Les antiquités d’un esthète

Depuis longtemps, le joaillier Benoît de Gorski cherche l’inspiration dans l’Antiquité grecque et romaine. Car retourner à la source de l’art occidental, c’est se régénérer, tout en s’affranchissant de la tyrannie des modes éphémères. Et tout naturellement, il a redécouvert un art très prisé des Anciens, la glyptique.Par glyptique, on entend la gravure sur pierre fine, soit en creux (intaille), soit en relief (camée).Dans l’Antiquité, les pierres tendres, comme la stéatite, étaient incisées à main libre; les autres nécessitaient l’emploi combiné d’un instrument rotatif, une mèche entraînée par un archet, et d’un abrasif, l’émeri. Il fallait des mois, voire des années pour exécuter une seule pièce. D’où le prix très élevé de ces sculptures en miniature, qui ne décourageait pas une clientèle soucieuse d’afficher son rang et sa culture.Benoît de Gorski intègre intailles et camées dans ses créations, quand il a la chance d’en trouver de belles sur le marché spécialisé. Et grâce à lui, ces antiquités retrouvent leur fonction ornementale, sans perdre leur valeur archéologique.Tout récemment, il a acquis une cornaline d’une taille inhabituelle (plus de 4 cm !), pour laquelle il hésite encore quant au genre de monture à adopter. En forme de lentille, légèrement convexe (scaraboïde), elle est percée longitudinalement pour le passage d’un fil de suspension. Sa face ornée comporte un exergue, comme les pièces de monnaie. Et le trait de séparation sert de ligne de sol pour la scène figurée. Celle-ci représente un char, tiré par deux chevaux fringants. Le cocher, penché en avant, tient...

Depuis longtemps, le joaillier Benoît de Gorski cherche l’inspiration dans l’Antiquité grecque et romaine. Car retourner à la source de l’art occidental, c’est se régénérer, tout en s’affranchissant de la tyrannie des modes éphémères. Et tout naturellement, il a redécouvert un art très prisé des Anciens, la glyptique.
Par glyptique, on entend la gravure sur pierre fine, soit en creux (intaille), soit en relief (camée).Dans l’Antiquité, les pierres tendres, comme la stéatite, étaient incisées à main libre; les autres nécessitaient l’emploi combiné d’un instrument rotatif, une mèche entraînée par un archet, et d’un abrasif, l’émeri. Il fallait des mois, voire des années pour exécuter une seule pièce. D’où le prix très élevé de ces sculptures en miniature, qui ne décourageait pas une clientèle soucieuse d’afficher son rang et sa culture.Benoît de Gorski intègre intailles et camées dans ses créations, quand il a la chance d’en trouver de belles sur le marché spécialisé. Et grâce à lui, ces antiquités retrouvent leur fonction ornementale, sans perdre leur valeur archéologique.Tout récemment, il a acquis une cornaline d’une taille inhabituelle (plus de 4 cm !), pour laquelle il hésite encore quant au genre de monture à adopter. En forme de lentille, légèrement convexe (scaraboïde), elle est percée longitudinalement pour le passage d’un fil de suspension. Sa face ornée comporte un exergue, comme les pièces de monnaie. Et le trait de séparation sert de ligne de sol pour la scène figurée. Celle-ci représente un char, tiré par deux chevaux fringants. Le cocher, penché en avant, tient les rênes à deux mains. Ces rênes sont si longues qu’il en a attaché les extrémités à l’arceau passant devant ses genoux. L’homme est entièrement nu, comme il sied à un athlète. La scène a pour cadre un concours, probablement les jeux Olympiques, dontla course de chars représentait l’épreuvereine. On assiste au moment précis où le cocher, qui maintient ses chevaux avec peine (ils semblent piaffer d’impatience), attend le signal du départ, l’œil fixé sur la piste de l’hippodrome. En cas de victoire, ce n’est pas lui qui recevra le prix et la gloire, mais son maître, le propriétaire des chevaux et du char.Cette splendide pierre gravée est l’œuvre d’un Grec, qui vivait au Ve siècle avant J.-C., soit en pleine époque classique. Mais son style encore teinté d’archaïsme dissuade de le croire athénien. La Grèce du Nord comme lieu d’origine est plus probable.Une autre pierre gravée, d’époque romaine celle-là, représente la tête d’une divinité, Apollon, protecteur personnel de l’empereur Auguste. Son noble profil est emprunté au type créé par le sculpteur grec Léocharès, en 330/320 avant J.-C. Sur sa chevelure bouclée, le dieu porte la couronne de laurier (en grec: daphné), la plante qui lui est consacrée. Benoît de Gorski a monté la pièce en chevalière, prenant soin que le sertissage n’empiète pas sur la surface, au risque de l’endommager. La monture en orrose se trouve agrémentée d’une ligne de brillants. C’est un anachronisme, car le diamant était très rare dans l’Antiquité et on ne savait pas le tailler à facettes. Mais Benoît de Gorski n’a cure de cette entorse faite à l’histoire. L’important pour lui est de mettre la pierre en valeur, «en lumière» devrait-on dire.

