La Bourse, l’austère Palais Brongnart, était feutrée. « Et pour cause » dirait-on volontiers : Elle accueillait du 13 au 17 novembre dernier la troisième édition de Paris Tableau. Jamais salon ne fut ensemble si jeune et si renommé, attendu, scruté, discuté, respecté. Et jamais « salon », assurément, ne mérita mieux ce nom commun qui sonne familièrement à nos oreilles. Sans se soucier de lever les yeux vers le haut plafond compartimenté, on découvrait un espace qu’on pouvait rapidement parcourir pour mieux le parcourir à nouveau, allègrement, une, deux, trois fois, sur un sol et dans une lumière veloutés avec, par-ci, par-là, des halos bleus, le tout sobrement mouluré ; chacun des exposants – lesquels formaient la fine fleur mondiale des marchands de peinture ancienne, du Moyen Âge au XIXe siècle – tenant en quelque sorte salon, dans un calme général et gracieux. Une visiteuse dit à celle qui semble sa nièce : « C’est un vrai musée… mais éphémère. » Les grands noms sont bien de la partie : Jacques Stella, Guercino, Francesco Guardi, Paul Bril, Rubens, Van Dyck, François Boucher, Fragonard… représentés par de belles œuvres qu’on ne verra peut-être plus avant un ou deux lustres – comme ce Saint Jérôme de David Téniers le Jeune vu chez De Jonckheere –, à moins d’avoir les moyens de s’en offrir une, ou qu’un musée en acquière une. « Mais à côté de celles-ci, aura peut-être ajouté une connaissance (envieuse) de notre visiteuse, il y a beaucoup d’œuvres léchées, de second rang, qui sont loin d’annuler ce qui les entoure – un chef-d’œuvre le fait à cent pour cent –, parfaites pour la décoration. » Eh bien oui, et tant mieux pour le décor. Du reste, pareille réaction ne repose-t-elle pas sur une conception appauvrie, erronée du musée ? Celle des Florence en 24 heures et des best of ? Les musées furent originellement créés pour être, plus encore que de fines anthologies, de belles encyclopédies ; sélectifs et représentatifs. Quel amateur, arpenteur de ces lieux pérennes, ne serait pas ravi d’admirer, comme il put le faire sur les cimaises choisies de Paris Tableau, chez Haboldt and Co., un vigoureux Saint Sébastien d’un des élèves les plus attachants de Simon Vouet, Charles Poerson ? Ou chez De Jonckheere un émouvant Saint Jérôme de David Teniers le Jeune, le dernier de la dynastie ?
On pouvait contempler chez Jacques Leegenhoek, non loin d’un Dominiquin, une œuvre rare, une huile sur panneau de François Clouet, un des grands artistes de la Renaissance française : Portrait d’une dame de qualité. Les entrelacs de velours noir sur noir, les rangs de perles, la peau rebondie, blanche et rosée, le regard brun, spirituel, autoritaire sans doute, tout s’accorde et charme dans cette petite effigie. On songe aux mots de Gabrielle Chanel sur ces personnages du temps de Catherine de Médicis : « Si minutieusement vêtus que leurs fraises et leurs corsages ont la même importance à nos yeux que les traités, les guerres et les généalogies. » Plus loin, parmi les toiles de la Weiss Gallery, se tenait une autre belle du XVIe siècle, peinte par Sofonisba Anguissola : Anonyme de la noblesse espagnole. Cette grande toile est un peu maladroite mais elle est belle, et signée par une figure de l’histoire de l’art des plus intéressantes, la première femme qui connut la gloire grâce au pinceau. Michel-Ange lui-même lui reconnut quelque talent.
Les peintures du genre de la première, sont de celles qui entrent dans les musées triomphalement, grâce aux souscriptions et au mécénat, pour la gloire évidente du goût ; celles du genre de la seconde, dont les musées sont demandeurs pour assurer leur mission historique, peuvent y entrer par ce mode de donation (très avantageux fiscalement) dit « avec réserve d’usufruit ». Le Louvre, à l’initiative d’un de ses talentueux conservateurs, Guillaume Kientz, présentait dans le cadre de Paris Tableau une petite exposition didactique sur le sujet. On y voyait, entre autres tableaux faisant désormais partie des collections du Louvre mais dont jouissent encore de généreux collectionneurs, un tableau de Nicolas Mignard, l’un des peintres provinciaux les plus doués du XVIIe siècle – frère du fameux Pierre –, qui pourtant n’avait pas eu jusqu’à cette acquisition les honneurs du plus grand musée du monde. « À bon entendeur… » croit-on encore entendre.
VALENTIN BENOÎT