Léonard Gianadda

Le 31 juillet 1976, Léonard Gianadda perd son frère cadet, Pierre, dans un accident d’avion. Pour perpétuer sa mémoire, il décide alors de créer une Fondation à son nom, et de bâtir un musée sur l’emplacement d’un temple gallo-romain récemment découvert à Martigny, en Valais. Deux ans plus tard, le 19 novembre 1978, la Fondation Pierre Gianadda ouvre ses portes. Elle ne dispose pas d’une collection permanente mais organise deux ou trois expositions par an, qui, très vite, attireront des dizaines, voire des centaines de milliers de visiteurs. En trente ans, la Fondation aura accueilli 8 millions de personnes. Une centaine de catalogues témoignent de l’ampleur de la curiosité de Léonard Gianadda qui, à travers ses expositions, a parcouru toutes les époques et tous les continents, de l’Égypte au Mexique, en passant par la Russie et le Japon, des Antiquités gréco-romaines à Paul Klee et Pablo Picasso. À la Fondation s’ajoute un musée gallo-romain, un jardin de sculptures, sans parler d’un musée de l’automobile. Des concerts et des conférences complètent ce programme. Léonard Gianadda, qui, en véritable humaniste, estime que l’homme n’est véritablement homme que par la création artistique, seule à même, par-delà la satisfaction des besoins premiers, de donner un sens à son existence, revient pour nous sur ses années passées au service de l’art. Quel bilan tire aujourd’hui ce bâtisseur qui n’a pas voulu se contenter de construire un millier d’appartements à Martigny? Le 19 novembre 2008, la Fondation Pierre Gianadda aura trente ans. Quel bilan tirezvous aujourd’hui...

Le 31 juillet 1976, Léonard Gianadda perd son frère cadet, Pierre, dans un accident d’avion. Pour perpétuer sa mémoire, il décide alors de créer une Fondation à son nom, et de bâtir un musée sur l’emplacement d’un temple gallo-romain récemment découvert à Martigny, en Valais. Deux ans plus tard, le 19 novembre 1978, la Fondation Pierre Gianadda ouvre ses portes. Elle ne dispose pas d’une collection permanente mais organise deux ou trois expositions par an, qui, très vite, attireront des dizaines, voire des centaines de milliers de visiteurs. En trente ans, la Fondation aura accueilli 8 millions de personnes. Une centaine de catalogues témoignent de l’ampleur de la curiosité de Léonard Gianadda qui, à travers ses expositions, a parcouru toutes les époques et tous les continents, de l’Égypte au Mexique, en passant par la Russie et le Japon, des Antiquités gréco-romaines à Paul Klee et Pablo Picasso. À la Fondation s’ajoute un musée gallo-romain, un jardin de sculptures, sans parler d’un musée de l’automobile. Des concerts et des conférences complètent ce programme. Léonard Gianadda, qui, en véritable humaniste, estime que l’homme n’est véritablement homme que par la création artistique, seule à même, par-delà la satisfaction des besoins premiers, de donner un sens à son existence, revient pour nous sur ses années passées au service de l’art. Quel bilan tire aujourd’hui ce bâtisseur qui n’a pas voulu se contenter de construire un millier d’appartements à Martigny?

Le 19 novembre 2008, la Fondation Pierre Gianadda aura trente ans. Quel bilan tirezvous aujourd’hui de ces années ?C’est l’histoire d’un succès qui tient du miracle, car rien n’est jamais acquis. Tout est toujours à recommencer et à chaque exposition, il faut reconquérir et fidéliser le public. D’ailleurs, pour survivre matériellement, nous sommes, en quelque sorte, condamnés au succès. Faire de bonnes expositions n’est peut-être pas très difficile du point de vue des idées et si l’on dispose d’un réseau de commissaires compétents, mais cela devient de plus en plus cher: les assurances, les transports, les catalogues, tout a augmenté de façon vertigineuse ces dernières années, en partie sous l’effet du «boom» que connaît l’art. Or ce n’est pas grâce aux 1,5% de subventions que m’allouent commune, cantonet Confédération confondus que je vais pouvoir envisager l’avenir avec sérénité.En trente ans, vous avez accueilli près de huit millions de visiteurs, plus que la Suisse ne compte d’habitants. Savez-vous quels sont vos visiteurs, d’où ils viennent ?En effet, si je faisais la moyenne, cela représenterait 700 visiteurs chaque jour de l’année pendant trente ans. Mais il est évident que toutes les saisons ne se ressemblent pas. On s’arrête peut-être plus volontiers sur la route des vacances d’été que lorsqu’on va à la neige, encore que… Quant à l’origine de nos visiteurs, nous savons que la moitié viennent de Suisse romande, un quart de la France voisine et le dernier quart de Suisse alémanique, d’Italie, d’Allemagne ou d’ailleurs.