Le goût des pierres gravées inscrit Benoît de Gorski dans une longue lignée, qui compte des personnages illustres, à commencer par Alexandre le Grand. Il avait son graveur attitré, Pyrgotélès, qui pour nous n’est pas qu’un nom, quelques œuvres portant sa signature ayant survécu. Auguste, reprenant la tradition inaugurée par Alexandre, prit à son service le graveur grec Dioscoride, qui travaillait avec ses trois fils, Eutychès, Hérophile et Yllos. Cet atelier familial avait l’exclusivité des portraits de l’empereur et c’est à lui que fut confiée l’exécution de son sceau officiel. Mais le plus grand collectionneur de gemmes, aux dires des historiens antiques, fut Mithridate VI, roi du Pont (côte méridionale de la mer Noire), vaincu par Pompée en 63 avant J.-C. Quand sa collection arriva à Rome avec le reste du butin, trente jours furent nécessaires pour en dresser l’inventaire ! Jules César, rival dePompée, passait pour être lui aussi un collectionneur de gemmes passionné et connaisseur. A Rome, les graveurs et les orfèvres avaient leur propre quartier, le scalae anulariae, situé à deux pas du Forum.Cela dit, Benoît de Gorski ne se limite pas aux antiquités susceptibles d’une réutilisation comme bijoux, il s’est entouré de sculptures en ronde bosse, qui constituent son cadre de vie, professionnel et privé.La pièce maîtresse en est sans conteste une tête taillée dans le marbre, probablement du marbre de Thasos, si l’on en juge par la finesse de son grain et sa blancheur éclatante. Cette tête est celle d’un garçonnet, âgé de sept ou huit ans, encore plein de fraîcheur et de grâce. Son abondante chevelure, aux boucles rebelles, couvre les oreilles et la nuque. Sur le sommet du crâne, les mèches forment une tresse aplatie, terminée en toupet au-dessus du front. Les yeux, un peu étirés, ont une expression à la fois rêveuse et malicieuse. La bouche étroite, aux lèvres épaisses, esquisse un sourire, dont la douceur se trouve contredite par le menton volontaire.Cet enfant charmant représente Eros, personnification du désir amoureux. Il occupait une place importante dans la pensée religieuse, dans la vie sociale,dans l’art et dans la littérature. Homère n’en parle pas, mais Hésiode le présente comme une divinité primordiale, c’est-à-dire née en même temps que le monde,d’où la puissance qu’il exerce, y compris sur les dieux olympiens. Son rôle n’est pas marginal, car de lui dépend la continuité des espèces et par conséquent la cohésion de l’Univers.Des mythes postérieurs font d’Eros le fils d’Hermès et d’Aphrodite. Et c’est sous l’influence des poètes lyriques qu’il a pris sa physionomie traditionnelle. On le représente comme un enfant, souvent ailé, parfois armé d’un arc dont il use pour transpercer les cœurs, au nom d’Aphrodite. Ses interventions sont innombrables. Il s’en prend aux hommes ordinaires, bien sûr, mais aussi à Héraclès, à Apollon, à Zeus même et encore à sa propre mère. Sous des dehors innocents, un dieu puissant se trouve donc à l’œuvre, qui peut infliger à quiconque des blessures cruelles, généralement inguérissables. Ses mobiles échappent à toute prévision.Thespies, cité de Béotie, était célèbre pour son sanctuaire, où Eros recevait un culte réservé à lui seul. Ce sanctuaire abritait une statue du dieu, œuvre de Praxitèle, qui en avait reçu commande de Phryné, sa maîtresse, une riche courtisane d’une beauté extraordinaire. Peu après la consécration de cette statue, une seconde représentation d’Eros fut commandée à un autre sculpteur renommé, Lysippe, lequel livra son œuvre entre 338 et 335 avant J.