WILLI BAUMEISTER

Un chercheur perpétuel en quête d’insaisissable. Tel fut Willi Baumeister, figure majeure des avant-gardes historiques en Allemagne, dont le Kunstmuseum de Winterthour remet en lumière l’œuvre complexe, plurielle et fascinante. Willi Baumeister (1889-1955) a beau avoir été l’un des protagonistes majeurs des avant-gardes des années 1920 et 1930 et l’un des rares artistes allemands qui aient réussi à perpétuer (clandestinement) les valeurs et les espoirs des modernes sous la chape nazie, il est bien moins connu – sur tout dans les pays de culture latine – que ses compatriotes et quasi-contemporains Jean Arp, Paul Klee ou Julius Bissier. Peut-être parce que son œuvre peut sembler assez déconcertante dans sa diversité savante et sa complexité foisonnante. Sans doute aussi parce que, même s’il a beaucoup voyagé en Europe et exposé à Paris et en Italie dès la fin des années 1920, il n’a pas quitté l’Allemagne, ni pendant la Première Guerre où il était au front, ni pendant la Seconde où il a été destitué de son poste de professeur à Francfort et interdit de peinture et d’exposition. Étiqueté dégénéré (nombre de ses œuvres étant alors transférées à la Kunsthalle de Bâle pour les protéger des exactions nazies) et, alors qu’il était employé à l’école technique d’une usine de laques à Wuppertal, il a poursuivi son œuvre en secret, ne la montrant qu’à l’étranger cependant que, dans son pays, la liste de ses expositions comporte un grand vide entre 1932 et 1945. «Non pas d’après nature, mais comme la nature» «Une...

Un chercheur perpétuel en quête d’insaisissable. Tel fut Willi Baumeister, figure majeure des avant-gardes historiques en Allemagne, dont le Kunstmuseum de Winterthour remet en lumière l’œuvre complexe, plurielle et fascinante.

Willi Baumeister (1889-1955) a beau avoir été l’un des protagonistes majeurs des avant-gardes des années 1920 et 1930 et l’un des rares artistes allemands qui aient réussi à perpétuer (clandestinement) les valeurs et les espoirs des modernes sous la chape nazie, il est bien moins connu – sur tout dans les pays de culture latine – que ses compatriotes et quasi-contemporains Jean Arp, Paul Klee ou Julius Bissier. Peut-être parce que son œuvre peut sembler assez déconcertante dans sa diversité savante et sa complexité foisonnante. Sans doute aussi parce que, même s’il a beaucoup voyagé en Europe et exposé à Paris et en Italie dès la fin des années 1920, il n’a pas quitté l’Allemagne, ni pendant la Première Guerre où il était au front, ni pendant la Seconde où il a été destitué de son poste de professeur à Francfort et interdit de peinture et d’exposition. Étiqueté dégénéré (nombre de ses œuvres étant alors transférées à la Kunsthalle de Bâle pour les protéger des exactions nazies) et, alors qu’il était employé à l’école technique d’une usine de laques à Wuppertal, il a poursuivi son œuvre en secret, ne la montrant qu’à l’étranger cependant que, dans son pays, la liste de ses expositions comporte un grand vide entre 1932 et 1945.

«Non pas d’après nature, mais comme la nature» «Une œuvre d’art… forme un petit cosmos qui s’affirme parallèlement à la nature», résumait, au soir de sa vie, celui que beaucoup considèrent comme l’un des maîtres de la peinture abstraite allemande. Abstraite ? La question reste ouverte puisque la figure n’en est jamais loin. Le peintre, lui, définit très finement son rapport au réel: «La peinture abstraite, écrit-il, n’est pas abstraite au sens où elle serait étrangère à la vie et aux hommes.[…] Elle ne se forme pas d’après nature, mais comme la nature. […] Elle est un exemple actif des forces invisibles qui ne cessent de donner forme à la nature. […] Plus il [l’artiste] s’élève au-dessus du connu, plus le résultat de son travail sera essentiel.» Inlassable chercheur, le peintre de Stuttgart a toujours oscillé entre un besoin d’ordre et de clarté et ce goût pour L’inconnu dans l’art qui n’a cessé de l’aimanter vers le mystérieux et l’insaisissable et qui, en 1947, a donné son titre au traité qui résume sa vision et ses réflexions d’artiste.

