Est-ce une nouvelle tendance initiée à New York ou à Londres par Hauser & Wirth ? Deux galeries parisiennes, parmi les plus influentes sur la scène internationale, inaugurent des sites gigantesques au-delà du périphérique. Le célèbre galeriste de Salzbourg, Thaddaeus Ropac, présent dans le Marais depuis 1990, réalise à Pantin un rêve bigger than life. Dans cette cité ouvrière, il transforme une ancienne chaudronnerie de huit bâtiments (sur 4’700 m2 ) en un palais où les plafonds oscillent entre sept et douze mètres, sous les quatre nefs classées. Il inaugure ainsi la plus grande galerie d’exposition en France. Coût de l’opération, huit millions d’euros : « Nous créons cette cité de l’art pour donner aux artistes la possibilité de réaliser leur vision sans les habituelles restrictions d’espace. Par exemple, les sculptures d’Antony Gormley de deux à cinq tonnes sont difficiles à gérer d’un point de vue logistique à Paris.» À 52 ans, l’Autrichien, francophile comme Warhol, ami de la Factory, a su gagner la confiance de Basquiat et contribue aujourd’hui à révéler Joseph Beuys. Le cabinet d’architecte Buttazzoni & Associés, qui a aménagé sa galerie historique du Marais, signe la rénovation du bâtiment industriel. Installé entre les ateliers Hermès et la Cité de la danse, cette bulle d’art respire un charme citadin. Pavés clairs, gazon au cordeau et façades en briques rouges, cette Factory new age destine deux de ses bâtiments aux expositions. Le premier offre quatre salles lumineuses aux murs convertibles, pour célébrer l’art monumental version dolce vita, et cela sur 2’000 m 2 . «Lorsque Anselm Kiefer (Monumen – ta 2007) a découvert le bâtiment avant travaux, confie Thaddaeus Ropac, la dimension du lieu lui a même donné des idées et il a peint une nouvelle série de toiles de sept mètres de long sur deux mètres et demi de haut.» Des œuvres qui respirent aujourd’hui sur d’immenses murs blancs. Place aussi au Performing art avec une autre sommité de l’art contemporain allemand: Joseph Beuys dont Ropac présente l’Iphigénie (1969). Un regard sur la peinture des années 1980 à nos jours sera proposé dès février 2013. Vaste et novateur, Thaddaeus Ropac Pantin consacre aussi un espace au multimédia, haut comme un gymnase, car la performance chère aux seventies semble dans l’air… Enfin, showrooms privées, espaces bureaux, archives et loft pour artistes avec cheminée écran s’ajoutent au corner VIP réservé aux brunchs privés dans l’ancienne maison du gardien ! Et Thaddeus Ropac se réjouit de créer une vraie synergie avec le Centre national de la danse, la Philharmonie ou la Cité de la musique, autres institutions culturelles pointues installées en Seine-Saint-Denis, afin d’attirer un large public…
Un cadeau fait à Paris
Pour le très influent Larry Gagosian, art et voyage font ménage ! Lui aussi montre ses muscles en s’installant à 150 m du tarmac de l’aéroport du Bourget, la plus grande plate-forme d’aviation privée d’Europe avec 30’000 atterrissages annuels. Gagosian Bourget veut capter les collectionneurs venus en jet privé, le plus souvent une clientèle internationale de riches hommes d’affaires. Mais sans pour autant oublier le grand public, sollicité trois ou quatre fois par an, pour des expositions spécifiques. Le requin blanc de Manhattan, le marchand d’art le plus influent au monde, a cédé, à 67 ans, à un coup de foudre pour ce sublime entrepôt monolithique des années 1950, propriété des Aéroports de Paris. Dans la foulée, il offre à la ville de Paris un espace d’exposition très cinématographique, supérieur en volume à celui de la Tate Modern ! Formidablement redessiné par son ami Jean Nouvel, en collaboration avec HW architecture, cette white box de 1’650m2 sans colonne ni verrière, comporte une mezzanine de 340 m2 . Pour fêter la douzième ouverture d’une galerie Gagosian dans le monde (après New York, Londres, Rome, Athènes, Hong Kong et Genève), Jean Nouvel lui a suggéré de peindre son nom découpé en trois syllabes GA-GO-SIAN sur les rainures du toit. Pour qu’il brille, même au ciel ? Autre surprise: la galerie accueille un artiste qui a eu le rare privilège d’entrer dans les collections du Louvre: Anselm Kiefer. Sa Moisson de blé rayonne, parmi quelques sculptures et cinq immenses tableaux fleuris, au cœur de cet espace au luxe encore un peu froid. Un décor de western urbain inauguré pour la Fiac et qui signe la première collaboration de Kiefer avec la Gagosian Gallery Paris. «Cet audacieux espace est un bonheur, s’enflamme Anselm Kiefer. L’architecture du lieu et le choix de l’emplacement m’ont captivé et enchanté. Située en bordure d’un aérodrome – comme mon propre studio à Croissy – les avions décollent et atterrissent alors que mes œuvres sont suspendues. Elles arrivent, restent un moment et une fois vues, peuvent partir à nouveau. C’est l’objectif. Les vols, les peintures, les allées et venues. L’espace est une telle source d’inspiration que l’on peut immédiatement y imaginer les œuvres.» Reflet du climat prospère, voire euphorique du marché de l’art, ces lieux king size auront-ils un effet de levier psychologique sur les nouveaux collectionneurs habitant eux-mêmes des lieux XXL ? L’extension du Palais de Tokyo, la Fondation Louis Vuitton pour la Création de Frank Gehry et la nouvelle Philharmonie de Jean Nouvel, dans le Parc de la Villette, renforceront encore l’impact de Paris sur la scène de l’art contemporain. Ces institutions devraient, du moins, susciter une réelle dynamique favorisant autant les artistes internationaux que la nouvelle génération de talents français. Voilà le joyeux pari, peut-être mégalomane, lancé par les deux mastodontes: Larry Gagosian et Thaddaeus Ropac, qui partagent déjà l’art et la manière…