-C. Il avait choisi de figurer Eros autrement que ne l’avait fait son prédécesseur, lui mettant en main un arc, dont il était censé éprouver la tension, le regard tourné vers sa prochaine victime.La statue de Lysippe, qui était en bronze, acquit aussitôt une immense célébrité. Elle a disparu, comme celle de Praxitèle, mais on peut s’en faire une idée précise grâce aux copies romaines en marbre parvenues jusqu’à nous (14 statues complètes ou torses, 15 têtes).La tête d’Eros que possède Benoît de Gorski ne dérive pas directement de la statue de Lysippe, mais elle s’inscrit dans la tradition inaugurée par lui et Praxitèle, une tradition qui atteignit son apogée au siècle suivant. C’est l’époque où, d’une manière générale, la société grecque découvre une de ses composantes, l’enfance, jusque-là peu considérée, voire ignorée.On l’a dit plus haut, la version de la légende adoptée par les poètes et les artistes fait d’Eros le fils d’Aphrodite, assimilée par les Romains sous le nom de Vénus. La déesse de la beauté et de l’amour profane se trouve donc présente logiquement dans la collection de Benoît de Gorski par le truchement d’une petite statue, dont il ne reste que le torse acéphale. Aucune draperie ne voile si peut que ce soit les seins, fermes et légèrement écartés. Le ventre est plat, comme il convient à une femme encore jeune. Des mèches souples serpentent sur les épaules.La déesse, aujourd’hui mutilée, se présentait originellement selon le type canonique: au sortir du bain, les cheveux ruisselants, elle faisait mine de dissimuler à deux mains les attributs de sa féminité. Le modelé de ce torse est d’une extrême finesse et le marbre poli, patiné par les siècles, reluit comme de l’ivoire. L’œuvre date de l’époque romaine, mais son auteur était probablement un Grec, travaillant dans un de ces ateliers dits néoattiques, propres à satisfaire le goût passéiste des Romains.Parmi les bronzes de la collection Gorski, il y en a un, très remarquable, qui représente Dionysos. Le dieu pose en majesté, debout, un pied en retrait, le torse bien droit. Sa main gauche haut levée tenait le thyrse, bâton terminé par une pomme de pin, lui servant de sceptre. Dans l’autre main, il avait un canthare, vase à boire muni de deux anses verticales. Outre le thyrse et le canthare, une peau de panthère (nébris), faisant office de vêtement, caractérise le personnage, de même que les grappes de raisin mêlées à sa chevelure. Son regard est fixe, un peu inquiétant.Dionysos est le dieu du vin et de l’extase mystique, identifié à Rome avec la vieille divinité italique Liber, dont le nom signifie «libre» (les Grecs eux-mêmes qualifiaient Dionysos de lyaeos, «libérateur»). Son culte était censé offrir à l’initié une sorte de salut, la garantie d’une vie heureuse dans un autre monde après la mort. La statuette dont il est question ici n’était donc pas, malgré sa qualité esthétique, un objet de décoration. Son propriétaire romain l’exposait certainement sur son autel domestique, à côtédes Lares protecteurs.

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