PAT ANDREA – IRRÉALISTE ABSOLU

Un géant de la peinture contemporaine s’expose à Genève à partir de septembre. L’occasion de redécouvrir son œuvre hanté par la chair, le rêve et le désir. Que c’est intimidant, de pénétrer dans l’atelier parisien de Pat Andrea. Né à La Haye en 1942, coiffé à vingt ans du Prix royal de Peinture, exposé dès les années soixante-dix aux côtés de Jim Dine, Peter Blake ou David Hockney, puis dans les musées du monde entier, le Hollandais s’est imposé comme une figure incontournable du figuratif contemporain. Que révèlent ses visions ? « Mes images, décrit l’artiste, ont presque toujours deux personnes, pas souvent une seule. Quelquefois trois – dont un chien. Le numéro trois apporte la tension ». Mais le descriptif capitule devant l’émotion. Il faut se tenir face à l’œuvre pour voir ses étranges rébus prendre vie, avant de nous éblouir – jusqu’à nous hanter. Pat Andrea dans son atelierà Arcueil, 2020 Nous rencontrerons, à l’occasion de cette nouvelle exposition majeure, une variété de supports typiques d’Andrea : dessins sur papier (aquarelle, graphite), peintures (huile, caséine) et même sculptures de carton – fusion inouïe du volume, de la couleur et du trait. Le peintre a-t-il une préférence entre ces matières ? « J’aime beaucoup travailler le papier, sourit-il. C’est pour moi un matériau très noble. Une toile doit se préparer. On la croit solide, en vérité elle est fragile, à cause de cette couche de base. J’aime voir le papier comme un quasi-rien, une pure finesse que va transcender...

Un géant de la peinture contemporaine s’expose à Genève à partir de septembre. L’occasion de redécouvrir son œuvre hanté par la chair, le rêve et le désir.

Que c’est intimidant, de pénétrer dans l’atelier parisien de Pat Andrea. Né à La Haye en 1942, coiffé à vingt ans du Prix royal de Peinture, exposé dès les années soixante-dix aux côtés de Jim Dine, Peter Blake ou David Hockney, puis dans les musées du monde entier, le Hollandais s’est imposé comme une figure incontournable du figuratif contemporain. Que révèlent ses visions ? « Mes images, décrit l’artiste, ont presque toujours deux personnes, pas souvent une seule. Quelquefois trois – dont un chien. Le numéro trois apporte la tension ». Mais le descriptif capitule devant l’émotion. Il faut se tenir face à l’œuvre pour voir ses étranges rébus prendre vie, avant de nous éblouir – jusqu’à nous hanter.

Pat Andrea dans son atelierà Arcueil, 2020

Nous rencontrerons, à l’occasion de cette nouvelle exposition majeure, une variété de supports typiques d’Andrea : dessins sur papier (aquarelle, graphite), peintures (huile, caséine) et même sculptures de carton – fusion inouïe du volume, de la couleur et du trait. Le peintre a-t-il une préférence entre ces matières ? « J’aime beaucoup travailler le papier, sourit-il. C’est pour moi un matériau très noble. Une toile doit se préparer. On la croit solide, en vérité elle est fragile, à cause de cette couche de base. J’aime voir le papier comme un quasi-rien, une pure finesse que va transcender une touche de crayon ou d’aquarelle… » Ne lâchons pas pour autant la bonne vieille toile sur châssis : « On répète que la peinture est morte, note le peintre de quatre-vingt-trois ans, mais pour moi, c’est impossible. Parce qu’il y a tant de possibilités dans un seul trait de pinceau que les horizons seront toujours illimités… » L’analyse de ses créations accrédite cet optimisme : Cézanne nous a appris que les zones vides, chez un grand peintre, sont en vie. Que l’énergie circule et rebondit. Quelle meilleure définition des œuvres d’Andrea, dont les espaces vacants – fussent-ils écrus, beiges, or, autant que ciel ou herbe, paraissent absorber le magnétisme de ses personnages ? Selon son sujet, le créateur multiplie croquis et études avant de passer à l’acte, pour aboutir à l’équilibre absolu. Mais cela reste une option parmi d’autres. Il laisse aussi parler le blanc : « Comme je n’utilise pas de modèles, j’invente tous mes visages. Ça peut démarrer par un œil, un nez, qui devient quelqu’un qui va faire quelque chose – ou pas. Puis quelqu’un d’autre arrive. Il y a peut-être une relation qui naît… mais laquelle ? » Enfin il y a la peau – peut-être le sujet principal du plasticien. Barthes dirait : son punctum.

