RIKEN YAMAMOTO

Je rencontre le grand architecte Riken Yamamoto dans son atelier de Yokohama, une grande ville portuaire à quelques encablures de la capitale, Tokyo. Dans un entrelacs d’immeubles de petites tailles, à l’angle de deux rues, se découvre l’antre de l’architecte. Une entrée discrète, un cabinet jouant sur quatre étages ouverts et des volumes en mezzanines suspendues, une équipe de jeunes architectes et collaborateurs concentrés travaillent dans le calme. C’est autour d’une tasse de thé vert que je retrouve Yamamoto-San, dont l’œuvre architecturale a été distinguée ces derniers temps par des prix prestigieux – le prix Pritzker en 2024 et le Crystal Award au WEF à Davos en 2025. Quand il raconte en anglais son parcours, il aime à illustrer en dessins ses propos dans le carnet de croquis dont il ne se sépare jamais et choisit ses mots pour raconter son engagement pour une architecture du futur durable. Riken Yamamoto, on se retrouve ici dans votre agence d’architectes au cœur de la ville de Yokohama, cité voisine de Tokyo. Cette ville, c’est aussi celle de votre enfance – à quoi ressemblait-elle ? Je suis né en 1945 à Beijing, en Chine mais à par-tir de l’âge de deux ans, mes parents sont reve-nus s’installer au Japon et c’est ici à Yokohama, que j’ai grandi. Dans mon enfance, Yokohama n’était constituée que de maisons nouvellement construites, car la grande majorité de la ville avait été détruite par les bombardements américains à la fin de la guerre. Ma famille habitait donc une maison...

Je rencontre le grand architecte Riken Yamamoto dans son atelier de Yokohama, une grande ville portuaire à quelques encablures de la capitale, Tokyo. Dans un entrelacs d’immeubles de petites tailles, à l’angle de deux rues, se découvre l’antre de l’architecte. Une entrée discrète, un cabinet jouant sur quatre étages ouverts et des volumes en mezzanines suspendues, une équipe de jeunes architectes et collaborateurs concentrés travaillent dans le calme. C’est autour d’une tasse de thé vert que je retrouve Yamamoto-San, dont l’œuvre architecturale a été distinguée ces derniers temps par des prix prestigieux – le prix Pritzker en 2024 et le Crystal Award au WEF à Davos en 2025. Quand il raconte en anglais son parcours, il aime à illustrer en dessins ses propos dans le carnet de croquis dont il ne se sépare jamais et choisit ses mots pour raconter son engagement pour une architecture du futur durable.

Riken Yamamoto, on se retrouve ici dans votre agence d’architectes au cœur de la ville de Yokohama, cité voisine de Tokyo. Cette ville, c’est aussi celle de votre enfance – à quoi ressemblait-elle ?

Je suis né en 1945 à Beijing, en Chine mais à par-tir de l’âge de deux ans, mes parents sont reve-nus s’installer au Japon et c’est ici à Yokohama, que j’ai grandi. Dans mon enfance, Yokohama n’était constituée que de maisons nouvellement construites, car la grande majorité de la ville avait été détruite par les bombardements américains à la fin de la guerre. Ma famille habitait donc une maison neuve, construite en bois dans le quartier commerçant. J’ai perdu mon père très jeune et c’est ma mère qui faisait vivre la famille : moi, mon frère, ma grand-mère et ma tante habitions tous sous le même toit. Nous n’étions pas une famille comme les autres et notre maison ne ressemblait pas à une maison habituelle. Ma mère était pharmacienne et elle avait sa pharmacie dans la même maison. À l’avant de la maison, il y a avait donc son commerce et à l’arrière, notre espace de vie privé, très petit : c’était en réalité une seule pièce principale organisée autour d’une table basse. À côté, on trouvait la salle de bains et la cuisine. Une petite fenêtre dans notre pièce de vie s’ouvrait sur la pharmacie, ma mère se déplaçait alors souvent pour jeter un œil sur la boutique et surveiller ce qui s’y passait. Voilà, c’était ma première expérience de ce qu’est une maison : un lieu de vie et de travail tout à la fois !

Quels ont été vos premiers contacts avec l’architecture ?

