ET CONTRASTES
Côté similitudes, tous deux sont vus comme desprécurseurs de la modernité, alors même qu’ilssont restés loin des avant-gardes qui chamboulaientle monde de l’art autour d’eux. Mais pourdes raisons différentes. Là où Maillol se fait lemaître de la simplification des formes en les synthétisantet les lissant presque jusqu’à l’épure pouratteindre à une perfection intemporelle, Sinteniss’attache à effacer les détails elle aussi, mais pourmieux rendre ses figures toutes frémissantes devie. Tous deux aussi restent fidèles à la figurationà l’heure où l’abstraction entre en scène au débutdu XXe siècle : Maillol avec la plénitude sensuellede ses nus féminins monumentaux, Sintenis avecla grâce élégante de ses petites sculptures animalièreset de ses sportifs en pleine action. Les illustrationsqu’ils ont signées dans des livres les rapprochenttout particulièrement. Et leurs oeuvresse retrouvent souvent dans les mêmes collections.Côté différence, c’est leur rapport à la temporalitéqui les sépare : les femmes de Maillol sont immobiles,hiératiques, campées hors du temps. Les figureset animaux de Sintenis sont saisis sur le vif,en plein mouvement : un athlète qui court, unboxeur en plein combat, une danseuse, un footballeur,un enfant dressé sur la tête ou un chevalau galop, un poulain qui rue, un chien qui secabre…
D’Aristide Maillol (1861-1944), on sait qu’il est nédans les Pyrénées-Orientales, qu’il s’est d’abord intéresséà la tapisserie et au style nabi et que sa viedurant, il n’a cessé de peindre et de dessiner. Maisc’est la sculpture qui l’a emporté. Il y prend d’embléele contre-pied de l’expressionnisme de celuiqui est alors considéré comme le plus grand sculpteurvivant : Auguste Rodin. Ce même Rodin qui,en 1902 devant une sculpture de son cadet de vingt ans, s’exclame admiratif : « Quelle intelligence de lavie, dans le simple !… Ce qu’il y a d’admirable, enMaillol, ce qu’il y a, pourrais-je le dire, d’éternel,c’est la pureté, la limpidité de son métier, de sa pensée.» Maillol bâtit ses corps comme des architecturessilencieuses aux formes épanouies et sereines.« L’art ne consiste pas à copier la nature », insiste-til.Quand le comte Kessler lui passe commande –lui qui allait devenir son plus grand collectionneuret l’emmener en Grèce dont la statuaire archaïqueantique représentait pour le sculpteur l’exemple absolu–, Maillol réalise Femme assise (rebaptisée plustard La Méditerranée). Il compose sa figure méditativeet repliée sur elle-même comme une sériede triangles emboîtés qui s’inscrivent dans uncube presque parfait. Cette première statue ambitieusefait sensation en 1905. Elle fait aussi figure demanifeste d’un classicisme moderne dont Maillol,avec son inlassable quête d’harmonie, devient le héraut.Modèle pour ses ultimes allégories, notammentla fameuse Rivière dont la figure, pour unefois, en équilibre instable renvoie aux temps troublésqui s’annoncent avec la Seconde Guerre mondiale.Dina Vierny crée la Fondation qui deviendraen 1995 le musée Maillol de Paris. À Banyuls-sur-Mer, ville natale de l’artiste, un autre musée Maillolvoit le jour dans l’ancienne métairie qui lui avaitservi d’atelier dans ses toutes dernières années.
RESSURGIE DE L’OUBLI
Renée Sintenis (1888-1965) était une star duBerlin des années vingt. Avec sa haute et svelte stature,sa beauté androgyne et ses cheveux courts –un physique aux antipodes des plantureuses muses« mailloliennes » –, elle personnifiait la femmenouvelle. La République de Weimar l’adule. Amiede Rilke, de Beckmann, de Schmidt-Rottluff etbien d’autres, elle participe aux expositions de laSécession berlinoise puis expose à Paris, Glasgow,Rotterdam, à la Tate Gallery de Londres, au MoMade New York, et devient la deuxième femme élueprofesseure à l’Académie des arts de Berlin aprèsKäthe Kollwitz. Elle en sera destituée par les nazisen 1934 et exposée parmi les artistes « dégénérés »en 1937. L’après-guerre la réhabilite, Berlin lui décerneson Premier Prix d’art en 1948 et baptise,onze ans après sa mort, une place à son nom dansle quartier de Berlin-Friedenau. Mais partout oupresque, son nom tombe dans l’oubli.
Parfois comparées à l’oeuvre d’Antoine-Louis Barye,pour sa sculpture animalière, ses oeuvres aux formatsmodestes s’opposent à la grandeur généreusede celles de Maillol. Ses figures aux corps déliés etmobiles s’affirment par la vivacité, la grâce et la finesse,tels des symboles de jeunesse, de fragilité etd’espoir.