HORS DU TEMPS ET LE CONFINEMENT DEVINT ART – LE CINÉMA D’ARTPASSIONS 78

Hors du Temps dOlivier Assayas
Hors du Temps dOlivier Assayas
Présenté à la dernière Berlinale, le nouveau film d’Olivier Assayas, réalisateur de Sils Maria, revient sur cette période pas si lointaine, où le temps s’est figé dans le monde entier. Les Suisses se souviendront longtemps du visage de Daniel Koch, l’ex-Monsieur Covid de la Confédération, qui préconisa de faire basculer, le 16 mars 2020, le pays dans un semi-confinement. En France, les mesures se révélèrent plus draconiennes, et plus précoces, mais la mémoire des populations est partout semblable: celle d’un arrêt du temps, assorti d’un danger invisible sur lequel nul ne savait rien. En somme, tous les ingrédients d’un scénario idéal de science-fiction. Mais Olivier Assayas, à rebours de l’Américain Steven Soderbergh – qui réalisait en 2011 le prophétique et terrifiant Contagion – choisit un genre bien français pour raconter cette stase: le marivaudage piquant, la fable à la Rohmer, la comédie de mœurs. L’avantage d’un confinement est qu’il réclame peu d’acteurs: quatre en l’occurrence. Paul, le double du réalisateur, incarné par la star du cinéma indépendant Vincent Macaigne. Etienne, alias Micha Lescot, également l’un des comédiens les plus doués de sa génération, interprétant le frère du metteur en scène, le journaliste de rock Michka Assayas. Sans oublier leurs compagnes: Morgane, campée par la magnétique Nine d’Urso, et Carole, que joue Nora Hamzawi, qui collabore déjà pour la troisième fois avec Assayas. Quatre instruments de haute volée, placés dans l’aquarium d’une maison-refuge, en train d’attendre que les heures passent. C’est-à-dire: de parler pour ne rien dire, de s’engueuler pour une...

Présenté à la dernière Berlinale, le nouveau film d’Olivier Assayas, réalisateur de Sils Maria, revient sur cette période pas si lointaine, où le temps s’est figé dans le monde entier.

Les Suisses se souviendront longtemps du visage de Daniel Koch, l’ex-Monsieur Covid de la Confédération, qui préconisa de faire basculer, le 16 mars 2020, le pays dans un semi-confinement. En France, les mesures se révélèrent plus draconiennes, et plus précoces, mais la mémoire des populations est partout semblable: celle d’un arrêt du temps, assorti d’un danger invisible sur lequel nul ne savait rien. En somme, tous les ingrédients d’un scénario idéal de science-fiction. Mais Olivier Assayas, à rebours de l’Américain Steven Soderbergh – qui réalisait en 2011 le prophétique et terrifiant Contagion – choisit un genre bien français pour raconter cette stase: le marivaudage piquant, la fable à la Rohmer, la comédie de mœurs.

L’avantage d’un confinement est qu’il réclame peu d’acteurs: quatre en l’occurrence. Paul, le double du réalisateur, incarné par la star du cinéma indépendant Vincent Macaigne. Etienne, alias Micha Lescot, également l’un des comédiens les plus doués de sa génération, interprétant le frère du metteur en scène, le journaliste de rock Michka Assayas. Sans oublier leurs compagnes: Morgane, campée par la magnétique Nine d’Urso, et Carole, que joue Nora Hamzawi, qui collabore déjà pour la troisième fois avec Assayas. Quatre instruments de haute volée, placés dans l’aquarium d’une maison-refuge, en train d’attendre que les heures passent. C’est-à-dire: de parler pour ne rien dire, de s’engueuler pour une poêle brûlée, ou de spéculer sur l’avenir du monde. Et bien sûr – avant tout – de remonter le cours du temps.

Car le dispositif du long métrage, moins simple qu’il en a l’air, repose en grande partie sur cette mémoire involontaire que Barthes nomma l’anamnèse: autour du chiasme bourgeois installé par le scénario, qui consiste essentiellement à occuper le vide par la parole, se déploie un roman-photo autobiographique, conté par la voix du réalisateur lui-même – qui filme cette parenthèse dans sa propre maison de famille. Ainsi chaque pièce, comme en tout sanctuaire, d’évoquer les marottes d’une mère défunte, le caractère d’un père adulé, les fantômes d’une enfance. La bibliothèque du mort, en particulier, semble contenir la clé de son esprit évanoui. Dans une séquence émouvante, le rangement d’une étagère s’avère associé au témoignage, écouté à la radio par les personnages, de Jean Renoir revoyant son père Auguste peindre sa dernière toile. Un passé universel rejoint le présent fictionnel. Assayas justifie dans la presse cet insolite mélange: «Hockney pense, et moi avec lui, que l’art peut être à la fois figuratif – c’est-à-dire dans le cas du cinéma raconter une histoire portée par des personnages crédibles – et en même temps, à l’avant-garde des pratiques de son époque.»

La peinture, au demeurant, constitue une assise. Comme si le confinement, par sa fixité, imposait un nouveau mode de voir: à force de scruter chaque matin les mêmes paysages, les mêmes objets, ceuxci se chargent d’une aura métaphysique qui contredit la banalité des jours répétitifs. Dans un volet du roman-photo, le cinéaste interroge l’héritage des impressionnistes, qui transfigurèrent en leur temps le réel : «Ma démarche n’est pas écartée de Monet lorsqu’il descend de sa maison de Giverny peindre les blocs de glace qui flottent dans la Seine. D’une certaine façon, le Covid, ce sont mes blocs de glace. Pourquoi reculerait-on devant l’évidence d’un exceptionnel vécu, qu’on est bien placé pour documenter?»

Certains critiques ont qualifié Hors du temps d’ego trip bobo. Certes, ses protagonistes n’ont pas de problèmes d’argent. Certes, ils conversent de Proust ou de Mozart avec le naturel d’une vache en train de brouter. Mais tout cinéma a-t-il vocation à être marxiste? Et n’a-t-on pas le droit d’être intéressant, ou drôle, quand on mange bio ? Nous poserons pour notre part qu’il y a quelque chose de trop bizarre – donc de trop créatif – en cette œuvre pour la réduire à son «boboïsme». Cela tient à un décalage, un flottement qui échappe d’emblée aux sirènes du réalisme. Cela tient à une phrase, adressée en visio depuis un jardin à une psychanalyste restée à Paris: «L’immobilité ne peut pas être une utopie, l’immobilité c’est le néant.»

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