Quand j’avais dix-sept ans, j’ai visité pour la première fois l’ancienne capitale du Japon, Nara et le temple de Kofukuji, un temple bouddhiste très ancien et très connu. Il faisait déjà nuit noire et je me souviens de la présence de la lune dans le ciel. Ce que je pouvais uniquement voir, c’était la silhouette du temple et surtout celle de la pagode à cinq étages qui est voisine du temple, se découpant sur le ciel, au milieu de la végétation. Et pourtant, cette vision a eu un effet incroyable sur moi. J’ai réalisé à quel point l’architecture fait partie de son environnement, ce n’était pas une chose artificielle posée quelque part : le temple et la pagode existaient grâce à leur environnement, à la nature qui les entourait, tous ces éléments étaient intimement liés.

Soho Building, Beijing, Chine

L’engagement dans la voie de l’architecture remonte donc à cette période-là ?

Pas de tout de suite. Il y a eu ensuite cette seconde étape qui a été nécessaire, celle où j’ai pris conscience du sens de l’architecture : ce sont mes voyages d’étude à travers le monde avec mon mentor, l’architecte Hiroshi Hara. Je venais de terminer mes études en architecture, j’avais vingt-huit ans et je suis entré dans son laboratoire de recherches. Je l’ai accompagné dans des voyages en Amérique centrale et latine, en Méditerranée, au Népal, en Inde et en Irak : là, nous avons visité des villages parfois très anciens, pas des villes, pas des chefs-d’œuvre de l’architecture moderne, juste des maisons toutes simples et j’ai appris beaucoup. Et c’est vraiment là que j’ai décidé de devenir architecte.

Racontez-nous votre première œuvre, la Yamakawa villa, une maison conçue de manière très singulière…

Oui, ça a été mon premier projet, dans la province de Nagano au milieu des montagnes et de la forêt. Je l’ai achetée récemment pour moi-même à son propriétaire actuel, car je l’aime vraiment beaucoup. J’aime y passer du temps en été avec ma famille, avec mes collaborateurs mais en hiver il ferait trop froid, car nous sommes ici à une altitude de mille sept cents mètres ! Elle a en effet une caractéristique unique : elle est constituée de blocs fermés – chambres, cuisine, salon, toilettes – de petite superficie, posés sur un grand plateau ouvert. Six à huit personnes peuvent être là en même temps. Les espaces communs sont donc tous en extérieur, dans la nature. La prochaine maison est éloignée de plusieurs centaines de mètres. On est donc plongés dans la nature et on expérimente les conditions météorologiques. Vous comprenez pourquoi on ne peut pas l’utiliser toute l’année, seulement de mai à novembre. Cette maison est vraiment difficile à vivre, je l’ai réalisé moi-même en y vivant… Mais elle est très intéressante. Et on peut y expérimenter des nuits tellement profondes et noires !

Saitama Prefectural University, Japon

À la Hiroshima Fire Station, la caserne des pompiers de la ville d’Hiroshima, vous avez aussi créé une situation particulière, de lien entre intérieur et extérieur…

J’ai travaillé ici sur l’idée de transparence, à l’inverse de la manière dont les casernes sont habituellement conçues. Comme vous le savez, les pompiers travaillent 24 heures sur 24 et il y a quotidiennement deux groupes sur place qui opèrent par tranche de douze heures. Pendant que les uns sont disponibles à une intervention extérieure, les autres restent à la caserne et s’entraînent. D’habitude, on trouve les espaces d’entrainement des brigades à l’extérieur des casernes, mais moi, j’ai inclus ces espaces à l’intérieur du bâtiment, une chose qui n’avait jamais été faite avant. Ils peuvent ainsi travailler par tous les temps au cœur du bâtiment. Tous les espaces et étages sont comme interconnectés. Le bureau du chef des pompiers, je l’ai placé au centre de la caserne, il est entièrement transparent : il peut ainsi garder un œil sur les nombreuses activités qui se déroulent dans la caserne mais en même temps, les autres peuvent aussi voir comment lui travaille. Quand je lui ai proposé cette solution, il a aussitôt accepté ! La transparence va aussi vers l’extérieur, la caserne fait partie prenante de la ville, les habitants peuvent voir à chaque moment de la journée, même la nuit, ce qui s’y passe. Le bâtiment est illuminé en permanence et cette présence donne aussi un sentiment de sécurité aux habitants. Les enfants en franchissent la porte fréquemment pour voir de près les manœuvres.

