Musée Barbier-Mueller : place à l’archéologie classique

Jacques Chamay «Idole», art cycladique 2600-2500 avant J.-C. Le Musée Barbier-Mueller, fondé en 1977, a cette particularité quasi unique d’être ouvert tous les jours de l’année. S’il a fermé ses portes le 14 janvier, c’est à cause de quelques travaux d’entretien et d’aménagement, en vue de l’exposition Arts de l’Antiquité. Une collection centenaire (20 mars - 20 octobre 2013). Quand on parle de la fameuse collection Barbier-Mueller, tout le monde pense à l’ethnographie. En effet, dans ce domaine, elle est incontournable. Pourtant Joseph Mueller, l’initiateur, n’a pas ignoré l’Antiquité méditerranéenne, fondement de la culture occidentale. En témoignent les photos prises dans sa maison de Soleure en 1915. On y voit une stèle funéraire grecque qui voisine de près avec une toile de Kandinsky. D’autre part, on sait que des Tanagras et des vases étrusques comptaient parmi les premiers achats du collectionneur. Lequel avait aussi rassemblé, sous la forme de copies en plâtre, une vingtaine de têtes antiques, allant de l’époque archaïque à la fin de l’Empire romain, qu’il appelait familièrement « la galerie des ancêtres ». Portrait d’un anonyme Art romain provincial Vers 250 après J.-C. C’est dans la perspective de révéler au public cette facette de la personnalité de Joseph Mueller que Laurence Mattet et son équipe ont conçu l’exposition. Mais il faut savoir que certaines des pièces présentées ne remontent pas au fondateur de la collection. En effet, son gendre Jean Paul Barbier et ses petits-fils ont continué pieusement la tradition, même...

Jacques Chamay

«Idole», art cycladique 2600-2500 avant J.-C.
«Idole», art cycladique 2600-2500 avant J.-C.

Le Musée Barbier-Mueller, fondé en 1977, a cette particularité quasi unique d’être ouvert tous les jours de l’année. S’il a fermé ses portes le 14 janvier, c’est à cause de quelques travaux d’entretien et d’aménagement, en vue de l’exposition Arts de l’Antiquité. Une collection centenaire (20 mars – 20 octobre 2013).

Quand on parle de la fameuse collection Barbier-Mueller, tout le monde pense à l’ethnographie. En effet, dans ce domaine, elle est incontournable. Pourtant Joseph Mueller, l’initiateur, n’a pas ignoré l’Antiquité méditerranéenne, fondement de la culture occidentale. En témoignent les photos prises dans sa maison de Soleure en 1915. On y voit une stèle funéraire grecque qui voisine de près avec une toile de Kandinsky. D’autre part, on sait que des Tanagras et des vases étrusques comptaient parmi les premiers achats du collectionneur. Lequel avait aussi rassemblé, sous la forme de copies en plâtre, une vingtaine de têtes antiques, allant de l’époque archaïque à la fin de l’Empire romain, qu’il appelait familièrement « la galerie des ancêtres ».

Portrait d’un anonyme Art romain provincial Vers 250 après J.-C.
Portrait d’un anonyme Art romain provincial Vers 250 après J.-C.

C’est dans la perspective de révéler au public cette facette de la personnalité de Joseph Mueller que Laurence Mattet et son équipe ont conçu l’exposition. Mais il faut savoir que certaines des pièces présentées ne remontent pas au fondateur de la collection. En effet, son gendre Jean Paul Barbier et ses petits-fils ont continué pieusement la tradition, même si, à titre personnel, ils s’intéressent aussi et surtout à d’autres civilisations et cultures.

Dans son souci de remonter aux sources de l’art occidental, Joseph Mueller ne pouvait manquer de se lancer à la découverte de ce qu’on appelle les « idoles cycladiques », figurines en marbre apparues dans les îles grecques et sur la côte turque vers 3500 avant notre ère, couvrant la totalité du millénaire suivant. Pionnier dans ce domaine, il a réussi à rassembler – ce qui serait impossible aujourd’hui, vu les prix atteints par ce genre d’objets dans les ventes publiques – plus de soixante pièces, publiées en 1993 sous le titre Poèmes de marbre. La plus importante d’entre ces figurines est aussi la plus grande :25,5 cm. La grande spécialiste d’origine suisse, Pat Preziosi, l’attribue à la variété Spedos, datée des alentours de 2500 av. J.-C. Il s’agit de la représentation canonique d’une femme nue, en position frontale. Les bras, très maigres, sont repliés sous les seins. Portée par un cou démesuré, la petite tête, renversée en arrière, a la forme typique d’un écusson, marqué par la proéminence du nez rectiligne. Les jambes, tripartites, sont séparées par une profonde entaille, qui prend juste au-dessous du sexe, marqué par un triangle incisé.

Statue d’Héraclès enfant Art romain, 120-138 après J.-C.
Statue d’Héraclès enfant Art romain, 120-138 après J.-C.

Quant aux pieds, dont les doigts sont à peine ébauchés, leur position n’est pas perpendiculaire, mais oblique, ce qui invite à penser qu’à l’origine les statuettes de ce genre, à destination cultuelle ou funéraire, se présentaient couchées. Devant de telles œuvres, fruit d’une grande maîtrise technique et d’un étonnant sens de la géométrie, on comprend la fascination éprouvée par un Picasso ou un Giacometti.

