Pour tout amateur ou professionnel de l’art, juin est synonyme de déplacement à Art Basel pour se frotteraux nouvelles tendances, multiplier les rencontres professionnelles ou amicales, sans oublier d’acheterdes oeuvres. Comment les acteurs du monde de l’art suisse s’y retrouvent-ils ? Petit tour d’horizon.
«À Bâle, nous pouvons montrer nosartistes au monde entier », expliquePierre-Henri Jaccaud, directeurde la galerie Skopia àGenève. « C’est extraordinaire d’avoir devant laporte une foire d’une telle qualité », renchérit RenateBuser, artiste suisse vivant à Bâle qui aime visiterla foire comme d’autres iraient suivre une formationcontinue. Pour se tenir informée des nouveautés,pour voir des oeuvres d’exception, pour rencontrerdes gens.
Plus de cinquante ans après sa naissance, la foire représenteune concentration toujours aussi impressionnantedes plus grandes galeries internationales.En 2023, elle augmentait sensiblement son nombrede visiteurs, comptabilisant ainsi un total de quatrevingt-deux mille personnes. Bien sûr, les chiffresétaient un peu plus élevés avant la pandémie.Toutefois, aujourd’hui, malgré un contexte géopolitiqueinstable dû aux difficultés post-covid – l’édition2020 avait été annulée –, à l’inflation et auxincertitudes de la guerre en Ukraine, l’édition 2023a déjoué les pronostics de ralentissement du marché,en continuant d’aligner des ventes à sept, voireà huit chiffres. Si Art Basel s’exporte à Miami ou àParis, elle a aussi une porte ouverte sur l’Asie avecsa présence à Hong Kong. Reste que dans la villerhénane, chaque mois de juin, la foire rassemble lemonde de l’art depuis 1970, donnant rendez-vous àplus de deux cents galeries triées sur le volet et plusde quatre mille artistes du monde entier.
Dans le secteur Unlimited d’Art Basel où la surdimensionest de rigueur, la galerie bâloise VonBartha s’apprête à accrocher quarante-huit poissonsguppy peints par Francisco Sierra, présentationqui vient prolonger son stand dans la foiremère,où, parmi d’autres, le travail de MarlowMoss sera mis en lumière. La galerie en ville offriraquant à elle une première exposition personnellede Marina Adams sur le sol helvète, etau Basel Social Club – le dernier lieu né dans lafoire –, une table de ping-pong de la nonagénaireBarbara Stauffacher Solomon sera installée pourqui voudrait bien y jouer. Quand on demande àPierre-Henri Jaccaud quelles sont ses attentes pourla prochaine édition, il s’enthousiasme : « Réussirun beau stand ! » Et il explique : « J’ai dans la têtedes oeuvres que j’aime particulièrement, j’y pensejusqu’à l’obsession. Elles proviennent de différentsartistes. J’essaie de les comprendre et de les respecterdans leur autonomie, et en même temps decréer un lien entre elles. » Depuis 1993, il dressechaque année son stand à Art Basel et reste aujourd’huile seul, mises à part les éditions genevoisesÉcart, à représenter la Romandie dans cetteeffervescence.
Avec les années, la foire a énormément changé,elle est devenue plus importante, plus professionnelle,plus exigeante, plus internationale. Trèscompétitive, elle cherche à maintenir une positionunique au monde, sans pour autant n’avoir plusjamais augmenté les places disponibles pour lesgaleries. Et on observe un très faible pourcentage deturnover de ces dernières : en d’autres termes, pourqu’une galerie entre, il faut qu’une galerie sorte.Si le nombre de galeries suisses a peu à peu diminuéc’est notamment parce que la carte de l’artcontemporain s’est élargie : la Chine et d’autrespays moins attendus se sont progressivement faitune place dans le marché actuel. On relèvera enfinqu’Art Basel traite de manière équitable les différentesgaleries, toutes puissantes, plus modestesou moins fortunées, elles ont toutes droit à unesurface au sol qui ne peut dépasser quelque centmètres carrés.
« La visibilité et la reconnaissance que donne lafoire est primordiale », poursuit Pierre-HenriJaccaud. En une petite semaine, les acteurs privéset institutionnels les plus importants et les plus influentsdu monde de l’art se retrouvent dans cettepartie de la Suisse : directions de musées, critiques, curateurs et curatrices, collectionneurs institutionnelset artistes que l’on rencontre parfois uniquementà ce moment précis de l’année.
Art Basel est également une semaine placée sous lesigne de l’art pour l’ensemble de la région avec desfoires off et de nombreuses expositions exceptionnelles,renforçant le dialogue entre la messe du marchéde l’art et les institutions. Et contribuant ainsià faire du séjour bâlois une expérience unique. « Onraconte que les collectionneurs d’art new-yorkais serencontrent plus facilement à Bâle qu’à New York »,relate Roland Wetzel, directeur du Musée Tinguelyqui souligne combien la taille humaine de la villefacilite les contacts professionnels. Comme chaqueannée, il se réjouit d’une visibilité extraordinairepour son musée dont la fréquentation augmente de30%. Il ne cache pas non plus que la foire lui permetdes découvertes significatives : « Il y a quelquesannées, j’y ai découvert le travail de Carl Cheng, unpionnier de l’art écologique, dans une jeune galeriede Los Angeles. J’ai alors immédiatement partagécela avec un collègue de Maastricht pour une expositionqui sera réalisée en partenariat en 2025. »
C’est aussi à la foire que Claudia Comte, artistevaudoise mondialement reconnue, rencontre, ily a une dizaine d’années, le curateur britanniqueNeville Wakefield, qui la met en relation avecla galerie qui depuis la représente à New York :Gladstone. La Bâloise d’adoption, établie dans lacampagne, ouvre son studio installé à vingt minutesde la ville pour des « VIP tours » proposés parla foire. L’occasion d’apprécier un atelier installéen pleine nature et de visiter un lieu de productioninédit. L’artiste, dont toutes les galeries sontprésentes à la foire, a déjà participé au Parcours,série d’oeuvres installées en ville durant la foire,et a surtout laissé un souvenir impérissable avec« NOW I WON » en 2017 devant l’entrée d’ArtBasel. Cette monumentale et joyeuse installationconçue comme une fête foraine « prenait le contrepiedde la foire », explique-t-elle. Puisque le publicétait invité à jouer à différents jeux d’adresse, avecla possibilité, pour les trois meilleurs, de recevoirune sculpture en marbre. « On a pu voir des curateurslancer des fléchettes sur mes peintures ou descollectionneurs se mettre dans des positions inimaginablespour gagner des points dans l’espoirde recevoir une oeuvre ».
Ou comment faire l’acquisition d’une sculpturesans avoir à la payer dans le contexte du plus grandmarché d’art contemporain ?