Tableaux-murs et Sportifs

Pour se donner plus de liberté et de moyens inédits d’aller vers cet inconnu, Baumeister n’a cessé d’interroger les fondements, les codes et les matériaux de l’art avec autant de haute exigence intellectuelle que d’attention tactile à la «peau» de la peinture 44 sur laquelle, dès 1919, ce pionnier aimait à convoquer des matières concrètes de bâtisseur, tels le plâtre, le mastic, la colle ou le sable. C’est ainsi que sont nés ses fameux tableaux-murs qui, dès le début des années 1920, attirent sur lui l’attention internationale et jettent les bases d’une évolution de la peinture abstraite qui allait s’étendre sur plus de 30 ans. Vue de notre XXIe siècle, l’œuvre de Baumeister représente un mélange fascinant de porosité au Zeitgeist novateur de son temps et d’indépendance d’esprit qui lui a permis de toujours rester très personnel. Son parcours apparaît comme un déroulé des avant-gardes de son époque, sans jamais s’installer dans aucune école ni manière. Un besoin irrépressible de liberté, que l’expérience de la guerre et de l’isolement n’a fait qu’exacerber !

Les débuts du peintre sont marqués par les modèles français: impressionnisme, postimpressionnisme, cubisme et surtout Cézanne qui lui ouvre la voie à la réflexion théorique sur l’opposition entre figuration et abstraction. Sa peinture s’épure en une géométrie qui tend vers l’abstraction. Il veut atteindre à la clarté de la forme, à l’harmonie des couleurs, au rejet de tout illusionnisme, à la retenue dans l’émotion – surtout éviter les déferlements «tripaux» des expressionnistes – et à l’intégration des arts chère à l’école du Bauhaus, sans ligne de partage entre arts libéraux et arts appliqués. L’homme en mouvement (à travers sa série des Sportifs) et l’union de l’homme avec la machine sont parmi ses sujets de prédilection. À Paris, il rencontre Le Corbusier, Ozenfant et Léger, puis devient membre de l’association Cercle et Carré et du groupe Abstraction-Création qui portent le flambeau de l’art constructiviste. Dès les années 1920, il est un artiste qui compte sur la scène internationale.

Entre idéogrammes et métamorphoses C’est alors que l’avènement du IIIe Reich le condamne à douze ans de clandestinité artistique. Frappé d’interdiction professionnelle, isolé, il n’en demeure pas moins formidablement productif, cherchant son inspiration dans les mondes originels, les grands récits bibliques et mythiques, les peintures rupestres paléolithiques et les arts dits primitifs. Sa rigueur géométrique s’adoucit. Sa peinture s’invente des univers imaginaires peuplés d’idéogrammes à la fois organiques et symboliques. La fin de la guerre marque pour lui un véritable recommencement. Il peut enfin exercer à nouveau librement son art qui manifeste sa joie de revivre à travers une palette vibrante et lyrique. Empruntant au surréalisme les techniques du peigne et du frottage, il lâche sur ses tableaux les créatures imaginaires d’une biologie fantasmagorique, en fait le lieu de multiples métamorphoses et y in vente sa propre écriture hiéroglyphique venue des profondeurs de l’inconscient et de l’histoire, y puisant des réminiscences de cultures enfouies et de signes magiques. Mais rien à voir ici avec le refuge dans un passé lointain. Pour Baumeister, les mondes archaïques symbolisent des désirs de recommencement et d’universalité qui lui apparaissent d’autant plus essentiels que l’époque est à la reconstruction de l’Europe dévastée.

Faire table rase en soi-même Entre 1953 et 1955, les Montaru et les Monturi sont parmi ses tout derniers tableaux. Habités par une grande forme sombre à la fois magique et inquiétante, les premiers renvoient aux trous noirs cosmiques. Occupés par un grand blanc central, les seconds évoquent un champ d’énergie vitale. Encore une nouvelle manière de donner forme ambiguë et poétique à cet inconnu et cet insaisissable vers lesquels sa peinture a toujours été éperdument tendue. À ses élèves comme aux lecteurs de ses écrits, Baumeister n’a eu de cesse de rappeler que, face à l’art de la modernité, il ne faut jamais oublier – sans dénigrer le moins du monde les œuvres du passé – de commencer par faire table rase en soi-même. Chercher à atteindre un état de naïveté. Car pour cet érudit: «On ne regarde jamais les œuvres d’art avec assez de naïveté.»

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