Vous êtes toujours resté fidèle à Martigny. N’avezvous jamais été tenté d’installer votre Fondation ailleurs, dans un lieu plus prestigieux ou plus facilement accessible ?Non, je n’ai jamais été tenté d’aller ailleurs et c’est sans doute une des clefs de notre succès. En 1978, quand la Fondation Pierre Gianadda a ouvert ses portes, Martigny était une petite ville de dix mille habitants, loin des grands axes. Les autoroutes n’étaient pas construites. Il n’y avait rien. Tout était à faire pour une région dont beaucoup d’habitants avaient sans doute envie d’un développement culturel tout autant que d’un développement industriel et touristique.L’un ne va pas sans l’autre; n’êtes-vous pas d’abord, comme entrepreneur au sens large du terme, responsable du développement économique de la région ?Ingénieur de formation j’ai, pendant quarante ans, construit plus de mille logements à Martigny. C’est dire que j’ai contribué au développement de la ville. Mais, d’un autre point de vue, je dirais que j’ai perdu beaucoup de temps à gagner de l’argent. Ce n’est pas ce qui fait une vie. C’est par la création artistique que l’homme laisse une trace de son passage sur terre: architecture, sculpture, peinture, musique. Les œuvres d’art témoignent de la part d’éternité qui est en nous.Comment êtes-vous arrivé à l’art ? Êtes-vous né dans une famille où l’on était sensible à l’art ?Sensible, peut-être, mais mes grands-parents avaient d’autres soucis, plus terre-à-terre. Mon grand-père est venu en 1886 du Piémont, par le col du Simplon, à pied. Il avait treize ans et il cherchait à construire une vie meilleure que celle que lui offrait son pays. Il est donc venu travailler comme maçon, de même que tant d’autres réfugiés économiques de la fin du XIXe siècle.Votre père s’est ensuite installé comme entrepreneur…Oui, c’était le chemin normal d’une ascension sociale dans les familles où tout le monde travaillait dur et où beaucoup mouraient relativement jeunes.Petit-fils d’immigré, comment avez-vous vécu vos années de jeunesse qui coïncidaient avec la Seconde Guerre mondiale ?Pour partie, très difficilement parce que certains camarades me traitaient de «spaghetti» et d’autres noms d’oiseaux, ce qui n’est jamais très agréable.Mais vous avez fini par être adopté ?C’est une façon de parler. J’ai, en effet, été fait citoyen d’honneur de Curino, le village dont sont originaires les Gianadda. Mais j’ai acheté la bourgeoisie de Martigny et fort cher ! La reconnaissance m’est venue plutôt d’ailleurs que de Martigny qui ne m’a, par exemple, jamais décerné le prix que la ville accorde régulièrement. Mais je ne suis pas en manque. J’ai reçu beaucoup de décorations étrangères. J’ai été élu à l’Académie des Beaux-Arts. Toutefois cequi, à mes yeux, compte le plus, c’est que j’ai été choisi pour siéger dans les commissions des acquisitions du Musée Rodin et du Musée d’Orsay. Et que ces mandats aient été renouvelés me touche beaucoup.Comment cela s’est-il fait ?Grâce à une exposition Rodin que j’ai présentée, il y a plus d’un quart de siècle. J’ai toujours eu la plus grande admiration pour la sculpture de Rodin et j’avais très envie de faire une grande exposition. Je suis donc allé voir la directrice d’alors… qui m’a fait attendre cinq ans ! Il fallait donc être patient mais l’exposition a été un grand succès. Elle a été suivie par beaucoup d’autres, sans parler d’une exposition Toulouse-Lautrec que j’ai pu concevoir avec le musée d’Albi pour la raison très simple que j’ai pu leur procurer une exposition Rodin… La vie est faite d’échanges…

