VIA TRIUMPHALIS

L’axe monumental: un concept né de la philosophie urbaine hellénistique et enfin récupéré par les démocraties occidentales.Au commencement était la hutte. Le chef de la tribu en voulut une plus grande que toutes lesautres. Puis il fallut honorer les dieux. On leur consacra un temple, aussi grand que la hutte du chef. Enfin, il fallait se protéger de l’ennemi. Ainsi nacquirent les remparts. Durant des millénaires, en Occident, l’architecture du pouvoir se limitera à ces trois éléments, répondant aux exigences monarchiques, religieuses et militaires. Ce n’est qu’avec l’avancée prodigieuse de la civilisation grecque à l’époque classique, fortement inspirée il est vrai par les régles d’urbanisme développées au Moyen-Orient, la terre qui a vu naître le concept même de la ville, qu’apparaissent de nouvelles théories sur la façon d’immortaliser dans la pierre de la cité la puissance de son pouvoir politique.La citadelle désertée devient l’Acropole, demeure des Dieux, avec ses temples fastueux. L’enceinte défensive reste puissante, mais à l’intérieur, que de nouveautés ! Théâtres et palestres, marchés et fontaines, voilà tant de monuments nouveaux servant à marquer la prospérité d’une cité et, bien entendu, la puissance de son gouvernement. Parmi toutes ces inventions, un élément risquerait presque de passer inaperçu, puisqu’il n’est pas érigé mais, tout simplement, aménagé: la place publique. Agora, stoa, autant de noms qui parlent à l’amateur de culture classique. C’est bien là que le concept philosophique de la culture urbaine touche son plus grand raffinement, dans la création de l’espace de réunion par excellence, le poumon de...

L’axe monumental: un concept né de la philosophie urbaine hellénistique et enfin récupéré par les démocraties occidentales.
Au commencement était la hutte. Le chef de la tribu en voulut une plus grande que toutes lesautres. Puis il fallut honorer les dieux. On leur consacra un temple, aussi grand que la hutte du chef. Enfin, il fallait se protéger de l’ennemi. Ainsi nacquirent les remparts. Durant des millénaires, en Occident, l’architecture du pouvoir se limitera à ces trois éléments, répondant aux exigences monarchiques, religieuses et militaires. Ce n’est qu’avec l’avancée prodigieuse de la civilisation grecque à l’époque classique, fortement inspirée il est vrai par les régles d’urbanisme développées au Moyen-Orient, la terre qui a vu naître le concept même de la ville, qu’apparaissent de nouvelles théories sur la façon d’immortaliser dans la pierre de la cité la puissance de son pouvoir politique.La citadelle désertée devient l’Acropole, demeure des Dieux, avec ses temples fastueux. L’enceinte défensive reste puissante, mais à l’intérieur, que de nouveautés ! Théâtres et palestres, marchés et fontaines, voilà tant de monuments nouveaux servant à marquer la prospérité d’une cité et, bien entendu, la puissance de son gouvernement. Parmi toutes ces inventions, un élément risquerait presque de passer inaperçu, puisqu’il n’est pas érigé mais, tout simplement, aménagé: la place publique. Agora, stoa, autant de noms qui parlent à l’amateur de culture classique. C’est bien là que le concept philosophique de la culture urbaine touche son plus grand raffinement, dans la création de l’espace de réunion par excellence, le poumon de la ville. On en aménage les côtés avec des portiques, pour abriter le visiteur de la canicule ou du déluge. On orne ces mêmes portiques d’inscriptions et de statues parlant au passant, comme autant de messages savamment choisis.Enfin, et c’est là notre propos d’aujourd’hui, dans la lignée de la place, apparaît l’axe monumental. A la faveur des nouveaux principes d’urbanisme conçus à l’époque hellénistique, on profite des avantages offerts par un plan orthonormé, dont l’importance des voies principales est soulignée par leur largeur. Rapidement, on se plaît à en sortir une du lot: ce sera l’axe monumental.Les premiers ont un but bien précis, celui de relier la ville à un ensemble déterminé: ce sera le cas de l’axe menant d’Athènes au Pirée, et, comme on le voit ici, la grande route menant du centre d’Ephèse à son port. Cette magnifique voie flanquée de colonnades offre au voyageur fraîchement débarqué une impression inoubliable: en la parcourant, il s’imprègne de la culture raffinée de la ville en passant de fontaine en statue, de stèle en herme. Peu à peu se dessine devant lui le théâtre, l’un des plus fastueux de toute l’Asie Mineure. Comble de raffinement, cet axe est le seul de toutes les villes antiques dont nous savons qu’il était éclairé la nuit par des centaines de lanternes, du port jusqu’à la place centrale de la cité, un unicum que nous ne retrouverons qu’au… XVIIIe siècle, lors de la naissance de l’éclairage public dans les capitales européennes.Toujours en Orient, les villes excellent dans la création d’axes de prestige. Aujourd’hui encore, ce sont bien ces interminables colonnades qui sont le symbole de villes comme Jérash, Bostra ou encore Palmyre.L’apport de Rome à ce concept, la touche finale du tableau pourrait-on écrire, c’est l’arc de triomphe, ce qui vaudra par antonomase à tout l’axe l’appellation de voie triomphale. Nous ne pouvons passer à côté du plus célèbre de ces monuments, l’arc de Constantin, qui parachève la Via triumphalis qui, du Champ de Mars, conduit au Colisée puis au Forum et au Palatin, autant de symboles exclusifs de la gloire de la Ville Eternelle et de ses empereurs.A la fin de l’époque romaine, nous voici devant un autre cas exceptionnel: Mediolanum, aujourd’hui Milan, en passe de devenir capitale de l’Empire d’Occident, se dote d’une voie triomphale «à l’orientale», qui naît de la grande porte urbaine et, avant d’aboutir à un grand arc honorifique, flanque sur presque un kilomètre l’axe menant à Rome, comme un hommage du nouveau centre politique à sa mère spirituelle.Puis, durant de longs siècles, on revient là où tout avait commencé. Des ruelles tortueuses, des places exigües juste bonnes à y tenir le marché alimentaire, et l’essentiel de l’effort monumental déversé dans les fastes du siège de chacun des deux pouvoirs absolus: la demeure du seigneur des terres et celle du Seigneur des cieux, le château et la cathédrale.Si l’on reste à Milan, on observe bien la disparition des axes rectilignes, l’encombrement des places publiques par toutes sortes de constructions, et surtout la construction du grand château médiéval, sublimé par la citadelle «à la Vauban» qui l’entourera par décision de l’envahisseur espagnol.Mais l’histoire, parfois, se souvient des grandeurs passées. En pleine euphorie de ses victoires consécutives, Napoléon et son amour de la civilisation romaine vont recréer à Milan une nouvelle voie triomphale. L’empereur tient à donner un éclat pacifique et constructif à l’annexion de la Cisalpine: pour célébrer les travaux titanesques d’aménagement de la route du Simplon, il ordonne une perspective parfaite qui fusionnera en quelque sorte la métropole lombarde avec sa nouvelle mère nourricière, la France. Des sommes colossales sont investies dès 1806 pour détruire la citadelle espagnole, afin de mettre en valeur le château médiéval symbole de la ville, duquel partira la route du Simplon, traversant d’abord une gigantesque place d’armes rectangulaire, puis passant sous un arc de triomphe dédié à la paix.

