Le Vodou un art de vivre

Au Musée d’Ethnographie de Genève, une excellente, envoûtante exposition et une grande première. Lamise en scène des objets devrait contribuer à bouleverser les hiératismes imperturbables qui relèvent plus, comme art de vivre, du veau d’or que du vodou. Un art de vivre qui ne s’enseigne pas comme un savoir vivre.Corollairement y aurait-il un art de mourir ? Sans doute au sein de cultures disparues de leur «belle mort», le shinto japonais conduisant le kamikaze («souffle de l’esprit») dans un voyage mortifère et sans retour, Mishima se faisant sepuku, ou encore le guerrier aztèque au combat passant d’un ennemi à l’autre pour en «butiner» le sang, sûr d’avoir été réincarné en papillon.Comme nous remontions la Lexington Avenue de New York, un soir de 1973 pour aller écouter du jazz au Village Vanguard, le chauffeur de notre taxi jaune, s’adressant à nous en français, nous demanda si nous étions Français. Suisses lui répondis-je et vous Haïtien ? Affirmatif. C’était un samedi, je lui dis alors que peut-être dans son coffre le Baron Samedi nous poussait dans la bonne direction. Il éclata de rire: «connaissez le vodou ?».Je lui répondis : un peu, par les livres1. L’année dernière, dans un autre taxi me conduisant de la gare de Lyon à mon hôtel parisien, quand mon chauffeur, en réponse à ma question, me dit qu’il était haïtien, je lui dis simplement: «et le vodou, toujours vivace ?» Il se retourna, furieux: «cette saloperie qui ne sert qu’à vampiriser les pauvres gens, soutenue par toutes...

Au Musée d’Ethnographie de Genève, une excellente, envoûtante exposition et une grande première. Lamise en scène des objets devrait contribuer à bouleverser les hiératismes imperturbables qui relèvent plus, comme art de vivre, du veau d’or que du vodou. Un art de vivre qui ne s’enseigne pas comme un savoir vivre.Corollairement y aurait-il un art de mourir ? Sans doute au sein de cultures disparues de leur «belle mort», le shinto japonais conduisant le kamikaze («souffle de l’esprit») dans un voyage mortifère et sans retour, Mishima se faisant sepuku, ou encore le guerrier aztèque au combat passant d’un ennemi à l’autre pour en «butiner» le sang, sûr d’avoir été réincarné en papillon.Comme nous remontions la Lexington Avenue de New York, un soir de 1973 pour aller écouter du jazz au Village Vanguard, le chauffeur de notre taxi jaune, s’adressant à nous en français, nous demanda si nous étions Français. Suisses lui répondis-je et vous Haïtien ? Affirmatif. C’était un samedi, je lui dis alors que peut-être dans son coffre le Baron Samedi nous poussait dans la bonne direction. Il éclata de rire: «connaissez le vodou ?».Je lui répondis : un peu, par les livres1. L’année dernière, dans un autre taxi me conduisant de la gare de Lyon à mon hôtel parisien, quand mon chauffeur, en réponse à ma question, me dit qu’il était haïtien, je lui dis simplement: «et le vodou, toujours vivace ?» Il se retourna, furieux: «cette saloperie qui ne sert qu’à vampiriser les pauvres gens, soutenue par toutes nos dictatures de tontons macoutes ? Vivement la fin, sinon notre pays ne s’en sortira jamais.» Je ne voulais pas polémiquer, d’autant moins qu’il ne s’adressait à moi qu’en se retournant, sans plus regarder la circulation. On était samedi, pas d’allusion au Baron, j’invoquai plutôt Shango, le «loa» de la foudre, pour qu’il me transportât comme l’éclair à bon port. «Je vous donne un pourboire parce que je ne suis pas d’accord avec vous » lui dis-je. Je ne saurais transcrire sa réponse, mais il était évident que pour lui, le vodou était nettement associé à une façon de vivre – et de mourir– aliénante. Mais comme le dit Jorge Semprun («Federico Sanchez vous salue bien, 1993»): «celui qui sait qu’il y a des choses pour lesquelles il vaut la peine de vivre – de mourir, donc, à l’occasion: cela peut revenir au même – sans qu’il vaille la peine de faire tout un plat…».Avant de d’évoquer quelques objets, tous si lourds de sens qu’ils en semblent dépourvus de pesanteur, sinon de gravité, rappelons qu’il ne fut pas facile au directeur du Musée, Jacques Hainard et ses collaborateurs, de faire sortir du pays cet admirable ensemble. D’ailleurs pouvait-on le faire impunément, en d’autres termes, le concept de villégiature est-il applicable à un objet magique ? Quel genre de résistance pouvait-on attendre de ce type d’objet ? Comment séduire en chacun d’eux le noyau intangible ? Il en allait d’un art de vivre ensemble; mais selon les lois de l’hospitalité, n’est-ce pas au visiteur de faire le premier pas, à condition d’en manifester la volonté ? Puisque la magie2: «n’est en soi rien qu’une volonté et cette volonté est le grand mystère de toute merveille et de tout secret; elle s’opère par l’appétit du désir de l’être».Donc une Suissesse rayonnante, Marianne Lehmann, choisit de vivre en Haïti dès 1957. Trente ans de patiente collecte d’objets, et de l’avis des autochtones, pour leur sauvegarde, mais aussi pour la sauvegarde de toutes les mémoires individuelles et collectives de ce patrimoine aux racines africaines omniprésentes, grossies encore par l’arrachement à leur terre ancestrale vers l’esclavage. D’un art de la survie à un art de vivre, il a fallu qu’un tel peuple, très attaché par ailleurs au catholicisme, ait eu de la ressource pour franchir, au cours des derniers siècles, les barrages minés de la pensée dominante.Marianne Lehmann ne s’est pas contentée d’acquérir ces objets, mais elle a acquis aussi tout le savoir des pratiques qui leur sont attachées. On observera que nombre de ces objets sont des flacons, ce qui légitime le renvoi au poème de Baudelaire «Le Flacon», dont les parfums complexes lui viennent sans doute de sa compagne, inspiratrice d’une vingtaine d’années, Jeanne Duval, originaire de Jacmei en Haïti.Ces flacons sont des contenants, des corps, qui semblent à nos yeux souvent vides, mais c’est un leurre (les images IRM de certains cerveaux de chez nous ne montrent pas pour autant que ces têtes soient pleines). Ces récipients reçoivent des présences qu’il faut contenir, retenir, enchaîner même; qui ont des pouvoirs qu’il faut savoir invoquer, rendre efficaces; qui doivent permettre, en fin de compte, de vivre encore et toujours.Mais c’est aussi leur beauté qui en fait la pertinence, car le vodou, aussi ancien que le premier esclave enchaîné et débarqué dans les Antilles, est rejoint par toutes sortes de pratiques et de réalisations d’artistes contemporains et leur regard ne pourra que s’en trouver conforté: le vodou, par sa pratique de la résistance et son incitation au rêve donne, hic et nunc, sa forme et sa substance à une part non négligeable du réel universel d’où Nietzsche («Ainsi parlait Zarathoustra») su tirer l’avertissement lancé à chacun de nous: «je vous le dis, il faut avoir encore du chaos en soi pour enfanter une étoile dansante. Je vous le dis, vous avez encore du chaos en vous».

Artpassions Articles

E-Shop

Nos Blogs

Instagram Feed