Restons-en pour l’instant à la sculpture. Vous avez ouvert récemment un parc de sculptures qui est d’ailleurs illustré par un grand livre. Pour quelles raisons ?La Fondation Pierre Gianadda n’a pas de collection permanente ou, plus exactement, n’en avait pas au départ. Et quand j’ai eu les moyens de commencer une collection, le marché de l’art avait déjà explosé. Vous ne pouvez pas faire une exposition avec dix ou vingt tableaux ce qui, en revanche, est possible avec dix ou vingt sculptures. C’est ce que j’ai voulu faire. Aux premiers achats de Rodin, Maillol, Arp, Miró, Calder, César sont venus s’en ajouter d’autres: Dubuffet, Niki de Saint Phalle, Moore sans parler de l’important don Chagall. Le jardin de sculptures offre, dans une nature merveilleuse, à travers une cinquantaine d’exemples, un aperçu des grandes tendances de la sculpture du XXe siècle. À travers l’Europe et le monde, il existe plusieurs parcs de sculptures; en Suisse, nous sommes les seuls… C’est une partie à part de la Fondation et à laquelle nous avons consacré une importante publication.Le Parc de sculptures comble donc le manque de collection permanente ?Oui, en quelque sorte. Mais nous commençons aussi à recevoir des prêts de longue durée, des legs, des dons. Ainsi, nous avons par exemple accueilli en dépôt, la Collection Franck qui contient d’importantes œuvres de Picasso, de Van Dongen, James Ensor, Van Gogh, Cézanne, Toulouse-Lautrec. Et puis, il y a ce legs extraordinaire de plus de 200 photos dédicacées de Henri Cartier-Bresson, ce qui est absolument unique.On ne s’étonne pas de votre engouement pour ces photos. Sans doute vous rappellent-elles vos propres reportages faits dans les années 50.Peut-être. J’ai, en effet, beaucoup voyagé quand j’étais jeune. Au cours d’un voyage en Italie, en 1952, j’avais rencontré un jeune Américain. Je l’ai invité à venir passer quelques temps chez nous ; après quoi, il m’a dit : «Et maintenant, il faut que tu viennes chez moi ! » C’est ainsi que j’ai eu la chance de passer plusieurs mois aux États-Unis, de voir le Canada, de parcourir Cuba. Puis ce furent la Grèce, la Russie, la Turquie et bien d’autres pays. Je ne me suis jamais déplacé sans mon appareil de photos et j’ai rapporté des centaines de clichés d’un monde qui n’était pas encore envahi par les touristes. J’ai déposé récemment ces photos à la Médiathèque de Martigny qui m’a consacré une importante exposition ainsi qu’une publication relative à cette période de ma vie, parce qu’elle témoigne, pour partie, d’un monde aujourd’hui disparu.

De même, vous avez publié un livre consacré à Martigny-la-Romaine.Oui, exactement. Il ne faut pas oublier que la Fondation est érigée sur les restes d’un temple gallo-romain. À l’origine, je devais construire à cet emplacement tout autre chose. Mais la mort de mon frère a changé mon destin. Puis des fouilles très importantes nous ont permis de mettre au jour de nombreux vestiges. Je désirais les conserver in situ et c’est ainsi que j’ai conçu un musée gallo-romain dont la scénographie vient d’être renouvelée entièrement. Un grand livre sur Martigny-la-Romaine sort actuellement. L’originalité de ce musée archéologique est que tous les objets, que cesoient des ustensiles de cuisine, des amphores ou des bronzes spectaculaires, comme la tête de taureau tricorne, ont été trouvés sur place.À regarder toutes ces publications, on dirait que vous désirez faire une sorte de bilan.Peut-être. Trente ans, c’est long. Et tout est fragile. Il faut donc stabiliser, étayer si possible rendre irréversible. C’est ainsi que j’ai mis un point final à ma collection de voitures. Elle est achevée; le catalogue est publié. Ceci dit, les voitures ne m’ont jamais intéressé; pas plus que les chiens. Ce qui ne m’a pas empêché de faire un musée des chiens du Grand Saint-Bernard…