Ironie de l’histoire, Waterloo survint avant l’achèvement des travaux, et c’est l’austro-hongrois Ferdinand I qui inaugurera l’arc de la paix. En même temps, son allié allemand replacera en grande pompe, sur la porte de Brandebourg, le fameux quadrige de la victoire, saisi par Napoléon pour le placer sur l’arc de triomphe parisien.La Porte de Brandebourg, autre point culminant d’une voie monumentale, Unter den Linden, voulue par FrédéricGuillaume II, et théâtre à la fois des heures les plus rayonnantes et des jours les plus noirs de l’Allemagne, comme ce soir tragique de 1933 où Adolf Hitler y célèbre son accession au pouvoir, dotant l’axe des plus récentes technologies d’éclairage.L’importance réelle de cet axe aux yeux des gouvernants germaniques est soulignée par le fameux quadrige. Galopant à l’origine vers la ville, afin de symboliser la paix procurée par les victoires impériales, il fut tourné vers l’Ouest par ordre d’Hitler, symbole de conquêtes à venir pour le Reich millénaire. Totalement détruit par les bombardements alliés, le quadrige reconstitué est aujourd’hui à nouveau dirigé vers la ville, mais dépouillé de ses enseignes guerrières, l’aigle prussien et la croix de fer.

Dans ce même langage pacifique, l’après-guerre voit enfin les démocraties s’approprier le concept de l’axe monumental. Quoi de plus éloquent que l’exemple des Champs-Elysées, commencés par Le Nôtre sur ordre de Louis XIV, dotés de l’Obélisque de la Concorde et de l’Arc de Triomphe par Napoléon, et parachevés par les grands travaux mitterrandiens avec l’Arche de la Fraternité, mieux connue sous le nom d’Arche de la Défense.Encore plus récent, le réaménagement du plus grand axe madrilène, le Paseo de la Castellana, témoigne dela prospérité croissante de l’Espagne post-franquiste. Chefs-d’œuvre de l’architecture contemporaine, deux tours inclinées forment une arche en V inversé, baptisée Puerta de Europa afin de célébrer le retour de la Péninsule et de sa démocratie renouvelée au sein de la communauté continentale. Le grand monument d’époque franquiste qui y surgissait jusqu’alors, dédié au politicien José Calvo Sotelo, sera prochainement transféré afin de laisser place à une gigantesque colonne d’acier et de bronze illuminé, conçue par Santiago Calatrava et marquant l’entrée avérée de l’Espagne parmi les grands d’Europe.

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