C’est un peu la même situation que vous avez mise en place sur un campus universitaire à la Saitama Prefectural University, à Saitama, au nord de Tokyo.

Oui, exactement. L’idée était là encore qu’avec une université, nous avons à faire à un bâtiment public. Or, en règle générale, les bâtiments publics au Japon sont très fermés, ils n’ont même pas une fenêtre qui donne sur l’extérieur. J’aimerais faire plus de projets de ce type. Faire en sorte grâce à l’architecture que les gens se voient les uns les autres, je crois que c’est important. En règle générale, ce sont uniquement les étudiants, les professeurs, le personnel de l’université qui ont accès au campus. Et moi, je voulais inclure le campus dans la ville de Saitama, je voulais que les habitants s’approprient eux aussi les espaces, et puissent se promener dans les espaces verts de l’université.

Yokosuka Museum of Art, Japon – croquis Riken Yamamoto

Faire ce genre d’architecture comme vous le dites, « pour que les gens se voient », c’est un principe que vous avez aussi appliqué au cadre d’un musée d’art – avec succès. Je veux parler du Yokosuka Museum of Art, que vous avez construit en 2006, à une vingtaine de kilomètres de Tokyo.

À Yokosuka, j’ai eu la chance de gagner le concours sur un site très intéressant. Yokosuka est encore aujourd’hui un port militaire important au Japon. Depuis la période Edo (XVIIe siècle), le lieu a toujours été de première importance car c’est un passage obligé sur la côte pour parvenir à Tokyo, un endroit de garde pour surveiller d’éventuelles incursions ennemies. Et c’est là, à ce point stratégique, que le musée d’art est placé dans un cadre très naturel, car le site n’a jamais été construit avant cela de par son histoire militaire – il y a la mer juste en face et nous sommes entourés de montagnes. Les visiteurs entrent par le rez-de-chaussée et ils ont accès aux salles d’exposition au premier étage, mais aussi au sous-sol. Nous avons enterré la plupart des volumes architecturaux sous la terre et créé des corridors, des couloirs qui relient dans ce sous-sol des salles d’exposition. Et puis, nous avons ouvert des terrasses sur les toits afin que les visiteurs puissent s’y promener : on a vraiment essayé de construire un musée en lien avec son environnement. L’idée d’enfouir les espaces d’expositions en souterrains est née de l’envie de garder le paysage environnant aussi intouché que possible. Le bâtiment est donc très bas. Ce que nous avons aussi fait, c’est de recouvrir les murs et le toit du musée d’une « double peau », une plaque de verre vers l’extérieur et plaque de métal à l’intérieur afin de contrôler la lumière du soleil. Une série de puits de lumière ponctuent le bâtiment afin de faire venir de la lumière naturelle dans les espaces. Ici aussi j’ai réussi à créer un « community space », un endroit où les gens peuvent se rassembler : les espaces verts du musée par exemple sont ouverts à tous, gratuitement, le restaurant est ouvert tard, même après la fermeture du musée. Le soir, c’est d’ailleurs un lieu particulièrement intéressant, on peut observer les lumières des navires partant ou arrivant à Tokyo.

Yokosuka Museum of Art, Japon

Et si je vous dis, The Circle, 2020…

Ça c’est mon projet suisse à l’aéroport de Zurich ! Tout a commencé il y a quinze ans, en 2010 avec ce projet gigantesque, un vrai défi pour moi car le bâtiment fait 255’000 mètres carrés. Pour donner un aspect humain à ce projet de grande envergure, j’ai proposé une situation similaire à celle d’une ville – sur le modèle de la vieille ville de Zurich avec ses « Gasse », ses rues étroites. Au Circle, comme à Zurich, il n’y a pas de toit au-dessus de la tête, c’est de l’air naturel qui circule, pas de l’air conditionné. C’est très différent d’un centre commercial habituel. Non seulement on y trouve les espaces de service d’un aéroport mais aussi des espaces de l’université de Zurich, un hôtel, un centre de conférences, les bureaux d’entreprises… Rien de spectaculaire donc dans cette architecture, juste de la normalité. Peut-être même qu’elle peut paraître ennuyante ?

