LA ZONE D’INTÉRÊT • UNE TÉLÉ-RÉALITÉCHEZ LES NAZIS

Puissant etdérangeant, lenouveau long métragedu BritanniqueJonathan Glazer aremporté l’oscar dumeilleur film étranger.Et suscité à cetteoccasion de vivespolémiques. On n’a pas assez remarqué que l’annéede diffusion de Loft Story coïncidaitavec celle d’un autre événementmédiatique : le pire attentatterroriste diffusé en direct, le 11 septembre 2001.Comme si le spectacle de l’horreur, et l’extrêmebanalité du quotidien, entretenaient des lienssecrets. Tel est au demeurant le point de départde La Zone d’Intérêt : la vie ordinaire du commandantd’Auschwitz Rudolf Höss et des siens,dans un pavillon attenant au plus vaste complexeconcentrationnaire du IIIe Reich. Son metteur enscène Jonathan Glazer a songé à Big Brother, leshow inspirateur de la télé-réalité contemporaine :« L’idée, explique-t-il, était d’observer des gens dansleur vie quotidienne. Capturer le contraste entre celuiqui se verse une tasse de café dans sa cuisine, et celuien train d’être assassiné de l’autre côté du mur – lacoexistence de ces deux extrêmes. » La séquence oùla belle-mère du militaire est accueillie par sa filleenjouée, et s’exclame dans le jardin : « Ma chérie !Mais tu vis dans un paradis ! », témoigne d’embléede ce vertigineux contraste. La-Zone-d’Intérêt-de-Jonathan-Glazer,-production-anglo-polono-américaine,-d’après-un-roman-de-Martin-Amis Les réalisateurs de films d’épouvante et les psychanalystessavent que le monstre le plus effrayantest celui qu’on ne voit pas, autrement dit celuiqu’on imagine. La représentation des camps nazisconvoque ce problème éthique : nombreux sontceux à estimer que le cinéma ne doit pas tout fictionner,par respect pour les victimes, et car touteimage s’avérerait en-dessous de la réalité. Unecontrainte qui inspire à Glazer ce coup de génie :ne faire exister Auschwitz qu’en hors-champ....

Puissant etdérangeant, lenouveau long métragedu BritanniqueJonathan Glazer aremporté l’oscar dumeilleur film étranger.Et suscité à cetteoccasion de vivespolémiques.

On n’a pas assez remarqué que l’annéede diffusion de Loft Story coïncidaitavec celle d’un autre événementmédiatique : le pire attentatterroriste diffusé en direct, le 11 septembre 2001.Comme si le spectacle de l’horreur, et l’extrêmebanalité du quotidien, entretenaient des lienssecrets. Tel est au demeurant le point de départde La Zone d’Intérêt : la vie ordinaire du commandantd’Auschwitz Rudolf Höss et des siens,dans un pavillon attenant au plus vaste complexeconcentrationnaire du IIIe Reich. Son metteur enscène Jonathan Glazer a songé à Big Brother, leshow inspirateur de la télé-réalité contemporaine :« L’idée, explique-t-il, était d’observer des gens dansleur vie quotidienne. Capturer le contraste entre celuiqui se verse une tasse de café dans sa cuisine, et celuien train d’être assassiné de l’autre côté du mur – lacoexistence de ces deux extrêmes. » La séquence oùla belle-mère du militaire est accueillie par sa filleenjouée, et s’exclame dans le jardin : « Ma chérie !Mais tu vis dans un paradis ! », témoigne d’embléede ce vertigineux contraste.

La-Zone-d’Intérêt-de-Jonathan-Glazer,-production-anglo-polono-américaine,-d’après-un-roman-de-Martin-Amis
La-Zone-d’Intérêt-de-Jonathan-Glazer,-production-anglo-polono-américaine,-d’après-un-roman-de-Martin-Amis

Les réalisateurs de films d’épouvante et les psychanalystessavent que le monstre le plus effrayantest celui qu’on ne voit pas, autrement dit celuiqu’on imagine. La représentation des camps nazisconvoque ce problème éthique : nombreux sontceux à estimer que le cinéma ne doit pas tout fictionner,par respect pour les victimes, et car touteimage s’avérerait en-dessous de la réalité. Unecontrainte qui inspire à Glazer ce coup de génie :ne faire exister Auschwitz qu’en hors-champ. Parle son, d’abord : autour de la villa de cette familleque nous regardons vivre, résonnent sans interruptiond’atroces bruits. Râles mécaniques, cris glaçants,plaintes englouties. Une sonate de douleurinaccessible aux yeux, rappelant grâce au cinémaqu’aucun sens ne définit à lui seul le réel. Car audelàde l’image, il y a l’odeur : celle d’une fumée àpeine perceptible, qui fait tousser les personnagesau milieu d’une phrase. Et semble traverser l’écranpour pénétrer jusqu’à nos narines, avec son goûtde chair brûlée.

Coup de génie, tant il est vrai que La Zone d’Intérêt(l’euphémisme nazi pour définir le périmètred’Auschwitz) agit en révélateur de nos consciences.Sans la complicité active du public, le film seréduirait à un épisode de La Petite Maison dansla prairie : jeux d’enfants, livraison de fromages,baignade dans la rivière et bouquets de fleurs deschamps. L’horreur ne prend corps qu’à la mesuredes connaissances du spectateur sur la Shoah ; etde la cicatrice émotionnelle causée par ce savoir.D’aucuns accusèrent le film de passer à côté deson sujet, en ne montrant pas le crime sur lequelil repose. L’art n’a pourtant point vocation à éduquer.D’autant que le sujet de cette oeuvre n’estpas le mal, mais ce qu’Ardent nomma « la banalitédu mal » – soit la dilution de l’ignoble dans lesaspects les plus quelconques de l’existence. Tandisque Hedwig boit un café avec ses amies, Rudolfreçoit très professionnellement des ingénieurs civilsvenus lui vendre un modèle de four crématoire aurendement plus élevé. C’est aussi le jour de son anniversaire: le gâteau est presque cuit. « Je m’étais ditque jamais, jamais je ne jouerai une nazie », confesseSandra Hüller, la star d’Anatomie d’une chute. Leréalisateur l’a persuadée en s’engageant à « ne rienesthétiser ». Pari tenu. Ses cadrages taillés au cordeau,sa photographie grise impriment une plasticitédénuée d’affect, de démonstration. Dès qu’ellesurgit la beauté s’anéantit au contact de la mort.

La-Zone-d’Intérêt-de
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Oscar à la main, Glazer offusqua une partie dela communauté juive en « réfutant » sa proprejudéité, et en comparant la « déshumanisation deGaza » à celle perpétrée par les nazis. Une associationaméricaine de lutte contre l’antisémitismedéclara : « Il est décourageant de voir quelqu’un minimiserla Shoah alors qu’il accepte un prix pour unfilm qu’il a réalisé sur la Shoah… » Si la déshumanisationde l’ennemi demeure en effet le propre desguerres sans fin, il est étonnant que le talentueuxGlazer n’ait pas aussi comparé la charte du Hamasà celle d’Hitler. Et qu’il semble avoir omis, reprenantla thèse de l’instrumentalisation de l’histoireà de pures fins de colonisation, le pourquoi dela naissance d’Israël, trois ans après la libérationd’Auschwitz. L’autre côté du mur.

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