LES PARADIS CÉLESTES D’OMAR BA

Arbre, 2024 Acrylique, encre, huile, stylo, Typex et crayon sur toile, 250x400cm Photo © Annik Wetter
Arbre, 2024 Acrylique, encre, huile, stylo, Typex et crayon sur toile, 250x400cm Photo © Annik Wetter
Alors qu’il pose un dernier coup de pinceau sur les œuvres destinées à illustrer un livre à paraître cet automne aux éditions Diane de Selliers, le peintre Omar Ba nous reçoit dans son atelier genevois et nous plonge au cœur de son univers créatif. Il est toujours émouvant de pénétrer, comme par effraction, dans l’atelier d’un artiste, car l’on y sent battre, davantage que sur les cimaises d’un musée ou d’une galerie, le pouls de la création. Du haut de sa silhouette imposante, le peintre sénégalais Omar Ba nous invite ainsi à franchir le seuil de son refuge aux allures de « bunker» situé à un vol d’oiseau de la gare de Genève. Là, à des milliers de kilomètres de la plantation de manguiers dans laquelle il pose ses pinceaux lorsqu’il retourne dans son pays d’origine, l’artiste se coupe du monde environnant et met en images les idées qui bouillonnent dans son esprit depuis qu’il s’est attelé, à l’invitation de l’éditrice Diane de Selliers, à l’illustration du conte initiatique de Kaïdara. Né sous la plume du grand écrivain et ethnologue malien Amadou Hampâté Bâ (1901-1991), ce texte aux allures d’Odyssée africaine ne pouvait que séduire celui qui, d’origine peul par son père et sérère par sa mère, fut bercé par les récits dits par les Anciens au coin du feu, lorsque la nuit tombe et que le ciel s’illumine d’une myriade d’étoiles. N’y croise-t-on pas, dans un kaléidoscope foisonnant d’images et de symboles, des créatures hybrides tantôt aimables, tantôt effrayantes,...

Alors qu’il pose un dernier coup de pinceau sur les œuvres destinées à illustrer un livre à paraître cet automne aux éditions Diane de Selliers, le peintre Omar Ba nous reçoit dans son atelier genevois et nous plonge au cœur de son univers créatif.

Il est toujours émouvant de pénétrer, comme par effraction, dans l’atelier d’un artiste, car l’on y sent battre, davantage que sur les cimaises d’un musée ou d’une galerie, le pouls de la création. Du haut de sa silhouette imposante, le peintre sénégalais Omar Ba nous invite ainsi à franchir le seuil de son refuge aux allures de « bunker» situé à un vol d’oiseau de la gare de Genève. Là, à des milliers de kilomètres de la plantation de manguiers dans laquelle il pose ses pinceaux lorsqu’il retourne dans son pays d’origine, l’artiste se coupe du monde environnant et met en images les idées qui bouillonnent dans son esprit depuis qu’il s’est attelé, à l’invitation de l’éditrice Diane de Selliers, à l’illustration du conte initiatique de Kaïdara. Né sous la plume du grand écrivain et ethnologue malien Amadou Hampâté Bâ (1901-1991), ce texte aux allures d’Odyssée africaine ne pouvait que séduire celui qui, d’origine peul par son père et sérère par sa mère, fut bercé par les récits dits par les Anciens au coin du feu, lorsque la nuit tombe et que le ciel s’illumine d’une myriade d’étoiles. N’y croise-t-on pas, dans un kaléidoscope foisonnant d’images et de symboles, des créatures hybrides tantôt aimables, tantôt effrayantes, tel ce caméléon à l’œil tourbillonnant dans tous les sens, ce fourmilier à la longue trompe, ce coq se métamorphosant en taureau furieux puis en brasier géant, ce vieillard chenu et difforme dont les pieds se terminent en serpents, ou bien encore cette chauve-souris réconciliant dans son anatomie tous les règnes de la création?

Tel un aède rassemblant sous son pinceau onirique les récits de son enfance et cette Afrique moderne qu’il porte en lui, Omar Ba a ainsi inventé sa propre partition picturale pour distiller les beautés secrètes de ce conte merveilleux aux vertus philosophiques. Mais ici, nulle touche de pittoresque. Encore moins d’exotisme facile. Dans ce temps suspendu qui est celui de l’épopée, l’artiste a fait sien le langage du mythe, qui procède par allégories et par symboles. Animiste et musulman tout à la fois comme nombre de ses compatriotes, Omar Ba a alors convoqué les esprits de ses ancêtres pour lesquels chaque création, aussi humble soit-elle, est animée d’un souffle divin.