Un autre point fort de la collection Barbier-Mueller est constitué par les bronzes villanoviens. Villanova est un village près de Bologne, qui a donné son nom à la culture du premier âge du fer en Italie. Cette culture intéresse beaucoup aujourd’hui, car elle n’est pas étrangère au développement de la civilisation étrusque. Un objet se détache du lot, c’est un mors à canon brisé et torsadé. L’effet de tressage correspond à la réalité, chaque moitié du canon étant constituée de deux tiges entremêlées et terminées en anneau. Les branches du mors présentent une boucle carrée, par où passaient les rênes. Et les deux pièces, qui prenaient place aux commissures des lèvres pour empêcher le canon de glisser dans la bouche à la moindre traction, sont faites d’une armature en forme de cheval, avec un autre plus petit sur le dos. Sous son ventre, il y en a un troisième, dans l’attitude d’un poulain prêt à téter. Un canard lui répond, près des jambes antérieures, dirigé dans l’autre sens. Les figures secondaires sont maintenues par des tenons (canaux de coulée), rattachés à leur tête. Cette pièce du harnachement, si élaborée, en dit long sur le prestige accordé à la possession d’un char de guerre, privilège de la classe dominante. La date : IXe – VIIIe avant J.-C.

Sphinx, art grec d’Asie Mineure 530-510 avant J.-C.
Sphinx, art grec d’Asie Mineure 530-510 avant J.-C.

Pour illustrer le monde grec, la collection Barbier-Mueller pourrait se suffire d’un superbe sphinx en bronze, figuré au repos et la tête tournée vers le spectateur. Le caractère monstrueux de cette créature mythique tient à sa nature composite : tête de femme, corps de lion, ailes d’aigle. Les Grecs, qui ont emprunté le sphinx à l’Orient, l’ont en quelque sorte apprivoisé, détournant la menace qu’il représentait pour le mettre au service des hommes, en qualité de gardien et de protecteur, surtout à l’égard des morts. C’est pourquoi l’expression de son visage n’a plus rien d’effrayant. Le sphinx Barbier-Mueller, pour sa part, présente des formes à la fois structurées et souples, caractéristiques de la période archaïque. À l’origine, l’objet et son pendant (car il y en avait un certainement) décoraient l’un de ces chaudrons monumentaux, montés sur trois pieds, que l’on offrait dans les sanctuaires, à Olympie, Delphes ou ailleurs, selon un usage bien établi, remontant à l’époque d’Homère.

Une collection d’art classique est inconcevable sans quelques sculptures. Heureusement il y en a au Musée Barbier-Mueller, dont une acquisition de 1957. Elle représente un enfant, au visage joufflu, au corps potelé et à la chevelure sans apprêt, descendant en boucles sur les oreilles. Il porte sur la tête et autour du cou une peau de lion, qui l’identifie à Héraclès, dont c’est l’attribut obligé. D’ailleurs, cette arme devait figurer, elle aussi, à la droite du garçonnet, posée sur le sol et tenue en équilibre par la main correspondante. Taillée dans du marbre blanc, l’œuvre vaut par la façon dont le sculpteur a rendu la fraîcheur du jeune âge, conférant au regard une expression rêveuse, touchante. La sculpture, qui date du règne d’Hadrien (120-138 après J.-C.), montre l’évolution dans le traitement des sujets tournant autour des enfants. Alors que les Grecs mirent longtemps à les représenter autrement que sous la forme d’adultes en miniature, les Romains les traitèrent pour eux-mêmes, en leur conférant un aspect parfaitement réaliste. Autre preuve de cette nouvelle faveur : les galeries d’effigies impériales, qui comptent nombre de portraits d’enfants, parfois très jeunes.

Mors, art villanovien IX-VIIIe siècle avant J.-C.
Mors, art villanovien IX-VIIIe siècle avant J.-C.

À propos de portrait, la collection Barbier-Mueller vient de s’enrichir d’un extraordinaire exemplaire, comme peu de musées peuvent en présenter. C’est une tête en bronze, détachée d’une statue complète, probablement en pied. Elle représente un homme, qui regarde droit devant lui. Sa chevelure rase dégage complètement les oreilles. Ses joues creuses sont imberbes. Les rides horizontales qui barrent son front s’accordent avec les coins de la bouche, nettement tombants, autre signe de l’âge. Ses yeux grands ouverts ont une expression grave, dure et peut-être aussi anxieuse. S’il s’agissait d’un portrait impérial, on retrouverait le profil de cette tête sur une monnaie, ce qui n’est pas le cas, malgré une patiente recherche. L’homme est donc un anonyme, probablement un magistrat, dont les concitoyens ont voulu célébrer les mérites. Le style et la technique de ce bronze le situent au IIsiècle après J.-C., plus précisément dans la période de crise que l’Empire romain traverse dès 235 et jusqu’à l’avènement de Dioclétien. L’art de cette époque est bien éloigné du classicisme, par son expressivité exacerbée aux dépens de toute recherche d’élégance. À Rome, les portraits de personnes privées étaient rares sur les lieux publics, les empereurs occupant naturellement tout l’espace. D’où la présomption que le portrait Barbier-Mueller provient d’une province éloignée, où quelques villes sont restées prospères grâce à leur éloignement des zones de conflit. La cassure au cou, par sa forme, ne paraît pas accidentelle. Il faut plutôt y reconnaître un acte iconoclaste, comme l’Empire déclinant en a tant connu.

Le Musée Barbier-Mueller, par le truchement de l’exposition célébrant le centenaire de sa section gréco-romaine, rend justice à l’Antiquité classique et offre au public une nouvelle occasion, s’il en était besoin, de   bénéficier des chefs-d’œuvre d’une civilisation à qui nous devons tant.

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