LE FESTIN LILLOIS

Benoît-Dauvergne-Large
CHRONIQUE DE BENOÎT DAUVERGNE Le premier étage est superbe, le sous-sol est magique. On se délecte en haut, on s’évade en bas. À l’étage – nous sommes au palais des Beaux-Arts de Lille –, dans de vastes salles éclairées zénithalement, sur des cimaises faisant parfois face au vide grandiose d’un atrium : La Descente de croix de Rubens, accompagnée de son esquisse accrochée non loin, sublime dialogue entre l’effort et l’inerte, le vert et le rouge, l’eau et le sang, l’or et le rose, l’arc et la barre…; Les Apprêts d’un déjeuner de Chardin, et sa mie magnifique! où le reflet épouse le reflet, le gobelet le couvert, et l’argent l’argent; ou la pyramidale et michélangelesque Médée furieuse de Delacroix, elle aussi accompagnée de son esquisse; l’orientalisant Priam aux pieds d’Achille de Bastien-Lepage, qui dota le tueur d’Hector, l’ami boudeur et fou de Patrocle, d’un large bracelet de cheville; ou encore, de Greco, disposés de chaque côté d’une même paroi – près des légendaires Jeunes et Vieilles de Goya –, Jésus au jardin des oliviers et Saint François en prière, modèles de liberté et de justesse. Indéniable régal donc ! Mais c’est au - 1 qu’attend le chef-d’œuvre des chefsd’œuvre des lieux, Le Festin d’Hérode de Donatello. Celui-ci – vous y penserez peut-être dans l’escalier menant à son bas-relief de marbre de 50 x71,3 cm sculpté vers 1435 – est sans doute l’un des cinquante artistes les plus importants de l’histoire de l’art occidental, et s’il ne fallait en garder...

Le premier étage est superbe, le sous-sol est magique. On se délecte en haut, on s’évade en bas. À l’étage – nous sommes au palais des Beaux-Arts de Lille –, dans de vastes salles éclairées zénithalement, sur des cimaises faisant parfois face au vide grandiose d’un atrium : La Descente de croix de Rubens, accompagnée de son esquisse accrochée non loin, sublime dialogue entre l’effort et l’inerte, le vert et le rouge, l’eau et le sang, l’or et le rose, l’arc et la barre…; Les Apprêts d’un déjeuner de Chardin, et sa mie magnifique! où le reflet épouse le reflet, le gobelet le couvert, et l’argent l’argent; ou la pyramidale et michélangelesque Médée furieuse de Delacroix, elle aussi accompagnée de son esquisse; l’orientalisant Priam aux pieds d’Achille de Bastien-Lepage, qui dota le tueur d’Hector, l’ami boudeur et fou de Patrocle, d’un large bracelet de cheville; ou encore, de Greco, disposés de chaque côté d’une même paroi – près des légendaires Jeunes et Vieilles de Goya –, Jésus au jardin des oliviers et Saint François en prière, modèles de liberté et de justesse. Indéniable régal donc ! Mais c’est au – 1 qu’attend le chef-d’œuvre des chefsd’œuvre des lieux, Le Festin d’Hérode de Donatello. Celui-ci – vous y penserez peut-être dans l’escalier menant à son bas-relief de marbre de 50 x71,3 cm sculpté vers 1435 – est sans doute l’un des cinquante artistes les plus importants de l’histoire de l’art occidental, et s’il ne fallait en garder que dix, sans doute y serait-il encore, et peut-être même – mais nous arrivons là à de fort délicates questions de goût – serait-il parmi les cinq derniers… Et à cette pensée peut-être inopportune, celle du – 1 semble mal s’accorder: n’est-ce pas une étrange localisation pour une telle sculpture?

Et puis, tout en continuant de descendre, d’autres mots vous viennent, et vous préparent: cave (mais à vin), caveau, crypte, trésor, cellier, cella. Les plafonds sont bas, les murs de briques, les lumières plus précises. Un encensoir, un reliquaire, de petits panneaux peints – après quelques objets grecs et égyptiens – vous escortent jusqu’à ce qu’on peut bien considérer comme le cœur du musée. L’histoire de l’œuvre, léguée à l’institution lilloise par le collectionneur Jean-Baptiste Wicar, au début du XIXe siècle, est encore mystérieuse. Futelle commandée par Cosme de Médicis? Elle se trouvait en tout cas au palais Medici à la fin du XVe siècle. Elle est ici précédée de l’œuvre de John Isaacs intitulée The Architecture of Empathy, soit la première Pietà de Michel-Ange, couverte d’un drap blanc, le tout en marbre: le génie florentin semble encore attendre, ou s’effacer derrière le génie florentin qui l’a précédé, et inspiré. Nous voici enfin devant le Festin, et déjà nous sommes dedans, happé par cette application idéale de la perspective mathématique prônée alors, en ce début du Quattrocento, par Alberti, et appliquée en peinture par Masaccio. Nous sommes dans cette salle – nous oublions un peu notre propre corps –, au pied de cette escalier, sous ce portique antiquisant, sous ces arcs en plein cintre, devant cette table où vient d’être apporté le chef du Baptiste, demandé par Salomé, voulu par Hérodiade. Comme une mouche, notre œil va et vient, se pose sur ce ventre satisfait ou sur cette face dégoûtée ou consternée, sur ce dallage sans doute maculé ou sur ces basreliefs allègrement impassibles, sur ces nez camus, sur ces voiles, sur ces cous robustes, sur cette rapière, sur ces orteils, sur ce garde-corps plongeant… Nous revenons à nous. Nous nous disons: le Beau, ce qui revient à dire: la Grâce (fût-elle double, pour moitié apollinienne et pour moitié dionysiaque, comme elle l’est chez Donatello), a racheté l’horreur. En se déplaçant un peu devant la niche bleu clair subtilement éclairée, en contemplant de biais l’œuvre qui y est enclose, on prendra conscience que ce monde déployé sous nos yeux par le maître florentin n’occupe, en profondeur, que quelques centimètres, – et l’on exagérerait à peine en parlant de millimètres. Renaissance? La frise des Panathénées, à Athènes, était pareillement des plus profondes, et des plus fines.

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