La Virgen del art of the noble self defense, 2021 Caséine et huile sur toile, 60x70cm
Cabo de palos, 2019-2020 Caséine et huile sur toile, 160x160cm

Monochrome, sublimée façon Botticelli, voilée ou nue, vériste ou fluo, on la jurerait toujours palpable, toujours sacrée. « J’aime tant faire naître la peau, continue-t-il, cette surface qui rassemble les hommes et les femmes ». Et de saluer Jérôme Bosch pour son « énorme imagination »… et pour sa « qualité de peintre de peau ». L’artiste n’en finit pas d’admirer son compatriote : « On sent qu’il adore la sensation de son pinceau, qu’à partir d’une seule touche, il jouit de créer la vraie peau d’une vraie personne. C’est à la fois suggéré et si vrai, c’est bouleversant. » Comment parler de Bosch sans évoquer Bruegel, l’autre grand primitif flamand ? L’un et l’autre s’avèrent aussi, et sans conteste, des figuratifs irréalistes. Est-ce pour éviter le terme « surréaliste » qu’Andrea s’attribua cette immatriculation ? « Non, assure-t-il. Juste que je ne cherche pas le surréalisme. J’aime imaginer des scènes très réalistes, mais qui ne pourraient pas exister dans la vie usuelle ». Sautons quelques siècles, pour parvenir à Grosz et Dix, dont l’inquiétant écho s’éprouve tout autant. Chez Andrea, comme chez les Allemands des années vingt, l’anatomie fantasmée voisine avec l’anatomie exacte.

Les Caissons bleus, 2024 Caséine et huile sur toile, 54x65cm

Ce n’est pas l’un ou l’autre, c’est l’un et l’autre. « Il faut les deux ensemble pour créer l’effet, précise Andrea. C’est une chose que je dois à Saul Steinberg, un de mes dessinateurs favoris. Cette liberté de fabriquer une image où chacun a été sculpté de façon propre, et à laquelle on croit cependant ». Il ne faut pas chercher la logique. Il faut chercher le désir. C’est-à-dire : l’émotion. Pour conclure le chapitre des influences, donnons la parole au créateur lui-même, qui s’est longtemps situé « quelque part entre Balthus et Bacon ». Quand bien même son univers est plus féminin que celui du gredin britannique : « J’ai énormément aimé sa peinture, sans avoir envie de le suivre formellement. » Est-ce bien vrai ? Bacon et Andrea ont en commun d’inventer des espaces à la fois concrets et abstraits, pourvus de lignes de fuite apparentes, à la croisée de la figure géométrique, et du lieu utopique. Comme si Mondrian avait placé entre ses carrés et ses segments des fantômes de chair.

Kunst-théorie, 2008-2014 Technique mixte sur papier, 150x180cm

Quant à Balthus, gageons que la liberté de son érotisme prémunit encore ses héritiers contre l’autocensure : « Jusqu’à présent, plaisante Andrea, la police des mœurs n’est pas venue sonner à ma porte ! » Plusieurs de ses songes dérivés d’Alice au pays des merveilles – personnage clé de sa galaxie, au point d’avoir illustré la version la plus radicale, et la plus culte, du conte de Lewis Carroll – seront aussi à savourer. Tel un signe du destin, ou une ironie du sort, rappelons qu’Hergé, le père de Tintin, fut l’un des premiers groupies et acheteurs de Pat Andrea. L’exposition genevoise porte un titre de roman : La Visite surprise. Comme un rappel que les créatures de fiction et les spectateurs peuvent s’étonner réciproquement. « Les femmes scrutent le visiteur, l’une est si masquée qu’elle tombe. Elle ne pense pas au chien car tout est centré sur l’extérieur. Le personnage principal est peut-être le regardeur du tableau… », médite Andrea. Que l’artiste sou-haite-t-il que ses théâtres inspirent à son public ? « J’aimerais avoir montré un monde irréel… mais qui existe. Et que cette possibilité, aussi émotionnelle soit-elle, fasse réfléchir ». Ce monde impossible serait-il un autoportrait ? Le Néerlandais ne nous réfute pas : « Je suis né en 1942, pendant la guerre. Mes parents cachaient une femme juive dans un espace secret, sous le plancher. C’est vrai qu’on trouve pas mal de figures cachées dans mes images. Et sur la question de l’amour, je crois être parti de mon vécu. Je représente peut-être ma relation aux femmes, dans tous ses sens : le désir, le beau de la relation, la catastrophe aussi… Cette sincérité a été perçue, j’espère. » Voilà le mot : au-delà du juste, du beau, du choc – l’extrême sincérité de cette œuvre centrale dans l’histoire de la peinture récente, et dont il est possible par miracle d’acquérir encore quelques éclats.

Alice’s people 1, 2024 Graphite sur papier, 60x70cm

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