Il faut en effet avoir arpenté en sa compagnie son atelier de Bambilor, loin du vacarme électrique de la mégalopole dakaroise, pour mesurer combien le peintre aime vivre en communion intime avec ses plantes et ses animaux. C’est au milieu de ses chèvres, de ses vaches et de ses chiens (qui n’hésitent pas à piétiner en toute impunité ses toiles et ses dessins séchant à même le sol !), mais aussi de ses manguiers juteux et de ses citronniers odorants que l’artiste s’est inventé un paradis terrestre dans lequel il puise inlassablement son inspiration.

Récompense 2024 Acrylique encre huile stylo Typex et crayon sur kraft avec polyester 100x120cm Photo © Annik Wetter
Récompense 2024 Acrylique encre huile stylo Typex et crayon sur kraft avec polyester 100x120cm Photo © Annik Wetter

Car cheminer dans une toile labyrinthique d’Omar Ba, c’est accepter de se délester de ses grilles de lectures occidentales pour s’immerger dans des voluptés de textures duveteuses et de couleurs chatoyantes, se perdre dans des jungles luxuriantes au scintillement hypnotique. Et pourtant, c’est invariablement d’un fond noir que sont nées ces fulgurances chromatiques dans lesquelles le blanc nacré flirte avec le rose ou le turquoise, le vert se heurte à un bleu électrique, l’orange profond dialogue avec un jaune strident.

« On dit que lorsqu’on peint sur une surface blanche, les couleurs sont plus vives et qu’elles demeurent inchangées. Je n’ai jamais compris ça. Premièrement, le noir, c’est beau. Et quand je peins sur un fond noir, je me sens en sécurité. C’est-à-dire que je vois les choses clairement. Je prends un crayon blanc, ou tout autre matériau de mon choix, et je peins», se confiait ainsi Omar Ba dans le catalogue de l’exposition «Vision partagée» qui se tint en 2019 au musée des Beaux-Arts de Montréal.

C’est précisément de l’autre côté de l’Atlantique que nous découvrîmes pour la première fois l’univers si particulier de ce peintre dénonçant les dérives autoritaires des dirigeants africains sous l’apparence de créatures portant lunettes et attaché-case, les traits léonins contaminés par une animalité féroce…

Mais ici, le ton est tout autre. D’un geste lent et ample tout à la fois, Omar Ba couche sur la toile ou sur des rectangles de papier kraft des scènes atemporelles qui décrivent le long cheminement des trois héros de Kaïdara pour atteindre l’or de la connaissance. Faussement naïves, ces compositions frontales ont parfois la fraîcheur des miniatures médiévales, ou évoquent les tendres gouaches que Chagall réalisa pour illustrer les Fables de La Fontaine. Abolissant les frontières entre les règnes animal, végétal et humain, mixant avec une dextérité folle les supports et les techniques (la peinture acrylique, l’encre, la gouache, le crayon, et même le Typex !), le peintre télescope alors les échelles et s’affranchit avec brio de la perspective occidentale. Prosaïque et sophistiqué tout à la fois, son univers ne ressemble à nul autre, faisant surgir du néant des visions célestes peuplées de gamins vêtus de tee-shirts et de casquettes, de fleurs géantes et de pirogues, mais aussi de déités totémiques dont les yeux proliférants veillent sur chacune des créatures vivant dans ce monde d’ici-bas. Au beau milieu de ses pinceaux et de ses photographies de rues épinglées sur les murs de son atelier, Omar Ba se fait alors griot pour retranscrire en images l’univers enchanté et merveilleux d’Amadou Hampâté Bâ.

« Pour moi, Kaïdara représente l’élan vital de la création, le souffle de l’inspiration. Je peux dire que sa présence silencieuse m’a accompagné et guidé tout au long de ce travail», nous a ainsi confié avec émotion l’artiste. À contempler ces œuvres éclaboussées de poésie, l’on en est intimement convaincu…

Omar Ba dans son atelier 2024 Photo © Laurent Schneiter
Omar Ba dans son atelier 2024 Photo © Laurent Schneiter
Forcefeu et cendre 2024 Acrylique encre huile stylo Typex et crayon sur toile 250x150cm Photo © Annik Wetter
Forcefeu et cendre 2024 Acrylique encre huile stylo Typex et crayon sur toile 250x150cm Photo © Annik Wetter

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