Et quelles impressions avez-vous retenues de votre collaboration avec la Suisse ?

J’ai beaucoup apprécié les longues discussions que j’ai eues sur le projet avec les responsables de l’aéroport de Zurich, du début jusqu’à la fin. Pas seulement avec les responsables techniques mais aussi avec les directeurs de l’entreprise. Ça a été pour moi une expérience très différente de ce qui se passe habituellement au Japon où les structures des entreprises sont très pyramidales et il ne m’est pas possible comme architecte d’avoir une communication directe avec les dirigeants – il peut être alors très difficile de prendre des décisions !

C’était donc le plus grand projet que vous n’ayez jamais réalisé ?

Non, c’était avant cela en 2004, un projet de tours d’habitations et de bureaux en Chine à Beijng, sur 700’000 mètre carrés, le projet SOHO. Là, en plein centre-ville, je ne voulais pas réaliser, comme ça se faisait en Chine, un compound de plus – un espace de vie et de consommation protégé et entouré de murs. J’ai donc proposé de réserver les quatre étages les plus bas des tours pour des commerces ou des services et les étages restants pour des habitations. Le trafic routier et les parkings sont placés en sous-sol, donc tous les chemins sont piétons – c’est devenu un lieu de déambulation, populaire et aimé des touristes aujourd’hui. Ce fut même le premier exemple de zones entièrement piétonnes en Chine. J’ai aussi enfoui des étages en sous-sol et ouvert des patios souterrains de deux mètres de hauteur, remplis de terreau pour y planter des arbres. Ce sont les Chinois qui m’ont dit que c’est cette hauteur qui était nécessaire pour recevoir l’énergie de la Terre ! J’ai suivi leurs conseils et récemment, j’ai été visiter à nouveau le lieu et j’y ai vu de très grands arbres s’épanouir… Dans ces année-là, c’est le mouvement post-moderne en architecture qui était présent partout, quant à moi j’ai proposé une structure très simple de tours, de différentes hauteurs.

Comment expliquer la vivacité de l’architecture au Japon ?

Ici, on a le goût du détail, et c’est probablement ce qui explique que nous ayons tant d’architectes talentueux au Japon. Mais nous avons aussi une responsabilité pour le futur. À Davos où j’ai reçu le Crystal Award durant le WEF, j’avais l’opportunité d’exprimer pendant mon discours, mon opinion sur ce qui me semble vital, c’est-à-dire les communities – ces communautés de vie qui, dans des villes comme Tokyo sont en danger de destruction par l’érection de tant de tours et de gratte-ciels. Le changement est bien difficile pour les architectes et aussi pour la jeune génération.

Taoyuan Museum of Fine Arts, Taiwan

Avez-vous encore un projet de rêve que vous n’auriez pas encore réalisé ?

Il existe déjà – au moins dans mes plans ! C’est au Venezuela, un pays que j’ai visité après ma remise du Prix Pritzer, invité par l’ambassadeur du Japon dans le pays. À Caracas, j’ai vu des situations d’habitat très difficiles, des favelas, des bidonvilles qui portent le nom de « Barrios » – des petites communautés de vie pourtant très vivantes où 60% des habitants de la capitale y vivent. Mon idée, c’est d’utiliser les lignes de téléphérique urbain déjà existantes et qui sillonnent ces barrios et de les développer pour en faire des lieux de services : on y trouverait des petits hôpitaux de proximité, des magasins, des réservoirs d’eau potable, mais aussi des restaurants qui pourraient attirer une clientèle de touristes car il n’est pas facile de parcourir ces barrios qui sont constitués de rues très étroites. Y accéder par les airs (le téléphérique), c’est donner l’opportunité de développer l’esprit d’accueil des habitants, notamment avec la musique et la cuisine, disciplines qui existent déjà. C’est le grand projet sur lequel je travaille en ce moment, avec un but : celui de maintenir ces communautés vivantes en améliorant leurs conditions d’habitat. C’est un défi très ambitieux mais c’est le projet de mes rêves !

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