Depuis toujours, à côté des expositions, il y a eu la musique…Elle est capitale pour moi et nous continuerons à organiser des concerts. Ils rencontrent d’ailleurs un succès qui n’est pas moindre que celui des expositions. Il est vrai que nous avons réussi à attirer des artistes de tout premier ordre: Cecilia Bartoli, Maxim Vengerov et bien d’autres. Je crois que l’on a toujours raison de viser haut. À la longue, l’excellence paie, même si elle est difficile à imposer.Parfois on vous reproche de ne pas assez exposer des artistes vivants. Qu’en est-il ? Quels sont les contemporains auxquels vous avez fait une place dans la Fondation ?Il ne faut pas confondre les activités d’une fondation comme la nôtre avec celle d’une galerie d’art contemporain. Notre ambition est de montrer les œuvres de toutes les époques et de tous les continents. Nous avons ainsi exposé l’art précolombien comme celui de l’Égypte et de la Grèce ancienne. Nous nous sommes intéressés aux trésors de l’art religieux russe, à la peinture de la Renaissance, à Rodin, à Monet, à Vallotton, à Van Gogh, à Kandinsky et à beaucoup d’autres. Et à chaque fois, nous avons publié un important catalogue qui pérennise l’événement. Dans cette longue liste, les artistes contemporains sont fort bien représentés: Hans Erni, Fernando Botero, Gaston Chaissac, Jules Bissier, Albert Chavaz. Beaucoup de ces artistes sont d’ailleurs devenus des amis, certaines de leurs œuvres sont entrées à la Fondation et d’autres vont peut-être en trouver le chemin. Cet automne, nous exposerons un jeune artiste d’origine valaisanne, Olivier Saudan.Et comment voyez-vous l’avenir de la Fondation Pierre Gianadda ?Il s’agit d’affermir ce qui a été fait et de l’élargir. Nous avons consolidé ainsi le musée archéologique dont la nouvelle muséographie est faite pour durer des décennies. La même constatation vaut pour le Jardin de sculptures qui continuera, peut-être, à s’enrichir. La musique également gardera toute sa place et nous inviterons, dans l’avenir, les solistes les plus prestigieux. Le plus difficile, ce sont les expositions, pour les raisons que je vous ai déjà indiquées, mais je suis confiant parce que le programme pour les années à venir est fait ou en train de se faire. Actuellement nous célébrons le centenaire de la naissance de Balthus. C’est la première grande rétrospective depuis celle qui a eu lieu à Venise en 2001. C’est une exposition exigeante, mais après des débuts peut-être une peu difficiles, elle a rencontré la faveur du public et je peux déjà dire qu’elle comptera parmi nos grands succès. Puis en 2009, ce sera le tour de Hans Erni dont nous fêterons également le centième anniversaire. Quant à la suite, je vous en informerai en temps voulu…

En quelques mots
Qu’est-ce qui vous émeut……dans un objet ?La sensualité qui s’en dégage…dans une peinture ?L’émotion…dans une sculpture ?Le toucher…dans une photographie ?L’instant saisi…dans un livre ?L’écriture…dans une musique ?Le rêve…dans une architecture ?L’intégration dans l’environnementSi vous deviez choisir une œuvre……dans la peinture ?Les Gauguin du Musée Pouchkine…dans la sculpture ?Les Michel-Ange à Florence…dans la musique ?Le Requiem de Mozart…dans l’architecture ?La Sainte Chapelle…dans la littérature ?Le Petit Prince

Parcours
1935 | Naissance à Martigny, le 23 août 1935, d’un père d’origine italienne. École primaire à Martigny, puis formation classique au collège de Saint-Maurice. À 15 ans, en 1950, la mère de Léonard Gianadda l’emmène, avec ses frères à Florence, à Rome et à Naples pour l’Année sainte. C’est sa première grande découverte de l’art.1953 | Léonard Gianadda séjourne quatre mois aux États-Unis; il visite le Canada et Cuba.1955-1960 | Pendant ses études d’ingénieur à l’École polytechnique de Lausanne, Léonard Gianadda travaille comme journaliste et reporter-photographe pour plusieurs quotidiens ainsi que pour la télévision Suisse Romande.1960 | Léonard Gianadda entreprend, avecson frère Pierre, le tour de la Méditerranéeen voiture. Avec son camarade d’étudesUmberto Guglielmetti, il fonde, la mêmeannée, un bureau d’ingénieurs, qu’ils dirigent ensemble pendant quarante ans.1961 | Léonard épouse Annette Pavid dontil aura deux garçons, François, né en 1963,et Olivier, né en 1966.1976 | Mort de Pierre Gianadda dans un accident d’avion alors qu’il cherchait à secourirses camarades.1978 | 19 novembre 1978: ouverture de laFondation Pierre Gianadda sur l’emplacementd’un temple gallo-romain à Martigny.1988 | Il entre au Comité d’honneur de laSociété des Amis du Musée Rodin puis, en1997, au Conseil d’administration de cemême musée.1990 | Chevalier de l’Ordre National dumérite (France) et «Commendatore» de laRépublique italienne.1995 | Chevalier, puis officier (2001) de laLégion d’honneur.1999 | Membre fondateur du Conseil de laFondation Balthus.2003 | Membre étranger de l’Académie desBeaux-Arts; son épée lui est remise par JeanJacques Aillagon, ministre de la culture et dela communication.2004 | Membre de la commission des acquisitions du Musée d’Orsay.2007 | Inauguration de la Bibliothèque de laFondation Pierre Gianadda, quelque 12’000volumes déposés à la Médiathèque de Martigny.Inauguration de la nouvelle présentation duMusée gallo-romain.2008 | 19 novembre 2008: trentième anniversaire de la Fondation Pierre Gianadda.



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